Lu pour vous
AFP Publié le 15 août 2022
Après de nombreuses interventions en solitaire, la France a été, à partir des années 2000, un élément moteur d'opérations aux côtés de troupes africaines, occidentales ou de l'ONU
En janvier 2013, la France lance l'opération Serval pour stopper la progression vers le sud du Mali des groupes islamistes armés et soutenir les troupes maliennes
PARIS : La France, dont les derniers militaires de la force antijihadiste Barkhane ont quitté le Mali lundi, est intervenue militairement à près de 40 reprises en Afrique lors des 60 dernières années, au nom de la protection des populations civiles ou de l'application d'accords bilatéraux de défense.
Après de nombreuses interventions en solitaire, la France a été, à partir des années 2000, un élément moteur d'opérations aux côtés de troupes africaines, occidentales ou de l'ONU.
Sahel
En janvier 2013, la France lance l'opération Serval pour stopper la progression vers le sud du Mali des groupes islamistes armés et soutenir les troupes maliennes. Fer de lance d'une intervention militaire internationale, Serval permet de chasser en grande partie du nord malien les groupes jihadistes qui avaient occupé cette région en 2012.
Le 1er août 2014, l'opération antijihadiste Barkhane, conduite par la France avec cinq pays de la bande sahélo-saharienne (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad) prend le relais de Serval.
L'ancienne puissance coloniale, qui a déployé pendant plusieurs années des milliers de militaires dans cette zone - jusqu'à plus de 5 000 hommes - est désormais non grata au Mali, ce qui l'a conduit à retirer lundi du pays le dernier détachement de Barkhane.
Seuls 2 500 militaires français resteront dans la région pour assurer un soutien aux pays d'Afrique de l'Ouest, mais en deuxième ligne. Les Français maintiendront notamment plus d'un millier d'hommes et des capacités aériennes au Niger.
Centrafrique
1979 : l'opération parachutiste française Caban conduit à l'éviction de l'empereur Bokassa.
1996-1997 : après des mutineries, l'opération Almandin assure la sécurité des étrangers et l'évacuation de 1 600 personnes, puis Paris intervient contre des mutins à Bangui après l'assassinat de deux militaires français.
2006 et 2007: intervention dans le nord-est pour appuyer les troupes de Bangui face à des rebelles.
2013 : après le coup d'État contre le président François Bozizé et à la suite d'un feu vert de l'ONU, Paris déploie plus d'un millier de soldats en Centrafrique dans le cadre de l'opération Sangaris, pour y faire cesser les violences intercommunautaires.
Sangaris, qui a compté jusqu'à 1.600 hommes, a duré jusqu'en 2016.
Libye
2011 : dans le cadre de l'OTAN, intervention militaire française Harmattan aux côtés des Britanniques et des Américains pour protéger les populations civiles contre les forces du colonel Mouammar Kadhafi.
Jusqu'à 4 200 militaires français, 40 avions, une vingtaine d'hélicoptères et 27 bâtiments de la Marine nationale sont engagés.
Sept mois de frappes aériennes entraînent la chute du régime.
Côte d'Ivoire
2002 : la mission française Licorne, visant à protéger les étrangers après le début d'une rébellion nordiste qui tentait de renverser le régime de Laurent Gbagbo, devient une force de réaction rapide en appui d'une opération de l'ONU.
En 2011, Paris joue un rôle décisif dans l'arrivée au pouvoir d'Alassane Ouattara au terme de six mois de conflit avec le président sortant Laurent Gbagbo, qui refusait de reconnaître sa défaite à la présidentielle de fin 2010.
En 2015, après douze ans, Licorne se transforme en Forces françaises en Côte d'Ivoire (FFCI), servant d'appui aux troupes luttant contre les groupes jihadistes au Sahel.
Tchad
Le Tchad, avec la base française de N'Djamena, est une plaque tournante des opérations extérieures de la France en Afrique.
Après une intervention au Tibesti (1968-1972), les soldats français au Tchad ont mené notamment l'opération Manta (1983-1984) pour contrer une offensive d'opposants appuyés par la Libye. Entre 1986 et 2014, la France maintenait à N'Djamena un dispositif militaire à dominante aérienne baptisé Epervier.
La France a également volé au secours du président Idriss Deby à plusieurs reprises en 2006, 2008 ou encore plus récemment en 2019, en bombardant des rebelles qui menaçaient la capitale.
L'état-major français de l'opération antijihadiste qui succédera à Barkhane sera pour l'heure maintenu à N'Djamena.
