LE MONDE | 14.01.2014 à 19h01 |Par Cyril Bensimon
Le Tchad a donné, le Tchad a repris. Lorsque le président Idriss Déby, fermement soutenu par la France et par le Congo-Brazzaville, l'a décidé, Michel Djotodia n'a eu d'autre choix que de s'exécuter et de se dévêtir d'un costume présidentiel trop grand pour lui. En République centrafricaine (RCA), l'histoire vient de bégayer. En 2003, François Bozizé avait conquis le pouvoir par les armes avec l'assentiment de son voisin du Nord. La Séléka, une coalition de mouvements rebelles, l'a renversé le 24 mars 2013 parce que N'Djamena l'a bien voulu et, selon des sources concordantes, a même appuyé le coup de force.
M. Bozizé aura tenu dix ans avant d'être poussé à l'exil, M. Djotodia n'aura eu que dix mois. Le temps que cet ancien fonctionnaire du ministère du plan, formé en Union soviétique, devenu chef rebelle puis président de transition, démontre son incapacité à tenir les rênes du pouvoir. Mais il n'est pas le seul responsable de l'effondrement total de son pays.
UN ETAT FANTÔME
Même s'ils s'en défendent, M. Bozizé et son clan ont, selon des sources centrafricaines et françaises bien informées, soufflé sur les braises et soutenu la déstabilisation depuis les pays environnants – Cameroun, République démocratique du Congo, Soudan du Sud et Ouganda. En un an, depuis les premières attaques de la Séléka en décembre 2012, la Centrafrique est passée du rang de pays malade à celui d'Etat fantôme.
Les provinces septentrionales du pays avaient, depuis des années, été laissées à l'abandon. Lorsque les rebelles sont entrés dans Bangui en mars 2013 après avoir balayé en trois jours la dernière résistance d'un régime moribond, ils se sont tout d'abord livrés à un gigantesque pillage, désossant les administrations, emportant tout ce qui avait la moindre valeur.
Ces combattants, originaires des provinces du nord de la Centrafrique, et des mercenaires venus du Tchad et du Soudan, auxquels se sont ajoutés des milliers de jeunes opportunistes et des combattants de la 25e heure, avaient pour seule ambition de se servir, pas de servir l'Etat. En province, durant trois mois, ils ont semé les germes de la haine intercommunautaire, qui a enflé depuis, en pillant les églises et en détruisant les registres d'état civil.
Après leur conquête du pouvoir, ils ont mené une campagne de terreur. On ne compte plus le nombre de maisons brûlées, d'exécutions sommaires. Selon l'ONU, un Centrafricain sur cinq a dû fuir son domicile. A l'extrême violence des combattants de la Séléka, leurs opposants, des miliciens « anti-Balaka » et des militaires des forces centrafricaines, ont répondu par des crimes aussi ignobles, n'épargnant ni les femmes ni les enfants, dont le seul tort était d'être musulmans et, par amalgame, complices du régime.
Les musulmans de Centrafrique et les ressortissants tchadiens qui n'ont pas fui vivent dans la terreur d'un « match retour » que leur promet une partie de la population majoritairement chrétienne. Leur protection à Bangui ne dépend que des soldats africains de la Mission internationale de soutien à la Centrafrique (Misca) et des militaires français de l'opération « Sangaris ». Les troupes internationales, largement déployées dans la capitale, ont empêché des massacres de grande ampleur mais la faiblesse des effectifs empêche une projection dans l'intérieur du pays.
PÉRIODE D'INCERTITUDES
Une nouvelle phase remplie d'incertitudes se dessine en Centrafrique avec la recherche d'un nouveau président de transition. Les jeux sont ouverts, les prétendants ne manquent pas mais trouver une personnalité consensuelle chargée de conduire le pays à de nouvelles élections ne sera pas aisé. M. Djotodia était entré mal assuré dans son rôle de président autoproclamé. L'ex-chef rebelle est parti en exil au Bénin, honni par la grande majorité de la population. Dix mois durant, ses déclarations de bonnes intentions ont été aussitôt démenties par la réalité. Lorsqu'il promet de mettre un terme au népotisme, qui caractérisait le régime précédent, il nomme des membres de sa famille et de sa communauté, les Goula, aux postes-clés comme le juteux ministère des mines. « On n'a rien contre Djotodia mais au moins il aurait pu nous éviter de nouvelles bêtises », ironisait il y a quelques semaines un jeune entrepreneur banguissois.
En septembre, face à la multiplication des exactions commises par ses combattants, le président annonce la dissolution de la Séléka mais, dans les faits, les « généraux » de l'ex-rébellion tiennent tous les leviers sécuritaires et les crimes se poursuivent. Il se pose en garant de l'unité du pays mais agite la menace de sécession. Il jure vouloir protéger le caractère laïque de la Centrafrique, réfute toute volonté d'islamisation (sa mère est chrétienne), mais ses soldats s'en prennent quasi exclusivement aux populations chrétiennes, au point que le spectre d'un conflit interconfessionnel plane sur le pays.
Avec son premier ministre, l'avocat Nicolas Tiangaye, qui avait sans l'avouer soutenu le coup d'Etat de mars 2013, les relations sont rapidement devenues exécrables. Les deux têtes de l'exécutif se sont enfermées dans une querelle d'ego paralysant le fonctionnement des institutions et la reprise économique. Leur bilan est catastrophique, ils laissent derrière eux un pays au bord du gouffre, rongé par la haine et où la situation humanitaire est effroyable.