Le pouvoir, impuissant, s'en remet à l'ONU
BANGUI, 25 sept 2013 (AFP) - Livrée à des bandes armées qui terrorisent la population, la Centrafrique s'enfonce dans une spirale sans fin de violences sous les yeux d'un pouvoir impuissant qui place désormais ses espoirs dans l'ONU, où une réunion est consacrée mercredi à l'avenir du pays.
A la tribune de l'ONU à New York, le président français François Hollande a lancé mardi un "cri d'alarme" sur le chaos en Centrafrique - ancienne colonie française - depuis le renversement le 24 mars du président François Bozizé par une coalition hétéroclite de groupes rebelles, le Séléka, dirigée par Michel Djotodia.
Mercredi, la France - qui réclame un engagement international fort sur ce dossier - co-préside avec l'ONU et l'Union européenne une réunion ministérielle consacrée à la Centrafrique, où les ex-rebelles sont accusés d'exactions multiples contre une population déjà épuisée par des années de conflits et de troubles.
Selon l'ONU, 1,6 million de Centrafricains, soit un tiers de la population, a besoin en effet d'une aide humanitaire d'urgence. Plus de 270.000 ont été déplacés ou se sont réfugiés dans les pays voisins.
Michel Djotodia, investi le 18 août président de transition, tente en vain depuis des semaines de prendre ses distances avec les chefs rebelles qui l'ont porté au pouvoir pour asseoir sa crédibilité internationale.
Après avoir lancé le cantonnement et le désarmement des éléments incontrôlés, M. Djotodia a même ordonné le 13 septembre la dissolution du Séléka pour mettre fin à l'anarchie.
Le président "était complètement dépassé par ses généraux, donc il s'en est désolidarisé", analyse un diplomate occidental à Bangui.
"Mais il n'a aucun moyen pour intervenir et restaurer l'ordre (...), il contrôle à peine un cinquième des forces Séléka", estimées une vingtaine de milliers de combattants, qui n'obéissent qu'à leurs propres chefs, ajoute-t-il.
Les forces de sécurité sont en effet totalement désorganisées, l'administration a cessé d'exister dans une bonne partie du pays et l'Etat ne perçoit plus ni impôt, ni taxe.
Seuls une force africaine - qui compte actuellement 1.400 hommes sur un total prévu de 3.600 - et un contingent de l'armée française positionné à l'aéroport de Bangui assurent un semblant d'ordre dans la capitale. Mais dès 18H00, les rues se vident et à la faveur de la nuit, pillages et exactions reprennent, selon de nombreux témoignages.
En province, et particulièrement dans le Nord-Ouest où des affrontements entre combattants Séléka, groupes d'autodéfense et partisans du président déchu ont fait une centaine de morts, selon la présidence, début septembre, la situation échappe à tout contrôle.
"Notre priorité aujourd'hui, c'est d'aider la population dans le Nord-Ouest (...) où les affrontements continuent", explique Vincent Pouget, délégué communication du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) à Bangui.
"En fuyant, beaucoup de gens ont tout perdu, et on essaye de leur fournir des vivres, du maïs, des haricots ou du sel, mais aussi des biens essentiels comme des couvertures, des moustiquaires et des ustensiles de cuisine", poursuit l'humanitaire.
Une tâche d'autant plus difficile que certaines localités restent inaccessibles aux secours "qui évitent d'emprunter certains axes routiers" à cause de l'insécurité, précise M. Pouget.
Le rapporteur spécial de l'ONU sur les droits des personnes déplacées, Chaloka Beyani s'est, lui, alarmé de "la destruction massive et systématique des registres publics, y compris les certificats de naissance" par des hommes armés à l'intérieur du pays lors de mises à sac des bâtiments publics.
Autre motif d'inquiétude, le risque croissant de tensions inter-religieuses, depuis les affrontements à Bossangoa qui ont opposé les combattants Séléka, musulmans, à des groupes d'autodéfense d'une population en grande majorité chrétienne, qui se vengeait à son tour sur la minorité musulmane.
