Depuis la révélation au grand jour en 2005 de l’existence de plusieurs mouvements de rébellion armée en Centrafrique, niée d’abord par le gouvernement qui, sous la pression des faits a dû se
résoudre à la reconnaître, l’opinion a toujours rejeté l’option militaire voulue par le pouvoir comme moyen de règlement du conflit.
Me Goungaye Wanfiyo Nganatouwa
Sans être un soutien, cette mansuétude de l’opinion à l’égard de la rébellion qui n’est pas constituée que d’enfants de coeur, s’explique par une certaine conscience de la responsabilité des
pouvoirs publics dans le conflit.
En effet, le régime actuel est lui-même issu d’une rébellion armée, soutenue par
l’armée tchadienne. Il s’identifie d’ailleurs comme tel et ne s’encombre pas de légalisme puisqu’il célèbre chaque année avec faste et solennité
l’anniversaire du coup de force. Sa sécurité est assurée non pas par des forces de sécurité régulière centrafricaine mais par des mercenaires dont des sud-africains.
Le coup d’état du 15 mars 2003 aux effets ravageurs pour les Centrafricains mais que
certains s’évertuent encore à qualifier de « sursaut patriotique » a été justifié par ses auteurs par le refus du dialogue et la mauvaise
gestion du régime précédent.
Malgré sa légitimation par les urnes, ce régime reproduit exactement voire en pire ce
qu’il reprochait au précédent. Il se montre raide au dialogue et mène une politique basée sur l’exclusion, le clientélisme, la gestion patrimoniale du bien public, les violations massives et systématiques des droits de l’homme, l’impunité garantie aux criminels, la force et la violence c’est-à-dire tout ce qui
est aux antipodes de la démocratie et de l’état de droit.
La conséquence c’est qu’outre la détérioration de leurs conditions de vie, les
Centrafricains sont soumis à une insécurité permanente et totale qui n’a d’égal que le Far West du fait de la déliquescence de l’Etat. Ce pouvoir a
fait la preuve de son incapacité à engager des réformes sérieuses pour répondre aux aspirations des Centrafricains au plan économique et social et surtout à lutter contre la pauvreté et contre
l’insécurité générée en partie par lui-même.
Pour certains, cela constitue un motif sérieux pour le contester avec les mêmes moyens c’est-à-dire par la violence.
Or le maître mot du Dialogue National de 2003 était que désormais en Centrafrique,
tous les conflits doivent se régler par le dialogue. Cette idée a été institutionnalisée dans la Constitution du 27 décembre 2005 par la création
d’un Conseil National de la Médiation.
Devant des protagonistes qui se trouvent face à face avec la volonté d’en découdre et
les graves conséquences qui peuvent résulter de cet affrontement pour la population civile, il n’y a pas d’autre alternative que le dialogue même si certains pensent que c’en est un de
trop.
Cette énième rencontre sera utile pour
la République Centrafricaine si elle est menée de bonne foi avec la volonté de traiter les problèmes de fond pour sortir définitivement le pays de la crise politique, économique, sécuritaire et
humanitaire dans laquelle il est profondément plongé.
Pour ce faire, tous les protagonistes des crises doivent participer sans aucune
exclusion. Or on continue dans le discours officiel d’affirmer que l’ancien président Monsieur Ange Félix PATASSE et son ancien Ministre de la Défense, Monsieur Jean jacques DEMAFOUTH qui sont
des acteurs majeurs de la crise centrafricaine peuvent rentrer à BANGUI mais si la justice décide de les poursuivre, personne n ‘y pourra rien. En clair, on agite des menaces de poursuite
judiciaire pour les dissuader de participer à ce forum.
En outre, le cadre de ce dialogue tel
qu’il est déjà dressé risque de le plomber et de le transformer en une simple répétition du précédent c’est-à-dire qu’il ne débouchera sur rien qui puisse permettre au pays de sortir de l’ornière
à part la constitution d’un gouvernement d’union nationale pour la distribution des postes qu’espèrent certains comme le pense l’homme de la rue.