Zaïre (actuelle République démocratique du Congo)
1978 : 600 légionnaires sautent sur Kolwezi (sud-est) pour secourir des milliers d'Africains et d'Européens menacés par des rebelles katangais (opération Bonite).
2003 : opération Artémis en Ituri (nord-est) pour mettre fin à des massacres avant le déploiement de Casques bleus.
Comores
1989 : des soldats français débarquent après l'assassinat du président Ahmed Abdallah et la prise de contrôle du pays par les mercenaires du Français Bob Denard, contraint de quitter le pays. En 1995, l'opération Azalée met fin à un nouveau coup d'État de Denard.
Rwanda
1990-1993 : Paris envoie dans le nord-ouest jusqu'à 600 soldats après une offensive du Front patriotique rwandais (FPR, actuellement au pouvoir).
1994 : en avril, 500 parachutistes évacuent plus d'un millier d'étrangers après la mort du président Juvénal Habyarimana et le début du génocide qui fera quelque 800.000 morts, selon l'ONU, en majorité des Tutsi.
De juin à août, opération controversée militaro-humanitaire Turquoise dans le sud-ouest du pays et dans les camps de réfugiés dans l'est du Zaïre.
Turquoise est notamment accusée par des rescapés d'avoir laissé en toute connaissance de cause, trois jours durant, des centaines de Tutsi à la merci des génocidaires hutu.
Gabon
1964 : des troupes aéroportées débarquent à Libreville après une tentative de putsch.
[Réflexion] La fin des grandes interventions extérieures occidentales ?
B2
(B2) Avec le retrait des militaires français du Mali se termine en fait un cycle d’opérations extérieures commencé dans les années 2000 en Iraq, en Afghanistan et en Afrique.
La fin d’un cycle ?
Il n’y a aujourd’hui plus de grande opération militaire menée par les Alliés, Européens ou Américains, avec un mandat exécutif et l’exercice de la force (1). La grosse opération terrestre de l’OTAN a pris fin Afghanistan à l’été 2021 dans la précipitation. L’opération française au Mali vient de se clore avec le retrait de la dernière base militaire tenue, Gao (cf. encadré). Du côté européen, les deux opérations maritimes EUNAVOFR Atalanta (Océan indien) et EUNAVFOR Med (Méditerranée) ont perdu une bonne partie de leur intérêt et en sont pour l’essentiel réduites à faire des “ronds dans l’eau”. Même les grosses opérations de l’ONU sont en voie de se terminer. La MONUSCO en RD Congo amorce son retrait. La MINUSMA au Mali vacille.
Vers des opérations d’une autre nature
Ce n’est pas la fin des interventions extérieures. Mais celles-ci reviennent à une donne plus classique : fourniture d’armements, de conseils, de formation et d’entrainement ; opérations de renseignement et de forces spéciales ; reconnaissances aériennes ou sous-marines, frappes ciblées par drones au besoin. L’idée d’une présence forte de troupes au sol dans des opérations ad hoc, menées en national ou en multinational (OTAN), avec exercice de la force, semble donc se tourner. La guerre en Ukraine est un exemple de cette nouvelle tendance (lire aussi : ). On en revient finalement à un principe acquis sous la guerre froide. Pas de conflit frontal russo-occidental (ou sino-occidental). Mais une guerre par proxies interposés.
Des résultats très contrastés
On ne peut pas dire que cet interventionnisme extérieur militaire frénétique ait été couronné de succès ni n’ait été un facteur de stabilité et de paix, même de lutte contre terrorisme. Plus de vingt ans après l’intervention militaire (US + OTAN) en Afghanistan (2001), les Talibans sont de retour à Kaboul. Et le pays est toujours en plein marasme. Près de vingt ans après l’intervention militaire (US + Alliés) en Iraq (2003), le pays ne s’en est toujours pas relevé. L’influence iranienne y est plus forte que jamais, comme dans une bonne partie du Moyen-Orient (Yémen, Syrie, Liban). Beau résultat ! Plus de dix ans après l’intervention (franco-britannique + OTAN) en Libye (2011), le pays est livré au chaos, reste la porte ouverte à tous les trafics. Et l’Afrique a perdu un de ses pôles d’attraction et finalement d’équilibre. Le pire exemple de l’intervention mal préparée mal jaugée. Enfin, presque dix ans après l’intervention au Mali (2013), le pouvoir est aux mains de militaires, proches de Moscou. La Russie a repris pied dans un pays-clé du Sahel. Et les terroristes sont toujours à l’œuvre, non seulement au Mali mais désormais sur toute l’Afrique de l’Ouest.
