ELECTION PRÉSIDENTIELLE
Par Patricia Huon, Envoyée spéciale Libération à Bangui — 29 décembre 2015 à 18:11
Les Centrafricains espèrent mettre fin à trois ans de conflit entre chrétiens et musulmans grâce au scrutin de ce mercredi, malgré les fraudes qui risquent de l’entacher.
«C’est notre chance de sortir du gouffre», s’enthousiasme André Gamtan, un des chefs du quartier Boeing, qui jouxte l’aéroport, dans le nord de Bangui, capitale de la République centrafricaine (RCA). Le processus électoral, c’est la quête du Graal de ce pays. Maintes fois reportés, les scrutins présidentiel et législatif se tiennent finalement ce mercredi. Des élections à marche forcée, voulues par une communauté internationale - France en tête - désireuse de tourner la page malgré l’insécurité et les difficultés logistiques.
Mais la fièvre électorale a gagné les Centrafricains. Près de deux millions d’électeurs sont inscrits sur les listes. «Tout le monde se sent concerné,dit le notable André Gamtan. Les gens sont fatigués, ils veulent voter pour la paix.» Dans les rues de Bangui, la population se surprend à espérer. Un sentiment presque oublié après trois années de crise, initiée par le coup d’Etat contre le président François Bozizé par la coalition rebelle Séléka, majoritairement musulmane. Les violences intercommunautaires et la prolifération des milices ont laissé le pays exsangue et fait des milliers de victimes.
«Nous voulons un président qui puisse nous unir. Avant, les musulmans venaient ici acheter des légumes. Aujourd’hui, ils n’osent plus sortir de chez eux, constate Eugénie Nganatoua, une cultivatrice qui se plaint d’avoir vu fondre ses maigres revenus. Il faut ramener la cohésion sociale.» Signe d’un apaisement des esprits, dans le quartier de Boeing, ancien fief des anti-balaka, ces membres des milices d’autodéfense se font moins visibles, au soulagement de la population, exaspérée par le racket et les larcins commis par ces groupes censés la protéger. Appuyés par le nouveau ministre de la Défense du gouvernement de transition, des soldats des Forces armées centrafricaines (les «ex-Faca») ont laissé tomber ces alliés devenus encombrants et ont repris un peu le contrôle dans les quartiers.
«Processus imparfait»
De l’autre côté de la piste d’atterrissage s’étend le camp de déplacés de M’Poko. Un dédale de tentes où plus de 20 000 personnes végètent dans des conditions insalubres. La plupart des familles sont arrivées ici il y a deux ans, en décembre 2013, lorsqu’une flambée de violence a embrasé Bangui. Fiacre Ferengai vivait près du PK5, le quartier musulman de la ville. Cet ex-mécanicien déballe les poupées de plastique qu’il vend sur le marché pour les fêtes de fin d’année. Il lutte pour survivre au quotidien dans un des pays les plus pauvres au monde. «Ma femme et ma fille ont été tuées par les Séléka, ma maison a été détruite, raconte le jeune homme. Mais je pourrai reconstruire. Si la paix revient, nous pourrons à nouveau vivre avec les musulmans.» Dans son habitation de fortune faite de bâches et de poutres de bois, des posters d’équipes de football et des photos de famille sont épinglés au mur, des nounours posés sur le lit. «Je me débrouille comme je peux, ma sœur qui est partie au Cameroun envoie parfois un peu d’argent. Mais nous ne pouvons pas rester ici éternellement», soupire-t-il.
La Centrafrique avance pas à pas, en équilibre instable, avec la crainte permanente d’un retour en arrière. Pour l’instant, le défi, c’est la sécurisation du scrutin. La Mission des Nations unies pour la stabilisation en Centrafrique (Minusca) a été mobilisée pour aider à l’acheminement du matériel électoral et assurer que ce vote se déroule sans troubles.
Le référendum constitutionnel des 13 et 14 décembre a été entaché de violences, notamment à Bangui, où cinq personnes ont été tuées au PK5. «Ce vote a servi de test, dit Parfait Onanga-Anyanga, chef de la Minusca, en poste dans la capitale depuis août. Depuis, nous avons renforcé notre visibilité et nos capacités, organisé plus de patrouilles.» Comment surveiller 5 600 bureaux de vote dans un pays un peu plus vaste que la France, mais avec des infrastructures routières et de communication quasi inexistantes ? Observateurs et candidats s’accordent tous sur un point : le risque de fraude est important. Les standards démocratiques sont relatifs lorsque la tenue même d’un scrutin semble relever du miracle. «Le processus électoral sera imparfait, dit le chef de la Minusca, mais nous avons mis en œuvre tous nos moyens pour assurer sa crédibilité.»