"Chrétiens et musulmans ont toujours cohabité sereinement (...) Mais là, ces hommes armés attaquent directement une communauté: ils font de la provocation pour que ça dégénère", analyse le chef de mission de Médecins sans frontières (MSF) à Bangui, Sylvain Groulx.
La Centrafrique: instabilité et économie exsangue
BANGUI, 25 sept 2013 (AFP) - La Centrafrique, dont la situation fait l'objet mercredi d'une réunion à l'ONU, a connu de nombreuses années d'instabilité, de multiples rébellions, mutineries militaires et putschs.
L'anarchie y règne depuis la prise du pouvoir en mars par une coalition rebelle, le Séléka, qui a renversé François Bozizé.
Enclavé au coeur de l'Afrique centrale, le pays est l'un des plus pauvres du monde malgré ses richesses potentielles, minières et agricoles.
- SITUATION GEOGRAPHIQUE: 622.984 km2. Frontalier du Tchad, du Soudan, du Soudan du Sud, de la République démocratique du Congo (RDC), du Congo et du Cameroun.
- POPULATION: 4,5 millions d'habitants en 2012 (Banque mondiale).
- CAPITALE: Bangui.
- LANGUES: Français et sango (officielles).
- RELIGIONS: Près de 80% de chrétiens en majorité des protestants, 10% de musulmans (officiel). Animistes.
- HISTORIQUE-REGIME: L'Oubangui-Chari, colonie française, dotée d'une autonomie interne depuis 1958, devient République centrafricaine indépendante le 13 août 1960. L'artisan de l'indépendance, Barthélemy Boganda, avait été tué quelques mois plus tôt dans un accident d'avion.
David Dacko, premier chef d'Etat, est renversé fin 1965 par Jean-Bedel Bokassa, qui se fait élire président à vie puis couronner empereur en 1977. Le règne de Bokassa est marqué par ses frasques mégalomaniaques mais aussi par de sanglantes exactions, notamment un massacre d'écoliers.
En 1979, Bokassa est renversé et Dacko reprend le pouvoir avant d'être évincé deux ans plus tard par André Kolingba.
En 1991, le multipartisme est proclamé. En 1993, Ange-Félix Patassé arrive au pouvoir au terme d'un processus électoral pluraliste puis est réélu en 1999 lors d'un scrutin contesté.
La Centrafrique connaît en 1996-1997 trois mutineries d'une partie de l'armée, avant un coup d'Etat manqué en 2001.
En 2003, Patassé est renversé par le général Bozizé, qui instaure un régime de transition, puis remporte en 2005 le second tour de la présidentielle. Réélu en janvier 2011.
Depuis 2005, le pays a connu de nombreuses rébellions, qui se sont emparées de plusieurs localités du Nord, reprises grâce à l'aide de la France ou par l'armée tchadienne. Des accords de paix sont signés entre 2007 et 2011 prévoyant des programmes de désarmement, de démobilisation et de réinsertion.
Mais en décembre 2012, une coalition rebelle, le Séléka, a pris les armes pour réclamer "le respect" de ces accords, avant de s'emparer de Bangui le 24 mars 2013 au terme d'une offensive éclair pour renverser Bozizé.
Le 18 août, l'ex-chef rebelle Michel Djotodia a été investi président de la transition.
- ECONOMIE: Les secteurs de l'économie ont été dévastés par les crises qui ont empêché le pays, pourtant riche en matières premières (uranium, diamants, bois, or), de se développer.
Le pays, dont près de 70% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, est à 80% rural et produit du coton, café et tabac.
+ PIB par habitant: 490 dollars en 2012 (BM).
+ DETTE EXTERIEURE: 385 millions de dollars en 2010 (BM).
- FORCES ARMEES: Les forces de sécurité sont totalement désorganisées depuis la chute du général Bozizé. Michel Djotodia a de son côté officiellement dissous en septembre la coalition Séléka, qui comptait environ 20.000 hommes, dont de nombreux combattants "incontrôlés".
