13/11/15 (AFP)
Au nom de la paix et du dialogue avec l'islam, le pape François veut aller à Bangui les 29 et 30 novembre mais pourrait renoncer à sa visite à la dernière minute si les risques de violences devenaient trop élevés.
Même si rien n'a changé sur le programme officiel de la visite, le pape a lui-même laissé place à l'incertitude en déclarant fin octobre qu'il "espérait pouvoir réaliser" ce voyage dans un pays qui reste en proie aux violences interconfessionnelles et aux luttes de clans.
Pour son premier voyage en Afrique, François doit se rendre au Kenya et en Ouganda, avant de passer 26 heures à Bangui, avec des déplacements à risques: visites dans un camp de réfugiés et à la mosquée de Koudoukou, messes à la cathédrale et au stade Barthélémy Boganda.
En cas de nécessité, qui sera évaluée à la dernière minute, l'étape centrafricaine pourrait être réduite à quelques heures, comme celle de Jean Paul II en 1985, ou annulée.
S'il dit avoir une "bonne dose d'inconscience" pour lui-même, François ne veut pas mettre les foules en danger. C'est l'argument qui l'avait poussé à renoncer à se rendre au Kurdistan irakien en marge de sa visite en Turquie en 2014.
Or il semble difficile d'assurer la sécurité des dizaines de milliers de pèlerins que le pape pourrait attirer à Bangui, y compris de pays voisins comme le Cameroun, le Congo et la République démocratique du Congo.
Le ministère français de la Défense, qui déploie 900 soldats dans la force Sangaris sur place, a en effet mis en garde les services de sécurité du Vatican, sans pour autant adresser de recommandation officielle.
La force Sangaris n'aura "pas suffisamment de capacités pour s'engager au-delà de ce qu'elle fait d'habitude en soutien de la Minusca", la mission de l'ONU, prévenait mercredi l'entourage du ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian.
La Minusca, qui avec 12.000 hommes fait face à une multitude de bandes armées, est souvent critiquée pour sa lenteur de réaction. Et les forces centrafricaines ne sont pas à même de faire face au défi.
- 'Ne pas y aller serait un échec' -
Jeudi, la présidente de transition, Catherine Samba-Panza, a souhaité que le pape maintienne une visite qui suscite de grandes attentes dans un pays exténué par la guerre civile.
"J'ai reçu le nonce apostolique qui m'a demandé: +Madame la Présidente si vous pensez que le pape ne doit pas venir, dites-le nous+ (...). Je tiens à ce que le pape vienne. (...) Par la grâce de Dieu, le pape viendra et il n'y aura rien", a-t-elle déclaré à la radio française RTL.
"Nous entendons bien suivre le programme prévu malgré les avertissements de la France", a assuré une source proche du dossier au Vatican, citée par l'agence spécialisée I.Média.
"Pour François, ne pas y aller serait un échec", a confié une autre source vaticane, tandis qu'I.Média relevait un certain agacement au Vatican de voir la France, par ses mises en garde, se décharger de toute responsabilité en cas de problème.
La Centrafrique connaît un regain de tensions à l'approche des élections - référendum constitutionnel le 13 décembre, législatives et présidentielle le 27 - et les violences ont encore fait une soixantaine de morts fin septembre.
Selon Angelo Romano, expert de l'Afrique à la communauté catholique Sant'Egidio, "c'est clair qu'il y a des risques, mais la volonté du pape est de donner un message d'espoir pour tout le peuple centrafricain".
Alors que la menace de "guerre de religion" plane, "François cherche à donner un message exactement inverse, en rencontrant la communauté musulmane et en appuyant les leaders religieux chrétiens et musulmans qui mènent des efforts incroyables pour éviter le pire", a expliqué le père Romano à l'AFP.
Pour Luis Badilla, expert de Radio Vatican, "la question la plus délicate porte sur la réaction des groupes islamistes extrémistes", sur lesquels les dirigeants musulmans modérés n'ont pas de contrôle.
Le pape souhaite aller en Centrafrique malgré les violences
13/11/2015 | 17:39 (Reuters)
Le pape François prévoit toujours de se rendre en voyage en République centrafricaine fin novembre, a annoncé vendredi le Vatican, malgré les violences qui ont fait des dizaines de morts à Bangui depuis septembre et semblent s'intensifier dans d'autres régions.
Au moins 22 personnes ont été tuées cette semaine dans des villages du centre du pays, autour de la ville de Bambari, ont rapporté vendredi un responsable local et la radio d'Etat.
Le souverain pontife doit terminer les 28 et 29 novembre en Centrafrique une tournée pastorale qui l'aura d'abord conduit au Kenya et en Ouganda.