En effet les premières conclusions du Comité préparatoire du dialogue inclusif
renforcent la crainte des sceptiques, à savoir le verrouillage en amont du processus avec la caution de la communauté internationale pour donner un second souffle à un régime en totale perte de
vitesse, mais soutenu à bout de bras par ses parrains extérieurs.
Que peut-on attendre d’une tribune dont il est annoncé par avance qu’elle devra se
tenir à BANGUI mais ne devra pas aborder certaines questions notamment celle de la légitimité du pouvoir et celle des élections de 2005 sachant parfaitement que c’est justement ces élections et
le contentieux qu’elles ont engendré qui sont aussi à l’origine de la crise actuelle?
Le choix de BANGUI comme lieu du dialogue n’est pas anodin. Il s’agit de placer ce
dialogue sous l’égide du pouvoir alors que celui-ci n’est que l’une des parties prenantes.
Bien entendu, le problème de sécurité se posera pour certains participants. Il sera
rétorqué que des garanties seront données par la communauté internationale. Pourtant, c’est sous le contrôle impuissant du Bureau des Nations Unies en Centrafrique « BONUCA » que Claude
SANZE avait été sauvagement et sommairement exécuté le 3 Janvier 2006. Aucune enquête n’a toujours été ordonnée à ce jour sur ce crime d’Etat.
L’expérience du Dialogue National de 2003 a montré que le pouvoir sait utiliser des
moyens de pression pour s’assurer le contrôle et l’orientation des débats. Par conséquent la sérénité et la liberté indispensables à un débat contradictoire ne seront pas de mise si le dialogue
ne se tient pas sur un terrain neutre.
Certains brandissent le coût qu’engendrerait un déplacement hors du territoire
national mais ce n’est là qu’un argument de commodité qui masque mal la volonté d’imposer ce dialogue à BANGUI pour donner de l’ascendant au
pouvoir.
Sans vouloir polémiquer, si l’Etat trouve des moyens pour rétribuer des mercenaires
qui coûtent très chers, il peut au moins assurer des dépenses pour la recherche de la paix et donc de sa survie. Comme l’a si bien dit une
personnalité religieuse centrafricaine, la communauté internationale préfère-t-elle supporter à un coût plus élevé les conséquences d’une crise sécuritaire par le financement de la FOMUC, d’une
force multi- dimensionnelle Nations Unies /Union Européenne ou d’autres organes de sécurité plutôt que de dépenser pour un dialogue et donc pour la
paix , ce qui éviterait de plus grandes dépenses dans le futur?
Quoiqu’il en soit, si les Centrafricains veulent réellement régler leur problème sans la tutelle
financière extérieure, pourquoi les entités qui comptent participer au dialogue n’envisageraient-elles pas de prendre en charge leurs propres frais pour couper court aux allégations de la course
aux « per diem »?
Il est annoncé que ce dialogue permettra de préparer les élections de 2010. Mais
d’ores et déjà le pouvoir s’est employé et ce depuis des mois, à se donner les moyens financiers et militaires de son maintien par un passage en
force en 2010 voire au-delà puisqu’il a envisagé, conformément à la nouvelle ingéniosité en cours en Afrique, la révision de la Constitution pour modifier la limitation de la durée du mandat
présidentiel.
Sur ce point, des garanties sérieuses doivent être trouvées pour que les élections de
2010 se déroulent sans entraves pour tous les candidats et dans la transparence totale comme en 1993.
La communauté internationale qui s’est mobilisée pour aider à résoudre la crise
centrafricaine se rendrait paradoxalement complice d’un désastre en cas de résurgence d’une nouvelle crise si par sa caution, elle accepte un dialogue biaisé à moins qu’elle ne le fasse en toute
connaissance de cause, par cynisme ou pour préserver des intérêts géopolitiques et géostratégiques.
Il va sans dire que le succès serait assuré si parallèlement à ce dialogue, la
justice s’exerce normalement et pleinement car il ne peut y avoir de paix sans la justice.
