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République centrafricaine : les trois favoris d'un scrutin chaotique
http://www.liberation.fr/ Par Hélène Gully Libération — 29 décembre 2015 à 16:05
Après de multiples reports, le premier tour pour l'élection présidentielle du pays d'Afrique centrale aura lieu mercredi.
Cette fois-ci, c’est la bonne. Reportées de nombreuses fois, le premier tour de l'élection présidentielle en République centrafricaine doit avoir lieu mercredi. Dans ce pays d’Afrique centrale, les affrontements religieux durent depuis trois ans et ont provoqué la mort de milliers de personnes. Musulmans ou chrétiens, à chacun sa persécution suivant le président au pouvoir. Depuis début 2014, après la démission forcée de Michel Djotodia, une présidence par intérim est assurée par Catherine Samba Panza, ancienne maire de Bangui, la capitale de la République centrafricaine.
Ces élections populaires suscitent cependant peu de suspens. Malgré des chiffres qui donnent le tournis : trente personnalités en lice, les candidats sérieux se comptent sur les doigts d’une main. Trois se démarquent : Anicet Georges Dologuélé, Martin Ziguélé et Abdoul Karim Méckassoua. Des favoris guère surprenants puisque apparatchiks centrafricains. Deux d’entre eux sont des anciens Premiers ministres du défunt président Ange-Félix Patassé et l’autre, un ancien ministre de François Bozizé (le président renversé en 2013 par la rébellion musulmane).
Anicet Georges-Dologuélé, le rigoureux
«Rassemblement, paix, développement.» La devise de son parti politique, l’Union pour le renouveau centrafricain (URCA), se veut pleine de promesses. Car ces trois mots incarnent les aspirations des Centrafricains. «J’ai toujours plaisir à rappeler que, depuis 1996 jusqu’à aujourd’hui, la seule période où il n’y a pas eu une crise militaro-politique dans le pays, c’est quand j’étais Premier ministre», a expliqué Anicet Georges-Dologuélé lors du congrès de son parti, dans lequel il a été investi (sans surprise) candidat à la présidentielle.
A 58 ans, ce diplômé d’économie de l’université de Bordeaux, père de 4 enfants, a déjà une belle carrière politique. Premier ministre de 1999 à 2001 sous Ange-Félix Patassé, il devient ensuite le président de la Banque de développement des Etats de l’Afrique centrale (BDEAC) pendant huit ans.
Grâce aux travaux de réfection des édifices publics qu’il a entrepris durant sa primature, Anicet Georges-Dologuélé a hérité de la réputation de «Monsieur Propre». Selon ses propres termes, il a «les capacités, l'expérience, la légitimité et la motivation» pour diriger le pays. En toute modestie.
Martin Ziguélé, haut en couleurs
Le soixantenaire aux chemises multicolores préconise une vraie proximité avec les électeurs. Martin Ziguélé privilégie le terrain. En coucou de brousse, il a sillonné la République centrafricaine pendant sa campagne présidentielle. Pour sa dernière étape, il a choisi son fief électoral, Bocangara dans le nord-ouest du pays. «Je finis par ma région, pas pour les convaincre, car leur vote m’est acquis, mais pour les remercier», confie t-il. Déterminé, il ne néglige aucun détail pour s’assurer la victoire. Et pour captiver son auditoire, l’expert en assurances est plein de ressources. Il chante pendant son dernier discours, de quoi susciter une standing ovation.
S’il sait être léger, le candidat du Mouvement de libération du peuple centrafricain (MLPC) peut aussi être ferme. A Kaga Bangoro, point de friction entre l’ex-rébellion Séléka et les milices anti-balaka, il a exhorté les jeunes «de désarmer immédiatement». Car rétablir la sécurité est sa priorité explicite. «Cela passerait par une remise en marche des forces armées structurées, des forces de police, ce qui a déjà été entamé par le gouvernement de transition en partenariat avec la communauté internationale», explique-t-il dans un entretien accordé, lundi, à Jeune Afrique. Une communauté internationale dans laquelle il a des liens, étant membre de l’Internationale socialiste.