La France, dont des soldats restent déployés dans le pays en appui de la force de maintien de la paix des Nations unies, a mis en garde le pape François contre les conséquences de son voyage à Bangui, estimant ne pas être en mesure de garantir totalement sa sécurité et celle des fidèles.
"Nous avons simplement alerté les autorités du Vatican sur le caractère risqué d'un tel voyage, dans le contexte actuel de pré-élections, pour le pape lui-même et pour les centaines de milliers de fidèles qui pourraient faire le déplacement", a dit une source au ministère de la Défense.
"Nous sommes en capacité d'assurer la sécurité de l'aéroport et d'apporter un soutien d'évacuation médical en cas d'accident" mais pas plus, a-t-on ajouté de même source.
Des élections présidentielle et législatives censées tourner la page du conflit qui déchire le pays depuis deux ans doivent se tenir le 27 décembre après avoir été à reportées à plusieurs reprises en raison de la poursuite des violences.
Les autorités politiques et religieuses centrafricaines se sont employées jeudi à rassurer le Vatican sur les conditions de sécurité dans la capitale, voyant dans cette visite pontificale le moyen d'envoyer un signal de normalisation et de redonner espoir à la population.
"RENONCER À CE VOYAGE SERAIT UNE DÉFAITE"
Le pape "veut vraiment aller (en Centrafrique) et renoncer à ce voyage constituerait une défaite", a réagi une source au Vatican. Une autre source a précisé que la visite pourrait néanmoins être écourtée et cantonnée à des secteurs jugés suffisamment sûrs.
La source au ministère français de la Défense a assuré de son côté que Paris ne chercherait pas à dissuader à tout prix le souverain pontife d'effectuer le déplacement.
"Il ne s'agit pas de s'immiscer dans une visite d'Etat dans un pays tiers et ce n'est pas à la France d'empêcher le pape d'aller sur place, ce n'est absolument pas notre démarche", a-t-elle déclaré.
Selon un responsable onusien, la Mission des Nations unies en Centrafrique (Minusca) pourrait précipiter l'arrivée d'une partie des 750 soldats et 140 policiers supplémentaires attendus pour les élections de sorte à ce qu'ils soient sur place au moment de la visite du pape.
Alors que la France a suspendu le retrait progressif de ses troupes, qui atteignaient 2.000 hommes en début d'année, jusqu'à la fin des élections, la Minusca ne semble pas avoir les effectifs suffisants pour maintenir la sécurité dans l'ensemble du pays.
Les violences se sont cristallisées ces dernières semaines autour de Bambari, une ville du centre du pays qui marque plus ou moins la limite de la partition de fait de la Centrafrique, entre musulmans au nord et chrétiens et animistes au sud
Selon un responsable local, Yves Mbetigaza, dix villageois ont été égorgés lundi dernier à Ndassima et des dizaines d'autres ont été tués, enlevés ou sont portés disparus dans d'autres villages de la région les jours suivants.
La radio d'Etat a parlé d'attaques d'hommes armés de l'ethnie peule, des éleveurs nomades musulmans en conflit avec les agriculteurs sédentaires dans de nombreux pays de la zone sahélienne, mais selon Yves Mbetigaza, des combattants de l'ex-Séléka, l'alliance rebelle qui avait pris le pouvoir à Bangui il y a deux ans avant d'en être chassée un an plus tard, figuraient au nombre des assaillants.
(Philip Pullella, avec Marine Pennetier à Paris et Crispin Dembassa-Kette à Bangui; Tangi Salaün pour le service français)
Bangui attend de pied ferme la visite du pape en Centrafrique
www.lacroix.com 12/11/15 - 16 H 44
Bangui, capitale de la république de Centrafrique, se prépare activement à recevoir le pape fin novembre 2015. Personne n’envisage un report de la visite pour des raisons de sécurité.
« LA DERNIÈRE CHANCE DE TROUVER LA PAIX »
Vu de Fatima, le voyage du pape François semble très loin et quelque peu irréaliste. Et pourtant, ce n’est pas l’avis de Mgr Nzapalainga : « Tout Bangui n’est pas à l’image de Fatima. Il y a des zones dans la ville qui sont très sécurisées. Et puis, tout le monde attend cette visite avec ferveur et reconnaissance : surtout ceux qui vivent dans le plus grand dénuement. »
Pour le P. Dreyfus Yepoussa, la venue du pape est « la dernière chance de trouver la paix et de créer les conditions de la réconciliation entre les communautés. S’il ne vient pas, nous serons tous à terre, sous terre même. » « Nous allons le voir ouvrir la porte du dialogue. Le pape va nous pousser collectivement sur la bonne voie pour ce pays », pense le P. Giovanni.
