http://www.voaafrique.com/ 22 avril 2016
Entretien exclusif du nouveau président centrafricain à VOA Afrique peu après sa rencontre jeudi soir avec le Secrétaire général de l’Onu à New York. Faustin-Archange Touadéra reconnaît que la situation économique et le problème sécuritaire restent difficiles en république centrafricaine.
Son pays, dit-il, a besoin de la communauté internationale. Il affirme toutefois tenir compte de l’ensemble de la classe politique de son pays pour faire en sorte que les Centrafricains aient confiance au gouvernement pour les diriger vers la paix et la réconciliation nationale. Lors de son tête-à-tête hier avec Ban Ki-moon, il a évoqué le problème de l’embargo sur les armes et les accusations d’abus sexuels contre des Casques bleus en RCA. Voici l’intégralité de cette interview:
Vous avez pris vos fonctions le 30 mars dernier dans un pays à rebâtir, un pays en ruine et profondément divisé par trois années de violences inter-communautaires. Les chantiers sont énormes : la sécurité, l’administration, les services de santé, le secteur de l’éducation, pour ne citer que ceux-là, doivent être remis sur pied : comment vous y prenez-vous ?
Les Centrafricains qui ont massivement voté le 30 décembre et le 14 février veulent la paix. Évidemment les défis sont énormes après ces périodes de crise. Les infrastructures de santé, de l’éducation ont subi beaucoup de dommages, tout comme la base même de l’économie et l’agriculture, qui était l’activité principale de nos concitoyens qui ne pouvaient plus mener ces activités à cause de la violence, des groupes armés. En ce qui nous concerne, la priorité pour l’instant demeure la sécurité. Parce que sans sécurité aucune activité de développement ne peut être menée à bien. Nous disons la sécurité, la paix et aussi la réconciliation nationale, ce qui va permettre à tous les Centrafricains, à tout le peuple de pouvoir vaquer librement à ses occupations. Cela implique le désarmement, la démobilisation, la réintégration et le rapatriement des ex-combattants. Et deuxième point comme élément de priorité, c’est la réforme de notre secteur des forces armées centrafricaines. C’est par là que nous allons démarrer parce que sans ça nous ne pourrons pas mener à bien les activités économiques et autres aspects que vous avez mentionnés.
Comment persuader les Centrafricains à patienter en attendant les solutions ?
Nous avons appelé tous les Centrafricains à se mobiliser parce qu’il faut travailler. Si nous ne travaillons pas, nous n’allons pas régler ces problèmes-là. Un grand nombre de projets économiques ont été identifiés. Et d’ici l’automne prochain, nous allons aller à une table ronde pour permettre de mobiliser des ressources afin de mettre en œuvre ces projets prioritaires.
Comment concilier les exigences de la justice pour les victimes des violences avec la nécessité de la réconciliation nationale qui vise la paix entre les bourreaux d’hier et leurs victimes ?
Il y a eu le Forum de Bangui et ses recommandations vont dans le sens de la réconciliation. Le gouvernement que nous venons de former va mettre en œuvre ces recommandations. L’un des éléments importants de ces recommandations est la justice et le droit des victimes. C’est le ciment de la réconciliation.
Certains groupes armés continuent d’écumer l’arrière-pays en Centrafrique. Tout dernièrement les éléments de la LRA se sont illustrés par diverses exactions dans l’est du pays, notamment dans la région de Rafai. Quelles solutions immédiates envisagez-vous pour pallier cette situation qui perdure depuis de nombreuses années ?
La LRA est une rébellion, un mouvement qui n’est pas d’origine centrafricaine. Il y a des dispositions avec le concours d’un certain nombre de pays amis. Il y a une lutte acharnée contre la LRA en ce moment. L’Union africaine nous appuie aussi depuis de longue date, les Etats-Unis aussi, avec les Nations unies et la Minusca. Tout dernièrement, nous avons fait un déplacement à Obo pour comprendre, voir comment ces forces travaillent pour harmoniser avec les stratégies que nous allons mettre en place. Au jour d’aujourd’hui, nos forces de défense ne sont pas opérationnelles. Nous allons avec la communauté internationale relever, réformer, nos forces de défense et de sécurité. Mais pour l’instant il y a un travail de coordination entre les forces américaines qui sont basées à Obo et les forces ougandaises qui sont toujours pour la lutte contre la LRA et une petite unité centrafricaine. Avec tout cela, nous pouvons organiser la lutte contre la LRA en attendant que nous reformions nos forces de défense et de sécurité. Mais d’après les informations que nous avons pu obtenir sur place, il y a des progrès. Mais puisque cette force constitue toujours une menace pour nos populations, nous allons poursuivre la lutte à travers les différents instruments que je venais de vous citer.
Pour la première fois depuis que vous êtes président vous avez été reçu ce jeudi par le secrétaire général de l’Onu. Vous l’avez dit, la sécurité constitue l’une de vos principales priorités. Mais la question de la levée de l’embargo sur les armes a-t-elle été abordée au cours de votre entretien avec Ban Ki-moon ?
Bien-entendu. Nous ne pouvons pas venir voir le secrétaire général sans parler de cette question. Comme vous le savez, dans très peu de temps nous allons avec l’Union européenne et les Nations unies commencer la formation, ou tout au moins la réforme du secteur de sécurité. Pour refonder notre armée, nous avons besoin que cet embargo soit levé ou tout au moins dans une mesure permettant de rendre opérationnel les éléments qui seront formés. Et je pense que dans le prochain Conseil de sécurité le problème sera posé, d’après ce que disait le Secrétaire général.
Quel état des lieux faites-vous des ressources naturelles de la RCA (diamant, or, bois, etc.) et de leur exploitation ? 6. B. Quelle stratégie envisagez-vous de mettre en place pour mobiliser les revenus de ces secteurs en vue de développer votre pays ?