Le successeur d’Anicet Georges-Dologuélé au poste de Premier ministre de Patassé en 2001 est à l’origine d’une opération «mains propres» visant les douaniers véreux. Adversaire historique de Bozizé, il a aussi encouragé son limogeage du poste de chef d’état-major de l’armée en 2001, pour «mauvaise manière de servir». Très impliqué dans la vie politique de son pays, il mise sur «la réconciliation des Centrafricains, chrétiens, musulmans».
Abdoul Karim Méckassoua, l’indépendant
«Nous réconcilier». Un maître mot pour lui aussi. Abdoul Karim Méckassoua se présente comme le «candidat de l’union». Connu pour avoir postulé à la présidence de transition en janvier 2014, cet ingénieur ergonome de 63 ans n’a ni parti politique ni vrai ancrage local.
Pourtant, il connaît les rouages du monde politique. Abdoul Karim Méckassoua traîne derrière lui un passé putschiste (loin de le disqualifier). Il a participé à l’élaboration du coup d’Etat du 15 mars 2003, substituant François Bozizé à Ange-Félix Patassé. En récompense de sa fidélité, il est nommé ministre des Affaires étrangères puis hérite de cinq portefeuilles différents. Cependant, c’est Anicet Georges Dologuélé qui a reçu le soutien officiel de Bozizé et de son parti le Kwa Na Kwa (KNK).
Comme les autres, ce businessman du secteur minier n’a pas sous-estimé l’importance des campagnes électorales. Goodies et francs CFA, tout est bon pour appâter l’électeur. Après un grand défilé de motos, de voitures et de camions, le candidat de confession musulmane a même tenu un de ses meetings dans le quartier Combattant, l’un des fiefs des anti-balaka chrétiens. Proche du président congolais Denis Sassou Nguessou, il a bénéficié de son soutien financier pour sa campagne.
Centrafrique : Jour d’élections
http://gabonreview.com/ Gérald Mounomby sur mardi 29 décembre 2015 à 2:46
Un pays d’Afrique centrale vit au rythme des élections présidentielles en cette fin d’année 2015 : la République centrafricaine. 30 candidats, dont 3 anciens Premiers ministres. Près de 2 millions d’électeurs sont appelés à les départager ce mercredi 30 décembre dans ce pays producteur de diamant, de bois, d’uranium et d’or.
Après une transition politique de près de deux ans débutée en janvier 2014, la République Centrafricaine a décidé, après moult perturbations marquées par un conflit interreligieux ayant causé des milliers de morts jusqu’au referendum tenu il y a tout juste trois semaines, d’organiser le double scrutin présidentiel et législatif dans deux jours, le 30 décembre prochain. Le scrutin est ouvert. La présidente et tous les responsables de la Transition ne peuvent se porter candidats.
Pour l’élection présidentielle qui avait vu initialement 42 personnalités se porter candidates, la Commission électorale a retenu 30 candidatures. Parmi elles, celle des anciens Premiers ministres Anicet-Georges Dologuélé, 58 ans, candidat de l’Union pour le Renouveau Centrafricain (URCA) ; Martin Ziguélé, 58 ans, candidat du Mouvement de Libération du Peuple Centrafricain (MLPC) et de Faustin-Archange Touadéra, dernier Premier ministre de François Bozizé.
L’élection se joue entre l’ancien ministre Meckassoua et les 3 anciens Premiers ministres Dologuélé, Ziguélé et Touadéra
D’autres principales figures du paysage politique centrafricain seront présentes à ce scrutin. Il s’agit notamment d’Abdou Karim Meckassoua, ancien ministre, de Laurent Gomina-Pampali, ancien ministre, président de l’Union nationale des Démocrates pour la République (UNADER), de Jean-Barkès Ngombé-Ketté, maire de Bangui de 2004 à 2011, de Guy Moskit, journaliste, ancien ministre, candidat du Mouvement pour la Solidarité nationale, et de Théophile Sony-Colé, ancien syndicaliste.
