* Urbaniste en Chef Freelance,
Expert en Développement Urbain (France)
La République Centrafricaine d’une
manière générale, et la ville de Bangui en particulier ne devraient pas souffrir de la crise d’électricité d’origine hydraulique car le pays a une
potentialité énorme en cours d’eau. Les pouvoirs publics ne peuvent donc pas se consoler face à la crise d’électricité dans la ville de BANGUI en comparant ce problème à celui d’autres pays
africains qui n’ont pas cet avantage naturel.
La responsabilité des pouvoirs publics dans cette crise se situe à plusieurs niveaux,
notamment :
- La négligence dans la prise en compte de la prévision de croissance de la
consommation d’électricité ;
- Le renouvellement prévisible et à
temps des équipements vétustes ;
- L’absence d’une politique de distribution d’électricité à des tarifs accessibles à toute la population avec le double avantage d’élargir la base des consommateurs et d’éviter efficacement la fraude pour laquelle l’usage
de la force crée inutilement des remous sociopolitiques ;
- L’absence d’action concertée avec les services de l’urbanisme pour conduire et
distribuer l’électricité à temps aux lotissements existants ou prévus afin d’empêcher aux fraudes de s’établir ;
- L’absence de la participation des représentants des consommateurs aux organes de
décision, devant à la fois veiller à leurs intérêts, mais ayant également un rôle de sensibilisation de ceux-ci etc.
La crise d’électricité à Bangui fait très clairement comprendre notre retard dans
l’électrification de l’ensemble du pays. Or la création d’industries spécialisées en fonction des potentialités des préfectures ou régions et pouvant développer ces différentes zones, résorber le
chômage local, assurer un rééquilibrage physique et économique du pays pour ralentir l’urbanisation excessive de la capitale dont les conséquences sont aujourd’hui mal gérées, est conditionnée
par l’énergie électrique d’origine hydraulique.
Ministre des Transports, des Travaux Publics, de l’Habitat et de l’Aménagement du
Territoire, j’ai été appelé de temps en temps à assurer l’intérim du Ministre des Mines, de l’Energie et de l’Hydraulique (1993-1995). Ce dédoublement fonctionnel m’a amené à suivre un dossier
commun aux deux départements ministériels au sujet de la recherche de trois solutions concernant :
1° la crise d’électricité actuelle, déjà prévisible à l’époque ;
2° la navigabilité du fleuve OUBANGUI toute l’année, c'est-à-dire 12 mois sur 12
au lieu de 6 sur 12 ;
3° l’alimentation en énergie électrique d’une usine de ciment prévue à BOBASSA (20 Km de Bangui au bord du fleuve) dans le cadre de la politique de l’habitat.
Au sujet de l’électricité, des études réalisées avaient prévu depuis 1993 une
croissance de 4,5% par an de la demande de consommation.
Pour faire face à cette croissance, l’ENERCA devrait réaliser en 1995 l’usine BOALI 3
pour un coût de cinq Milliards CFA, précisément l’équipement du barrage de régulation de deux turbines de 5MW.
Même réalisée, l’usine BOALI 3 n’allait répondre aux besoins en électricité que
jusqu’en 2000.
Après cette date, trois solutions étaient suggérées pour continuer à bénéficier
durablement de l’électricité d’origine hydraulique, à savoir soit :
-l’aménagement de la MBALI (BOALI 4)
représentant dans ce cas le double de BOALI 2 ;
-l’aménagement de la rivière LOBAYE
dont le débit est plus régulier d’une saison à l’autre que la MBALI ;
-La construction d’un bassin de retenue d’eau sur l’OUBANGUI.
Les études avaient conclu au choix de l’OUBANGUI, notamment le site de PALAMBO ou
même celui de ZAWARA pouvant permettre dans ce dernier cas une économie de 40 km de câbles.
L’option d’un barrage sur l’OUBANGUI est justifiée par les avantages
suivants :
-l’amortissement des coûts fixes de l’ouvrage sur la production de
l’électricité ;
-l’amortissement de ces mêmes coûts fixes sur la régulation du transport fluvial
grâce au bassin de retenue d’eau permettant la navigabilité du fleuve OUBANGUI 12 mois sur 12 ;
- un potentiel de production beaucoup
plus important que sur les autres cours d’eau ;
- l’alimentation de l’usine de
production de ciment de BOBASSA dans le cadre d’une politique de l’habitat, usine nécessitant généralement une forte consommation en énergie électrique. Sur ce point, il était tout à fait
invraisemblable que les installations de BOALI 2 alimentent l’usine de ciment promise par les autorités en 2010, l’éclairage de la ville de BANGUI étant déjà difficile ;
- la possibilité de vendre l’énergie ainsi produite aux pays voisins notamment le
Congo Brazzaville et le Nord du Congo Démocratique.