Les victimes des crimes commis en Centrafrique depuis de nombreuses années ne doivent
pas avoir le sentiment que la paix est conclue à leur détriment sans quoi cela peut créer chez elles des frustrations et l’idée de vengeance, source de nouveaux conflits.
Il est non seulement indispensable mais impératif de combattre l’impunité. C’est
pourquoi tout en acceptant l’idée d’un dialogue pour une réconciliation des Centrafricains, la Ligue Centrafricaine des Droits de l’Homme avec la Fédération Internationale des Ligues des Droits
de l’Homme et l’Organisation pour la Compassion et le Développement des Familles en Détresse « OCODEFAD » a activement milité pour que la
justice internationale se saisisse de la situation en Centrafrique.
L’ouverture le 22 mai 2007 par Monsieur
Luis Moreno Ocampo, Procureur de la Cour Pénale Internationale d’une enquête sur la situation en Centrafrique contribuera à l’instauration d’une paix durable si la justice est impartiale et
équitable et comprise de toutes les parties prenantes.
Le processus du dialogue doit nécessairement conduire à des mesures d’apaisement par
une amnistie générale tout en prenant en compte le fait que le pays est sous enquête de la Cour Pénale Internationale
Ces mesures d’apaisement doivent intervenir sous deux conditions. La première c’est
qu’elles ne viseront exclusivement les crimes de droit commun. Mais il faudra mettre en place un système d’indemnisation des victimes des faits amnistiés. Dans le passé, une structure avait été
créée pour les victimes des mutineries et une autre pour celles des affrontements de 2002 et plus particulièrement les victimes des viols mais les dysfonctionnements de ces structures ont été
préjudiciables aux victimes. Il faut veiller à ne pas reproduire les mêmes erreurs.
En second lieu, il faut rappeler que
les crimes internationaux relevant de la compétence de la Cour pénale Internationale ne pourraient faire l’objet d’une amnistie. En application des dispositions des articles 27, 29 du Statut de
Rome, aucune amnistie, aucune prescription, aucune immunité et aucune qualité officielle n’est opposable à la Cour Pénale
Internationale.
Le lettre de Monsieur Luis Moreno Ocampo adressée au Comité préparatoire du dialogue
inclusif en de termes diplomatiques n’en reste pas moins explicite et ferme à ce sujet.
L’Etat considère que du fait que le renvoi a été fait par lui-même, les dirigeants
politiques sur qui pèsent des présomptions de responsabilité d’avoir commis des crimes internationaux relevant de la compétence de la Cour ne seraient pas concernés par l’enquête d’où la ridicule
et vaine tentative du gouvernement de vouloir faire inscrire dans les accords bilatéraux avec la Cour Pénale Internationale une clause limitant le champ d’investigation à la période de
2002.
Il n’est rien demandé d’autre à la justice internationale que d’être sélective
c’est-à-dire partiale ce qui amplifierait l’impunité en Centrafrique et dénaturerait totalement le statut de Rome.
Le Procureur de la Cour Pénale ne doit pas se limiter aux déclarations selon
lesquelles il porte une attention particulière aux graves crimes commis depuis 2005 dans le nord-est et nord-ouest du pays mais devra effectivement mener des investigations sur les faits allégués
pour ne pas faire l’objet de suspicion de partialité.
De même, en ce qui concerne la période de 2002-2003, l’enquête devra bien entendu porter sur les faits imputables aux forces gouvernementales de l’époque et leurs alliés, les « Banyamulengue » appartenant au Mouvement de Libération du Congo de Jean Pierre BEMBA mais aussi sur les faits commis par les rebelles de 2002 et
leurs alliés, « zaghawa » du Tchad.
C’est à ce prix seulement que la prévention des conflits qui est l’un des objectifs
de la Cour Pénale Internationale peut prendre tout son sens et ouvrira des nouveaux horizons pour une paix durable en Centrafrique.
Paris le 10 Avril 2008,
Me Nganatouwa GOUNGYE WANFIYO
Avocat.