G.L. | Publié le 12.02.2014, 07h39 | Mise à jour : 14h31
Jean-Yves Le Drian se rend en Centrafrique mercredi, sa troisième visite dans le pays depuis le déclenchement de l'opération française «Sangaris» début décembre. A Bangui, la capitale, il rencontre notamment la présidente Catherine Samba Panza. Mardi, dans une déclaration à la presse depuis la République démocratique du Congo, le ministre français de la Défense a durci le ton contre les milices.
«Il faut que l'ensemble des milices qui continuent aujourd'hui à mener des exactions, à commettre des meurtres, arrêtent», a-t-il dit, demandant aux forces françaises et africaines en Centrafrique d'«appliquer les résolutions des Nations unies, si besoin par la force». «Nous poursuivons notre action de manière ferme pour l'avenir», a ajouté le ministre, s'exprimant après un échange avec son homologue congolais Charles Richard Mondjo.
Entamée dimanche, cette tournée est axée sur la poursuite de l'action militaire de la France pour stabiliser la Centrafrique et la réorganisation du dispositif français au Sahel. Avant le Congo, médiateur régional de la crise en Centrafrique, le ministre s'était rendu au Tchad.
Les menaces de la présidente Catherine Samba Panza. La présidente centrafricaine de transition a elle aussi durci le ton, affirmant vouloir «aller en guerre» contre les milices d'autodéfense anti-balaka, coupables de nombreuses exactions dans le pays, en particulier envers la communauté musulmane devenue la cible de pillages et de lynchages quotidiens. «Les anti-balaka, on va aller en guerre contre eux. (Ils) pensent que parce que je suis une femme je suis faible. Mais maintenant les anti-balaka qui voudront tuer seront traqués», a déclaré Catherine Samba Panza en sango, la langue nationale, devant les habitants de Mbaïki (80 km au sud-ouest de Bangui), lors d'une visite en compagnie du ministre français de la Défense Jean-Yves Le Drian.
Washington attentif. Lors de sa visite d'Etat à Washington, François Hollande a plaidé avec son homologue américain Barack Obama pour «une alliance transformée» entre leurs pays, qui inclurait le dossier centrafricain. Les deux dirigeants ont souligné que l'Afrique, particulièrement au Mali, au Sahel et en Centrafrique, était le théâtre «le plus visible» de ce «nouveau partenariat».
«Nous pensons qu'il faut des forces de sécurité supplémentaires, notamment des unités étrangères de police pour aider à sécuriser Bangui en particulier», a estimé la secrétaire d'Etat adjointe américaine pour l'Afrique, Linda Thomas-Greenfield.
Pallier la crise alimentaire. L'organisation de l'ONU pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) a lancé mercredi un appel d'urgence pour obtenir 37 millions de dollars afin d'aider les agriculteurs en Centrafrique à conjurer «une crise alimentaire de grande envergure». «Des semences et outils essentiels doivent être livrés d'urgence aux agriculteurs de Centrafrique en vue de la campagne des semis qui démarrera en mars afin de conjurer une crise alimentaire et nutritionnelle généralisée», indique l'organisation dans un communiqué.
Mercredi également, le Programme alimentaire mondial (PAM) a lancé un pont aérien entre Douala (Cameroun) et Bangui pour acheminer des vivres pour 150 000 personnes pendant un mois. Un premier avion-cargo chargé de 80 tonnes de riz s'est posé en début d'après-midi à Bangui Il devrait être suivi de 24 rotations quotidiennes sur la capitale de la Centrafrique, où 1,3 million de personnes, soit plus d'un quart de la population du pays, a besoin d'une assistance alimentaire.
«Ça va nous faire un ballon d'oxygène, mais ça ne réglera pas le problème à terme», a prévenu le porte-parole du PAM Alexis Masciarelli. «Vu l'ampleur des besoins, cette opération va nous permettre de mieux répondre à l'urgence mais pas de refaire nos stocks. Il faudrait pour cela que la route (entre la frontière camerounaise et Bangui, ndlr) soit rouverte de manière régulière», dit-il.
L'ONU souhaite des troupes supplémentaires. Le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, a estimé qu'un éclatement de la République centrafricaine (RCA) était tout à fait possible étant donné le niveau de l'animosité entre chrétiens et musulmans. «La brutalité sectaire est en train de changer la démographie du pays, la partition de facto de la RCA est un risque avéré», a-t-il déclaré à un groupe de journalistes.
«Nous devons faire davantage pour prévenir de nouvelles atrocités, protéger les civils, rétablir l'ordre, fournir l'aide humanitaire et maintenir l'unité du pays», a-t-il affirmé. Comme il l'avait fait dans un entretien téléphonique lundi avec le ministre français des Affaires étrangères Laurent Fabius, Ban Ki-Moon a demandé à la France «d'envisager de déployer des troupes supplémentaires».
Il souhaite aussi que l'Union européenne «accélère le déploiement de son opération militaire» prévue en RCA. La Misca (force de l'Union africaine en RCA) compte actuellement environ 5 400 hommes sur les 6 000 prévus et les soldats français sont au nombre de 1 600. La force africaine pourrait être transformée en mission de l'ONU. L'Union européenne a de son côté promis de déployer environ 500 soldats à Bangui au début du mois de mars.
Alors que «la situation continue de se détériorer» en RCA, la réponse internationale à cette crise «n'est pas à la hauteur de la gravité de la situation», a jugé Ban Ki-Moon. La réaction internationale doit être «énergique, avec un déploiement de force crédible, cohérent et rapide», a-t-il affirmé.
Un «nettoyage ethnique» dans l'ouest ? C'est le point de vue d'Amnesty International. L'ONG critique notamment «la réponse trop timorée de la communauté internationale», en notant que «les troupes internationales de maintien de la paix se montrent réticentes à faire face aux milices anti-balaka».
Amnesty international a aussi interpellé mercredi dans un communiqué l'opinion internationale sur le «nettoyage ethnique» de civils musulmans qui se déroule selon elle dans l'ouest de la Centrafrique, et que les forces internationales ne «parviennent pas à empêcher». L'ONG appelle la communauté internationale à «faire barrage au contrôle des milices anti-balaka et déployer des troupes en nombre suffisant dans les villes où les musulmans sont menacés».
Le 29 janvier à Boda, dans le nord-ouest, le départ des Séléka, consécutif à la démission de leur chef, a entraîné une flambée de violence sans précédent, faisant au moins 84 morts chrétiens comme musulmans, selon la Croix-Rouge locale. Et une attaque d'anti-balaka à Bossemptélé (ouest) a fait «plus de 100 victimes parmi la population musulmane» le 18 janvier, ajoute Amnesty. Le 16 janvier, l'ONU avait appelé à agir pour éviter un génocide.
LeParisien.fr