Au moins trois raisons des échecs
Il faudra un moment, jeter un regard en arrière et examiner les raisons de ces échecs ou semi-échec en série. On peut bien sûr condamner d’un bloc toute intervention militaire extérieure. Solution la plus facile. Il faudrait nuancer le propos : examiner où ont été les failles de ce mode opératif. De façon sommaire, on peut donner trois pistes de réflexion. Premièrement, le flou sur les objectifs. Certaines opérations ont été conçues parfois dans la rapidité, parfois pour des raisons parfois très personnelles (cf. Sarkozy en Libye). Elles ont ensuite souvent déviées de leur objectif de départ (2). Deuxièmement, la stratégie du chaos ou de l’enlisement. Certaines opérations se sont interrompues une fois le pouvoir en place détruit (Iraq, Libye) laissant en place un certain chaos. D’autres opérations (Afghanistan, Barkhane) se sont inscrites dans la durée sans bien savoir quel était l’objectif final recherché, sinon celui de rester sur place. Troisièmement, la plupart de ces opérations ont été conçues hors de tout contrôle réel ni de retour d’expérience public. Le rôle du parlement en France a été réduit à une chambre d’enregistrement des décisions présidentielles. Idem du côté des opérations de l’OTAN en Afghanistan ou en Libye, autorisées par un conseil de sécurité de l’ONU complaisant.
Le semi-échec de Barkhane
L’opération française au Mali est un exemple type. Conçue comme une intervention rapide pour faire face à une progression terroriste vers la capitale, Bamako, l’opération Serval déclenchée début 2013 a été un succès. Sa transformation en une opération régionale, dénommée Barkhane, à visée anti-terroriste, a été moins glorieuse. L’objectif était plus flou et multiple Entre la reconstruction des armées maliennes et de l’État malien, la coopération militaire, l’éradication des groupes terroristes, la stabilisation de l’État, empêcher toute ingérence étrangère, on n’avait que l’embarras du choix. Il était mal compris des populations locales et même des armées. Et la faiblesse de ses résultats reste patente. Même au plan militaire, le bilan n’est pas mirifique. Certes plusieurs milliers de “terroristes” ont été neutralisés. Certes la perspective d’un califat islamique au Mali a été éloignée. Certes le risque d’un attentat en France ne s’est pas réalisé (3). Mais il y a toujours autant de membres de groupes terroristes sur place. Ceux-ci ont désormais fait “tâche d’huile” menaçant clairement plusieurs pays de la région, à commencer par le Burkina Faso et le Niger, voire le Bénin et le Togo. Et la reconstruction de l’État malien ne s’est pas produite… Enfin, le départ des militaires français n’est pas volontaire ni programmé. Il résulte d’un choix du gouvernement malien qui a décidé de changer de force stabilisatrice, préférant les Russes aux Français. Une réelle défaite géopolitique dans un territoire francophone doublé d’un semi-échec militaire.
(Nicolas Gros-Verheyde)
La fermeture de la base de Gao le 15 août Le dernier convoi logistique a quitté la PFOD (plateforme opérationnelle désert) de Gao (Mali) samedi (13 août) rejoignant la base de Niamey, de samedi à dimanche (14 août), « en toute sécurité » selon l'état-major des armées françaises (EMA). Un groupe d'environ 150 militaires qui assurait la garde du camp, resté jusqu'au bout, est lui parti dans la nuit du 14 au 15 août. Le camp de Gao a été rétrocédé « dans des conditions planifiées auparavant lors des réunions de coordination avec les forces armées maliennes » précise le porte-parole de l'EMA. « Ce qui a pu être remporté a été emporté » assure notre interlocuteur lors des quelque dizaines de convois logistique par route (plusieurs par semaine) ou par voie aérienne (400 rotations d'A400M). Du « matériel a cependant été laissé sur place à la Minusma ou aux partenaires sur place » : matériel informatique notamment. Quant à l'infrastructure du camp qui « est opérationnelle », elle a « été remise à disposition des FAMA », les forces armées maliennes.
- Je fais exception des deux opérations sur le territoire européen, dans les Balkans, déclenchée dans les années 1990 : EUFOR Althea Bosnie-Herzégovine et KFOR au Kosovo, qui répondaient à d’autres impératifs.
- Les opérations centrées sur un objectif et terminées en temps et en heure sur un certain succès se comptent sur les doigts de la main : EUFOR Tchad et EUFOR RCA notamment.
- Une hypothèse contestée et contestable, au point qu’elle n’est plus reprise dans le discours officiel aujourd’hui.