La communauté internationale au chevet d'une crise oubliée
NEW YORK, 25 sept 2013 (AFP) - Un coup de projecteur sur une crise oubliée: la République centrafricaine a été mercredi au coeur d'une réunion internationale en marge de l'assemblée générale de l'ONU, son Premier ministre lançant un appel pressant à sortir le pays de la "détresse".
La réunion, coprésidée par la France, l'ONU et l'Union européenne, a abouti à quelques promesses d'aide: 10 millions d'euros pour la France, 6,2 millions de dollars pour les Etats-Unis. Mais il s'agissait surtout de focaliser l'attention sur une "tragédie humanitaire et sécuritaire", selon le chef de la diplomatie française Laurent Fabius, après le "cri d'alarme" poussé la veille par François Hollande à la tribune de l'assemblée.
"A un moment, nous avons pensé que nous étions oubliés du monde", a déclaré aux journalistes le Premier ministre centrafricain Nicolas Tiangaye.
"C'est maintenant qu'il faut agir car chaque jour apporte son lot de meurtres, de femmes violées et d'enfants enlevés", a-t-il déploré. "La réunion d'aujourd'hui nous donne des raisons d'espérer, nous voyons que la communauté internationale se mobilise pour aider un pays en détresse".
Il a recommandé de donner à la Misca -- force panafricaine de 1.400 hommes à peine censée aider le gouvernement transitoire de RCA à rétablir l'ordre -- "les moyens financiers et logistiques et un mandat clair et précis pour protéger la population civile".
M. Fabius espère faire adopter en octobre au Conseil de sécurité une résolution soutenant la Misca, avec pour perspective plus lointaine une mission de maintien de la paix de l'ONU en Centrafrique. Des diplomates à l'ONU ne cachent pas cependant que les négociations autour du financement et du contrôle de cette opération seront difficiles.
"Possible d'inverser la tendance"
Un des arguments brandis par Paris, et dont le poids a été renforcé par le récent attentat de Nairobi, est la menace terroriste dans une région fragile.
"Une zone de non droit peut devenir un repaire pour tous les extrémismes", a averti M. Fabius. Or depuis le renversement du président François Bozizé par les rebelles de la coalition Séléka, les forces de sécurité sont totalement désorganisées et l'administration a cessé d'exister dans une bonne partie du pays.
"Nous pouvons encore empêcher la RCA de devenir une nouvelle Somalie", affirme la Commissaire européenne chargée de l'assistance humanitaire Kristalina Georgieva. Selon elle, "il y a déjà des combattants étrangers, des mercenaires" en RCA, venus du Soudan ou du Tchad.
Mais, malgré une situation humanitaire "critique", elle estime "possible d'inverser la tendance". "La RCA n'est pas la République démocratique du Congo", explique-t-elle. "La crise est gérable mais elle ne le restera pas longtemps".
John Ging, directeur de l'Office des Nations unies pour l'aide humanitaire (OCHA) rappelle que l'appel de fonds de l'ONU en faveur de la Centrafrique n'est financé pour l'instant qu'à 37%. Mais il juge lui aussi que la situation "n'est pas sans espoir car les sommes nécessaires sont relativement modestes". "Nous espérons, dit-il, que la réunion d'aujourd'hui va donner un coup de projecteur sur ce pays".
Selon l'ONU, 1,6 million de Centrafricains, soit un tiers de la population, a besoin d'une aide humanitaire d'urgence. Plus de 270.000 ont été déplacés ou se sont réfugiés dans les pays voisins.
Un rapport du Haut-Commissariat de l'ONU aux droits de l'homme présenté mercredi à Genève accuse la Séléka de continuer à commettre de nombreuses exactions.
"Des exécutions sommaires, la violence sexuelle, le recrutement d'enfants et le pillage de biens, y compris d'hôpitaux, d'écoles et d'églises, commis par la Séléka se sont poursuivis sans relâche, et engagent la responsabilité de l'Etat", a déclaré la Haut-commissaire adjointe aux droits de l'Homme, Flavia Pansieri, présentant le rapport à Genève.