De leur côté, les déplacés attendent de pied ferme cette visite. « Nous comptons les jours qui nous séparent de l’arrivée du pape François, dit l’un d’eux, Renaud, 40 ans. À Bangui, il va parler de nos problèmes, nous aider à les résoudre. Nous avons tout perdu. Il ne nous reste que notre foi en Dieu et notre confiance en l’Église. »
Léon, 64 ans, retraité de la police, abonde en ce sens : « Nous en sommes réduits à vivre comme des bêtes ici. Cette visite renforcera notre détermination à ne pas sombrer dans le désespoir et à chercher la paix. »
LA VILLE SE PRÉPARE À RECEVOIR FRANÇOIS COMME SI DE RIEN N’ÉTAIT
Franck, 20 ans, ajoute : « Le pape François va s’adresser à nous, ses enfants abandonnés de tous. Nous attendons beaucoup de sa parole, ses gestes, sa présence ». Un autre complète : « En venant en Centrafrique, il va obliger les forces internationales à se mobiliser avec plus de détermination pour assurer notre sécurité et nous débarrasser des forces négatives. »
L’insécurité est l’obstacle majeur au voyage du pape, prévu les 29 et 30 novembre. Pourtant à Bangui, personne n’envisage son annulation pour ce seul motif. La ville se prépare à recevoir François comme si de rien n’était. Sur la place de la cathédrale, les bulldozers Caterpillar sont à la manœuvre depuis des jours. Ils refont la chaussée, aplanissent la grande place de la cathédrale, déversent des tonnes de graviers pour restaurer la route que doit emprunter le pape. De l’aéroport au palais présidentiel en passant par la cathédrale, le trajet pontifical est l’occasion d’une remise en état des infrastructures.
PRÉPARATIFS DE LA VENUE DU PAPE
Mercredi après-midi, la coordination nationale des préparatifs de la venue du pape se réunissait pour faire le point, dans une salle jouxtant la cathédrale. Autour de Mgr Nzapalainga, le nonce apostolique, le P. Franco Coppola, les présidents des différentes commissions pour l’organisation de la visite, les représentants des mouvements d’Église, six ministres, des délégués de la Minusca et des forces de sécurité nationales.
La coordination aborde tous les sujets en cours : de la retransmission des cérémonies en eurovision aux emplacements des écrans géants, du nombre de chaises à prévoir au coup de peinture nécessaire sur les murs lépreux du stade Barthelemy Boganda, de la mobilisation de 2 000 scouts à la vente des pagnes commémorant cette visite. À quelques mètres, 500 choristes se retrouvent à la cathédrale pour répéter les chants.
« Dans les médias français, on peut lire que ce voyage est trop risqué, que la sécurité du pape et de la foule ne sera pas assurée », relève l’un des participants de la réunion. Le nonce apostolique lui répond : « Il a été de mon devoir d’approcher les autorités pour établir si ce voyage était envisageable. La Minusca, la force Sangaris (les forces françaises, NDLR) m’ont assuré qu’ils auront le contrôle. » Il ajoute que la Minusca mise sur ce voyage pour lancer un cercle vertueux en Centrafrique.
«IL EST VRAI QU’ON N’EST PAS À L’ABRI D’UN ACTE ISOLÉ »
« Nous n’avons pas de raisons de penser que ce voyage n’est pas souhaitable », affirme l’un des officiers de la Minusca. La force internationale va mobiliser au moins 4 000 soldats, des blindés, et assurer une couverture aérienne permanente de la capitale. « À nos yeux, il n’y a pas de menace directe contre le pape. Il y a une adhésion de toutes les communautés pour ce voyage ».
Les axes empruntés par le pape seront totalement sous contrôle, assure cet officier. Des mesures sont prises pour filtrer la population, contenir et surveiller la foule. « Rien n’est laissé au hasard. Il est vrai qu’on n’est pas à l’abri d’un acte isolé. Mais personne ne l’est dans ce type de rassemblement ». Environ 500 policiers et gendarmes centrafricains auront la charge d’ouvrir le convoi pontifical et de filtrer les passants afin d’intercepter tout suspect.
Interrogé sur ce que Sangaris pense de ce voyage, son porte-parole, le commandant Adrien répond, prudent : « La sécurisation de ce voyage est dévolue à la Minusca, elle se conduira sous sa responsabilité. Pour notre part, on se tient prêt à l’aider comme force de réaction rapide comme l’entend notre mandat : être un appui opérationnel de la Minusca. »
Avec 900 hommes déployés dans le pays et des moyens limités, Sangaris n’a évidemment pas le volume pour assurer la sécurité de tous les Centrafricains. « Le pape ne risque rien, je ne vois pas un seul Centrafricain lui vouloir du mal. Quant à la foule, elle sera canalisée par les forces internationales, juge l’une des personnalités les plus influentes de Bangui. En France, on joue à se faire peur ! »
LAURENT LARCHER (à Bangui)