Par Jacques Marie Bourget Bakchich jeudi, 22/12/2011 -
14:00
Des "privés" suisses ont espionné l'ex patronne d'Areva, Anne Lauvergeon, pour comprendre les tenants et
aboutissants de l'étrange balade du géant du nucléaire sur les bords de l'Oubangui. Bien inutile, il suffisait d'attendre l'enquête de Bakchich.
En matière d’écoutes téléphoniques Anne Lauvergeon, l’ancienne patronne d’Areva qui vient de porter plainte
pour avoir souffert d’espionnage, ne doit pas être dépaysée. A l’Elysée la charmante, et très instruite, dame a été, sous la flamboyante ère Mitterrand, la
« plume » de Tonton. Qui lui-même, faut-il
le rappeler, a été un maître dans l’art de dresser l’oreille à la porte des autres. Le Canard Enchainé le révèle, le 19 décembre, la blonde Anne se plaint de
« complicité et recel de violation du secret professionnel », « complicité et recel de divulgation de données portant atteinte à la vie
privée » et « complicité et recel d’abus de confiance » ! Du lourd.
Uramin, minier des îles
Mais, à l’époque où elle était encore
l’impératrice du nucléaire tricolore, qui pouvait avoir envie d’espionner cette ancienne élève de Normale Sup ? En réalité ils étaient nombreux à souhaiter capter la voix grave de
la belle blonde et celle, plus aigüe, de son mari Olivier Fric… Ce souhait, de regarder par le trou du téléphone, fut même brûlant à l’été 2007 quand Areva, contre 2,5 milliards
de dollars a lancé une « OPA amicale » pour racheter Uramin, une société minière théoriquement canadienne, mais surtout basée dans des paradis fiscaux.
La question roulant sur les lèvres brûlantes était la suivante « comment est-il possible de dépenser cette
énorme masse d’argent pour acquérir une société qui, au maximum, n’est valorisée qu’à 200 ou 300 millions de dollars ? Pis, qui sur le terrain minier de la Centrafrique où elle est
implantée, ne possède pas toutes les licences pour exploiter le gisement d’uranium de Bakouma ?» Des mal élevés (et parfois même mâles élevés) se demandaient même
si une âme damnée n’avait pas envoyé Anne Lauvergeon dans le mur, dans un dossier du genre « avions renifleurs ». Ces langues fourchues
avaient d’ailleurs raison d’évoquer ces avions là puisque y faire référence c’est évoquer Giscard ce qui, derechef, nous renvoie en Centrafrique !
Pourtant, Anne et ses experts tenaient bon : l’avenir est au tout nucléaire
sur toute la planète, même Kadhafi et les Emirats vont plonger dans les kilowatts atomiques. Pour le bien du futur approvisionnement en uranium, le prix n’avait pas de prix.
Payons donc 2,5 milliards puis buvons un coup.
Bozizé se sent cocufié
Vus de Bangui ces rêves en plutonium dorés ont une autre allure. Aujourd’hui, ayant le sentiment d’avoir été cocufié par
Anne et ses amis, l’excellent général Bozizé, chef de l’Etat crie « aux voleurs » par la voix inextinguible de son avocat Jacques Vergès. Plus grave le
général, lui-même auto proclamé président par un coup d’état qui a viré le très corrompu Patassé, sent le tapis du pouvoir glisser sous ses pieds. Son scénario, vous allez
le constater, n’est absolument pas crédible : pour sauver les intérêts d’Aréva en Centrafrique, la France de Nicolas Sarkozy serait bien capable de lancer contre lui une
forme de putsch, de le virer pour mettre à sa place un vrai ami comme Josué Binoua, le ministre de l’Administration qui vient, ça tombe à pic, de faire un long séjour en France…
C’est dire si à Bangui l’atome, même sans EPR, électrise.
Revenons à l’Histoire, la source de toutes les vérités. C’est en 1959 que le gisement de M’Patou, près de Bakouma est mis
à jour. En 1969, l’Etat Centrafricain et la Compagnie Française des Minerais d’Uranium (CFMU), fondent une société commune, URBA. En 1973 c’est la compagnie Société Aluminium Suisse qui reprend
la pioche après de premiers essais peu concluants. Cette fois le duo helvéto-centrafricain accouche d’une firme baptisée URCA. En 1978, tout le monde est prêt à piocher si un financement se fait
jour… Mais le rêve s’écroule avec le cours mondial de l’uranium.
Centrafrique l'eldorado nucléaire
Quinze ans plus tard l’eldorado nucléaire refait surface. Le 26 février 2006 est
signée à Bangui une convention de plus, cette fois entre l’Etat et Uramin CAR Limited une société de droit des Iles Vierges britanniques. L’Article 2.1.1 prévoit la constitution d’une société de
droit centrafricain (une de plus) qui « aura pour objet de détenir le permis d’exploitation et de conduire les opérations minières ». Il est bien précisé que
c’est cette nouvelle boîte à outils qui fera la demande de permis d’exploitation et que ce dernier aura une validité de 25 ans. Tout roule enfin.