La mise en service de BOALI 3 étant prévue à l’époque pour 1995, les projections avaient fait apparaitre pour PALAMBO des besoins de réalisation par tranche de 7,5MW selon le calendrier suivant :
Première tranche en 1999 ;
Deuxième tranche en 2005 ;
Troisième tranche en 2011 ;
Quatrième tranche en 2016.
Le barrage de PALAMBO était estimé à l’époque à 67 Milliards de CFA dévalués et
devrait en plus de la production d’électricité, permettre une retenue d’eau devant réguler le niveau du fleuve OUBANGUI et assurer la navigation des bateaux en toute saison.
Il devrait avoir une possibilité de chasse de 1000 m3/s en aval, c'est-à-dire 50 fois
BOALI. La fourniture d’énergie devrait se faire à partir de six turbines pouvant être montées progressivement au fur et à mesure des besoins.
N’étant plus au Gouvernement à partir du mois d’avril 1995, je n’ai plus suivi directement
ce dossier. Cependant, bien qu’étant à la Mairie de Bangui, des financiers devant réaliser cet ouvrage ont pris contact avec moi et leurs propositions ont été transmises au Gouvernement le 12
janvier 1996. Leurs conditions étaient les suivantes :
- construction de l’ouvrage dont l’Etat demeure propriétaire au terme
d’une période de remboursement de 15 à 20 ans ;
- Remboursement par l'Etat des investissements sur une
partie des produits de vente de l'énergie électrique une fois l'ouvrage réalisé et mis en service. Cette formule devrait avoir l'avantage de permettre à l'Etat de conserver intactes ses capacités
d'emprunt vis-à-vis des bailleurs de fonds, aucune garantie ou aval n'étant requis de sa part pour le montage financier.
Tous ces dossiers existent certainement dans les tiroirs de l'Etat pendant que les problèmes d'électricité se sont accentués jusqu'à atteindre un niveau dont les conséquences sont aujourd’hui
dramatiques.
Même si le régime précédent n'a pas entièrement suivi les
conclusions des études et propositions mentionnées ci-dessus, la continuité de l'Etat ainsi que l'approche de l'échéance de la rupture des installations de BOALI devraient amener le pouvoir en
place à tout mettre en œuvre pour éviter la crise actuelle.
L’Etat ne pouvait-il pas programmer sur son budget 67 ou 7O milliards CFA dévalués en
plusieurs tranches depuis 2003 jusqu’à maintenant pour réaliser un ouvrage présentant tant d’avantages pour l’économie du pays ?
Dans le cadre de la coopération sous-régionale, une solution n’était-elle pas
possible ? N’est-ce pas à ce projet que le Président SASSOU NGUESSOU faisait allusion dans son discours à BANGUI à l’occasion de la clôture
du Dialogue National de 2003, en affirmant « Notre
communauté de développement repose sur des réalisations d’intérêts partagés tels : - la trans-équatoriale si utile et si chère à tous ;
- l’axe routier qui lie la République
Centrafricaine au Cameroun ;
- le
futur barrage sur l’OUBANGUI qui fournira l’électricité à la République Centrafricaine, à la République Démocratique du Congo et à la République du Congo, permettra l’irrigation des terres
alentours et résoudra les problèmes d’étiage sur l’OUBANGUI pour rendre celui-ci navigable toute l’année ;
- l’exploitation des grès de Carnot, un important projet qui concerne la République
Centrafricaine et le CONGO et qui attend depuis plusieurs années de passer de l’intention à l’acte ».
Le recul de notre pays et son retard ne
sont pas synonymes d’absence de solutions de nos cadres, mais surtout du sens de l’intérêt général. Dix ans après une étude réalisée en 1993 pour faire face à temps à la crise d’électricité (qui
a fini par arriver faute de dispositions nécessaires), c’est le Président du CONGO BRAZZAVILLE qui a rappelé en 2003 à nos autorités les
potentialités du pays et l’important projet dans ce domaine. Plus grave, bien que ce projet ait été rappelé, huit ans après, en 2011, non seulement
il n’a pas été réalisé, mais la population souffre de la crise d’électricité, exactement comme si les
pouvoirs publics ne savent pas que quand la nuit vient il fait sombre.
Il y a quelques jours, le Ministre de l’Energie et de l’Hydraulique expliquait dans
une déclaration publique au sujet de l’eau et de l’électricité qui deviennent de plus en rares, que de nouvelles perturbations se sont ajoutées au problème que connaissait déjà l’ENERCA. Or la
réalisation de BOALI 3 n’est possible que dans trois ans. Même achevées, les installations de BOALI 3 ne couvriront pas en entièrement les besoins de BANGUI, même si les délestages vont diminuer
certainement en 2014.
BOALI 3 ne fera que faire face partiellement et pour peu de temps à la crise actuelle
d’électricité, alors que le barrage de PALAMBO devrait la résoudre totalement, durablement, vendre l’énergie aux pays voisins, assurer la
navigabilité du fleuve OUBANGUI en toute saison, alimenter véritablement une usine de ciment pour faire face au problème de logement dont le déficit est quantitatif, qualitatif et
cumulatif.