En plus de la présence d’une seule femme à ce scrutin, Régina Konzi-Mongot, 53 ans, cette élection a la particularité de voir concourir également trois fils d’anciens présidents de la République. Il s’agit de Jean-Serge Bokassa, fils de Jean-Bedel Bokassa, candidat de Centrafrique Nouvel Elan (Cane), qui a notamment vécu au Gabon, pays de sa mère, et en France, avant de revenir dans le pays de son père ; de Sylvain Patassé, 46 ans, fils du Président Ange-Félix Patassé, et de Désiré Kolingba, candidat du Rassemblement démocratique centrafricain (RDC), le parti créé par son père André Kolingba. Ils ont l’autre particularité d’avoir tous été ministres sous François Bozizé.
Jean-Serge Bokassa, Sylvain Patassé et Désiré Kolingba – trois fils d’anciens présidents de la République- sont candidats
Selon des diplomates en poste dans la capitale centrafricaine, cette élection se joue entre Anicet-Georges Dologuélé, Abdou Karim Meckassoua, Faustin-Archange Touadéra et Martin Ziguélé. Le premier – un candidat d’envergure, un des favoris du scrutin de mercredi prochain – a signé un accord avec le parti de François Bozizé, le Kwa Na Kwa (KNK), populaire dans certains quartiers de Bangui et dans diverses localités du pays. L’ancien président de la BDEAC et ancien Premier ministre d’Ange-Félix Patassé jouit d’une certaine popularité à Bangui et dans les grands centres urbains, mais – paradoxe des paradoxes – des sources diplomatiques indiquent que son alliance avec Bozizé est à double tranchant : elle pourrait lui faire gagner des voix, elle pourrait aussi l’empêcher de gagner, car beaucoup de Centrafricains se disent convaincus qu’une victoire de Dologuélé pourrait précipiter le retour à Bangui de l’ancien président, alors qu’ils souhaiteraient voir celui-ci rester le plus longtemps à l’étranger. Le deuxième – l’ancien ministre Abdou Karim Meckassoua, de confession musulmane – avait été proposé par Denis Sassou Nguesso, médiateur de la crise centrafricaine, pour diriger la Transition lors de l’éviction de Michel Djotodia en janvier 2014, mais c’est Catherine Sambat-Panza, ancien maire de Bangui, qui avait in fine été choisie par les délégués centrafricains.
Depuis les débuts de la transition, Karim Meckassoua n’a pas cessé d’appeler à la démission de Samba-Panza ; ce qui a donné de lui l’image d’une personnalité impatiente et sans retenue. Le troisième candidat d’envergure, l’universitaire Faustin-Archange Touadéra, a été le dernier Premier ministre de François Bozizé jusqu’au départ de celui-ci du pouvoir en mars 2013 lors du coup d’Etat de Michel Djotodia. On se demande pourquoi l’ancien président centrafricain n’a pas appelé à voter pour lui, préférant s’allier à Anicet-Georges Dologuélé. Quant à Martin Ziguélé, il avait contraint le président François Bozizé à un second tour en 2005 au moment où celui-ci était au zénith de sa popularité. A l’élection de 2011, le «Sphinx de Paoua» (surnom de Ziguélé) avait boycotté l’élection, estimant que Bozizé ne voulait pas jouer franc jeu. Il revient en 2015 dans cette élection qui devrait, de l’avis de nombreux observateurs, le voir arriver au moins dans le trio de tête.
Bozizé, vainqueur moral du scrutin ?
Beaucoup d’observateurs pensent que, bien que sa candidature ait été rejetée, François Bozizé, l’ancien président, qui vit en exil en Ouganda, sera le grand vainqueur moral de cette élection. Non seulement, il a signé un accord électoral de gestion partagée au sein de l’Assemblée nationale et du gouvernement avec l’un des favoris du scrutin, mais en plus un très grand nombre de candidats ont été ministres sous son magistère. Ce qui pourrait lui ouvrir les portes d’un retour apaisé en Centrafrique, même s’il y est l’objet d’un mandat d’arrêt.
La République Centrafricaine est peuplée de 4,2 millions d’habitants. Sa capitale Bangui est le siège de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC) dont les activités ont été provisoirement transférées à Libreville. L’Etat Gabonais a offert une enveloppe d’un milliard de francs CFA pour l’organisation des élections dans ce pays.