Nous allons mettre en place des structures ou tout au moins réorganiser le secteur par des codes. La dernière fois nous avions un code du secteur. Nous allons revoir les codes - par exemples, le code forestier, le code minier -, ensuite faire des réformes pour que les ressources qui vont découler de ces richesses comme le diamant et autres seront utiles à notre pays en luttant contre la corruption et la fraude. Nous allons mobiliser les ressources, réformer pour que nous puissions avoir les moyens nécessaires pour financer notre économie.
Parlons des accusations d’abus sexuels des forces internationales : que fait la justice centrafricaine à ce sujet ? Quelle assistance est apportée aux victimes ?
Cette question d’abus sexuels est grave qui touche toute la société. Tous les Centrafricains sont touchés par cette situation. Mais ce que nous voulons, c’est que la justice soit rendue. Par rapport aux enquêtes qui sont menées, les autorités centrafricaines ne sont pas souvent associées à cela. Notre souhait – c’est ce que j’ai dit au Secrétaire général – est que s’il y a des cas qui sont avérés qu’au moins nous soyons informés et que nous soyons associés à la recherche de la vérité à ce niveau-là. Nous allons aussi, dans le cadre bilatéral, discuter avec les pays contributeurs pour accélérer le processus parce que dans les dispositions actuelles, la justice ne pourrait se faire que par rapport aux pays contributeurs. Au jour d’aujourd’hui, les choses trainent un peu à ce niveau-là. Nous allons sensibiliser nos amis, ceux qui ont contribué au niveau des forces pour que la procédure soit accélérée, pour que la justice soit rendue à ces victimes.
A l’issue du second tour de la présidentielle de février, vous avez créez la surprise en surclassant votre rival Anicet-Georges Dologuélé. Mais en négociant des alliances avec autant de candidats qui étaient dans la course, vous faudra-t-il désormais satisfaire vos soutiens ?
Vous savez ces alliances… il n’y avait pas de conditions au sortir du premier tour. Certains de ces candidats de manière spontanée ont décidé de me soutenir. Ceci, sans conditions. Nous avons échangé, discuté quant à la suite à donner à ce soutien-là. Quelques-uns aujourd’hui sont au niveau du gouvernement. Nous allons poursuivre cette collaboration pour des activités futures puisque de toute façon nous avons même avec M. Georges Dologuele, pris langue pour qu’il puisse participer à ce vaste rassemblement que nous souhaitons. A la fin de la transition, beaucoup de problèmes demeurent et qui engagent aussi la nation, par exemples les questions que nous avons évoquées comme le désarmement, la réforme du secteur de sécurité. On a besoin de l’avis, d’orientation, de discussion de pratiquement toute la classe politique. Ce vaste rassemblement va permettre justement de jeter les bases vraiment d’une République soudée, unie.
En d’autres mots, on pourra vous proposer, et non pas vous imposer, vous dicter…
Ecoutez, les Centrafricains ont massivement voté par rapport à un projet de société. Imposer, non je le pense pas mais nous devions tenir compte de l’ensemble de la classe politique pour faire en sorte que les Centrafricains aient confiance au gouvernement, aux activités, et aussi aller vers la paix et la réconciliation nationale. Il y a un certain nombre de facteurs dont il faut tenir compte. Et c’est ce que nous pensons avoir fait et que nous ferons.
Votre pays dépend largement de la communauté internationale. [C’est elle qui, depuis plus de deux ans, paie les fonctionnaires et assure la sécurité.] Un appui nécessaire, mais pour certains commentateurs dans votre pays, les grandes puissances veulent vous dicter leur politique au détriment du peuple centrafricain. Que répondez-vous à ces critiques au moment même où vous êtes en tournée justement pour rappeler à quel point la RCA a besoin de la communauté internationale pour se relever ?
Mais vous savez, ce n’est pas de dicter. Au jour d’aujourd’hui, la situation économique, la situation sécuritaire sont difficiles. Nous savons qu’au niveau de notre économie, nous ne pouvons pas aller seuls pour régler ces problèmes. C’est pourquoi nous avons besoin de la communauté internationale à travers des programmes, des projets que nous nous jugeons prioritaires pour justement le décollage et pour la sécurité. Donc, c’est ensemble, en toute concertation que nous sollicitons l’appui de nos amis, l’appui de la communauté internationale.
Et je comprends que vous allez également rencontrer le secrétaire d’Etat américain John Kerry. Quel est le message que vous comptez lui transmettre?
Bon, je ne sais pas si c’est à l’agenda mais si ça devait se faire, c’est le même message : un appui pour que nous puissions au jour d’aujourd’hui aller à ce processus de DDR qui nécessite beaucoup de moyens pour désarmer les ex-combattants et surtout la réintégration et en même temps la réforme de nos forces de défense. Ce sont des éléments importants sur lesquels nous avons besoin de la communauté internationale, des Etats-Unis et de tous les amis de la République centrafricaine. Il y a aussi l’aspect économique. Cette crise a sapé les bases de notre économie. Donc il faut relancer l’économie, et il faut des moyens.
Sortez-vous satisfait de votre tête-à-tête avec Ban Ki-moon ?
Bien-sûr. Il y a eu des engagements de soutien, de revoir le mandat de la Minusca parce qu’au jour d’aujourd’hui, la Minusca fait un travail important et parce que nous n’avons pas encore atteint un niveau assez suffisant pour nos forces de défense. Nous avons besoin de cette force-là. Nous avons ce soutien important et aussi sur le plan humanitaire. Il y a des perspectives qui permettent de poursuivre les activités dans ce domaine. Je peux dire que je suis satisfait de cet entretien.
Interview réalisée par Jacques Aristide