Sauf qu’un os de yassa poulet se glisse dans l’aventure. Les fourbes d’Uramin CAR Limited, par un subterfuge qui reste à mettre
à jour (corruption d’un fonctionnaire ? Inimaginable !), Uramin donc, obtient le permis de piocher en son nom propre et non en celui de la société fraternelle qui doit naître de
l’accouplement entre Centrafrique et Iles Vierges. Le décret 06/149 du 2 mai 2006 est bien attribué à la seule Uramin. A croire que le général Bozizé est bien
distrait ?
En août 2007 survient l’extase, l’OPA d’Areva sur Uramin. Tant pis pour Anne et ses experts si le permis
d’exploiter est pour le moins fragile si Bozizé décide d’acter en justice… Pour les besoins de la cause, Uramin CAR Limited devient, sous l’onction d’Areva, la société Uramin
Centrafrique SA. Un avenant vient, ouf, régler le malentendu portant sur le permis d’exploiter. Le 1er aout 2008, sous la charge du roi de Levallois, et chargé des affaires africaines de
Sarkozy, Patrick Balkany, Bozizé accepte de donner à Areva les droits initialement accordés à Uramin. Toutefois, mais on s’en serait douté, l’article 3.2 du nouvel accord
prescrit que « le transfert du titre d’Uramin à Areva se fera dans les conditions prévues par les textes en vigueur en République Centrafricaine »… Un Etat
bien connu pour sa fermeté en matière de droit.
Droit et passe droit
Parfait puisque le 26 février 2010 une réunion, autour des responsables centrafricains, d’Enrico Barbaglia
vice-président d’Areva et de Daniel Wouters vice-président « Ressources Afrique du Sud » et vice-président « Business
Development » chez Areva toujours, une réunion donc qui met tout le monde d’accord pour entériner la convention minière du 28 février 2006, celle, je le rappelle aux étourdis,
signée entre Bangui et Uramin. Une boîte qui n’en fait qu’à sa tête.
Alors que ces courageux mineurs devaient tout bonnement transférer leur permis d’exploiter « obtenu par la
ruse » à Areva Ressources Centrafrique, voilà que par le truchement de maître Doraz Serefessenet, notaire à Bangui, Uramin ne
« transfère » pas le sacrosaint permis, mais en fait « cession ». Ce qui, si on sait lire, veut dire qu’Areva devrait pour
cela ouvrir sa bourse ? Non. Chez Uramin on est avant tout mineurs et pas hommes d’argent. Officiellement le permis a été gratuit. Sauf que la convention prévoit que « la
cession est exonérée de tout droit d’enregistrement et de timbre et ne donne pas lieu à une imposition des plus values ». Voilà qui n’est pas courtois pour le si exsangue
Trésor de Centrafrique. Des juristes locaux, qui voient tout en noir, écrivent alors «Fort de cette cession rocambolesque, un enregistrement à titre gratuit a été effectué par le
service de la Conservation foncière le 31 aout 2010, en fraude aux droits de l’Etat ». Décidemment, Bozizé ne tient pas ses fonctionnaires !
Où l'on retrouve la bande à Balkany
Et voilà un général qui se croyait assis sur un tas d’or et qui n’est plus qu’un roi nu. Si l’exploitation du site de Bakouma
est possible, elle sera coûteuse même si le minerai a une très riche concentration en uranium. Et patatras, Fukushima est passé par là et le nucléaire ne vaut plus un clou. C’est trop
bête.
Pour la Centrafrique, restent les larmes, elle en a l’habitude et vit même l’arme au pied. Mais, en cocu qui fait un sursaut, le
général-président Bozizé n’entend pas se laisser faire. Ses avocats ont demandé à rencontrer ceux d’Areva. Le duel aura-t-il lieu sur le pré de
Bakouma ?
Si un autre acteur de cette coûteuse et ténébreuse affaire, homme de premier plan dans la panoplie de la Françafrique, est
aujourd’hui dans l’embarras, c’est bien Georges A. Forrest. Néo-zélando-belgo et potentat de la République du Congo… Un ennemi des militants altermondialistes qui accusent
cet empereur de tous les minerais de « sucer le sang des africains ». Forrest grand ami de Balkany, a
contresigné l’accord entre la Centrafrique, Areva et Uramin, en tant que « facilitateur » (je n’invente rien). Ah, un « facilitateur » c’est bien utile quand on signe des
contrats. Ce n’est pas Balladur qui viendra dire le contraire.
Résultat de ce sketch : les malfaisants qui ont écouté illégalement Anne Lauvergeon se sont certainement
bien amusés de voir, en direct, Areva creuser son trou. Ce qui est pourtant bien normal pour des mineurs.