«Homme du passé»
Banderoles et affiches électorales bordent toutes les avenues et les ronds-points de Bangui. Trente candidats se présentent à l’élection présidentielle. La plupart n’ont aucune chance de l’emporter. D’autres affirment viser une victoire dès le premier tour. C’est le cas d’Anicet-Georges Dologuélé, «AGD», l’un des favoris. Affable et pondéré, cet économiste de formation a été Premier ministre de 1999 à 2001. Un mandat qui évoque une rare période de calme dans les esprits de la population centrafricaine. Mais l’homme, s’il est perçu comme compétent, traîne aussi des casseroles et le sobriquet de «monsieur 10 %», hérité d’accusations de détournement d’argent lorsqu’il était à la tête du gouvernement. Il jouit néanmoins d’un avantage depuis que, la semaine dernière, le Kwa Na Kwa (KNK), parti du président déchu François Bozizé, a appelé à voter pour lui. L’ancien chef de l’Etat, qui vit en exil en Ouganda et dont la candidature à l’élection présidentielle a été rejetée par la Cour constitutionnelle, jouit encore d’un large soutien à travers le pays. «Les jeunes n’ont connu que Bozizé, mais ils réalisent que c’est désormais un homme du passé, dit Anicet-Georges Dologuélé, satisfait de sa campagne. Ils veulent un nouveau leader, un champion qui les sortira du désespoir dans lequel ils vivent.»
Autre poids lourd de ce scrutin, Martin Ziguélé a lui aussi martelé le slogan «premier tour, KO !» alors qu’il sillonnait le pays. Ancien Premier ministre d’Ange-Félix Patassé (de 2001 à 2003), opposant historique de Bozizé, candidat malheureux lors des présidentielles de 2005 et 2011, il fait du retour de la sécurité la priorité de son programme. «C’est la condition préalable au développement, dit-il. Il faut intégrer les membres des groupes armés dans les forces de sécurité ou leur offrir d’autres perspectives d’emploi.» Son parti, le Mouvement de libération du peuple centrafricain (MLPC), est bien implanté sur le territoire. Ce membre de l’Internationale socialiste pourrait cependant pâtir de la réputation de «candidat de la France» dont l’ont affublé ses adversaires, qui l’accusent aussi d’avoir facilité l’arrivée de la Séléka pour se débarrasser de son rival Bozizé.
Climat volatil
D’autres prétendants pourraient séduire les électeurs, tels Karim Meckassoua, candidat musulman indépendant, ministre de Bozizé et ancien président de la Banque de développement des Etats de l’Afrique centrale, ou Désiré Nzanga Kolingba, fils de l’ex-chef d’Etat André Kolingba. Catherine Samba-Panza, présidente du gouvernement de transition dont le mandat prendra fin en mars, n’avait, elle, pas le droit de se présenter. Sous pression, elle a rappelé sa détermination à tenir ses engagements vis-à-vis de la communauté internationale.
Malgré les problèmes techniques, alors que les bulletins de vote n’ont pas encore atteint tous les bureaux, les élections auront bien lieu. Elles s’annoncent chaotiques, mais pourraient se dérouler sans incident majeur. «Alors qu’on prévoyait le pire, la situation est pour l’instant très calme et devrait le rester lors de ce premier tour», estime une source sécuritaire à Bangui. Nourredine Adam, le chef rebelle à la tête d’une faction radicale de l’ex-Séléka responsable des violences lors du référendum, a déclaré dans un communiqué qu’il renonçait à perturber les élections. Par ailleurs, le ralliement du KNK derrière Anicet-Georges Dologuélé a aussi calmé, pour l’instant, les revendications des milices anti-balaka partisanes de François Bozizé, déçues de son exclusion du scrutin.
Le vrai risque surviendra après l’annonce des résultats. «Le climat est toujours très volatil et le désarmement n’a pas eu lieu, dit un analyste, qui requiert l’anonymat. Pour l’instant, chacun est persuadé que son candidat va l’emporter. Tout reste possible en cas de contestation après la proclamation.» Des alliances se feront lors du second tour mais, pour sortir de l’impasse, la capacité du nouveau chef de l’Etat à former un gouvernement inclusif sera essentielle. Quel que soit le vainqueur du scrutin, les défis seront immenses.