ANALYSE
Le Monde.fr avec AFP Le 28.09.2016 à 16h41 • Mis à jour le 28.09.2016 à 16h50
La hausse attendue des taux américains, ceux négatifs de la BCE ou encore le Brexit sont autant d’événements extérieurs qui pèsent sur l’économie africaine sans qu’elle ait les moyens d’intervenir, a expliqué à l’AFP le secrétaire général adjoint démissionnaire de l’ONU, Carlos Lopes.
« Le climat international n’est pas très favorable pour l’Afrique et ce sont les raisons de l’essoufflement de la croissance de ces deux dernières années sur le continent », affirme M. Lopes, qui a par ailleurs annoncé mercredi au Monde Afrique qu’il quittait l’ONU et son poste à la tête de la Commission économique pour l’Afrique, à Addis Abeba.
Croissance africaine à la baisse
Le FMI a réduit en juillet de près de la moitié sa prévision de croissance cette année pour l’Afrique subsaharienne à 1,6 % contre 3 % auparavant, soit la plus faible depuis plus de dix ans. Il prévoit même un recul du Produit intérieur brut du Nigeria de 1,8 %.
« Et ces facteurs internationaux sont complètement hors de contrôle pour les Africains, mais ils affectent leurs économies », prévient le diplomate de passage à Paris pour une rencontre à l’Unesco, au retour de l’Assemblée générale de l’ONU.
Premier défi : les taux d’intérêt américains. La Fed les a certes maintenus inchangés la semaine dernière, mais une probable hausse en décembre pourrait à nouveau créer des turbulences sur les marchés émergents, comme en décembre 2015 quand elle les a relevés pour la première fois.
Pour M. Lopes, il faut s’attendre à des conséquences « assez dures » pour les pays producteurs de pétrole comme l’Angola ou le Nigeria si la Fed durcit sa politique monétaire.
A chaque fois que les taux remontent aux Etats-Unis, « la valeur des monnaies de ces pays dégringole par rapport au dollar et ils se retrouvent avec une volatilité qui n’était pas prévue dans leur budget », prévient-il.
Fuite des capitaux
Les banques centrales africaines se trouvent alors coincées entre la nécessité de relever les taux pour freiner la chute de leur devise et le risque de ralentir leur croissance avec une politique monétaire moins accommodante.
Sans compter la fuite de capitaux vers des pays aux rendements moins risqués que les pays émergents, avec des conséquences prévisibles pour des places financières comme celle de Johannesburg, « car elle est plus intégrée » que ses homologues du continent.
« Comme la croissance sud-africaine n’est pas fameuse et se situe entre 0 et 1 %, la hausse des taux de la Fed serait un indicateur pour qu’un certain nombre d’investisseurs cherchent à réduire le risque en faisant migrer leurs capitaux en dollars » vers des régions du globe plus sûres et aux taux d’intérêt relevés.
Outre la Fed, la BCE pèse également sur l’Afrique avec ses taux d’intérêt négatifs. « Le continent dispose entre 400 à 500 milliards de dollars de réserves », a rappelé le secrétaire général adjoint démissionnaire. Or, avec des taux d’intérêts négatifs, les placements en Europe ne rapportent plus rien.
Une situation d’autant plus défavorable que de nombreux pays africains sont « sous la surveillance » du FMI, qui exige de leur part une prise de risque minime. « En d’autres termes, des placements en bons du Trésor américain ou sur le marché européen » où les intérêts sont négatifs, constate le secrétaire général adjoint.
Le Brexit touche déjà l’Afrique
Pour couronner le tout, la décision britannique de sortir de l’UE a encore compliqué la situation des pays africains. « Le Brexit va beaucoup affecter l’Afrique », reconnaît M. Lopes.
« Il y avait déjà auparavant une espèce de turbulence dans les négociations commerciales entre l’Afrique et l’Europe. Avec le Brexit, elles se sont renforcées considérablement », assure le diplomate, qui rappelle que les fonds d’investissements privés actifs en Afrique sont surtout basés à la City londonienne et qu’ils repoussent leurs décisions.
« L’Afrique souffre sur tous ces fronts sans pouvoir intervenir », résume M. Lopes, qui regrette d’autant plus ces turbulences extérieures que le continent se trouve dans une situation idéale après l’allégement de la dette au cours des années 2000.
« A un point tel qu’aujourd’hui, pour trouver mieux que l’Afrique, il faut aller dans les pays du Golfe en ce qui concerne la dette », affirme-il. Cette situation est « exceptionnelle », ajoute-t-il, rappelant que le ratio PIB/dette du continent est aujourd’hui autour de 32 à 33 %.
En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/09/28/l-afrique-une-victime-collaterale-de-la-fed-de-la-bce-et-du-brexit_5004982_3212.html#tAoYFRGkkVhoDcrK.99
ENTRETIEN
Carlos Lopes : « Je quitte l’ONU pour garder ma liberté de parole sur l’Afrique »
Propos recueillis par Coumba Kane, Laurence Caramel et Serge Michel
LE MONDE Le 28.09.2016 à 11h56 • Mis à jour le 28.09.2016 à 12h11
Carlos Lopes reprend sa liberté. Dans une interview exclusive accordée au Monde Afrique, le sous-secrétaire général des Nations unies et secrétaire exécutif de la Commission économique pour l’Afrique annonce son départ d’un poste qu’il occupait depuis quatre ans à Addis-Abeba. Pas de brouilles ni de désaccords idéologiques avec ses tutelles derrière la décision de ce bouillonnant économiste de 56 ans, originaire de Guinée-Bissau, mais une volonté assumée de maîtriser son avenir. Et, surtout, de préserver « la pensée alternative » qu’il a su faire pénétrer dans les arcanes les plus orthodoxes des institutions internationales, dont il dénonce parfois la « pensée unique ». A un moment où l’Union africaine et les Nations unies doivent renouveler leurs dirigeants, il préfère se mettre en retrait. Explications.
Quelles sont les raisons de votre départ ?
Carlos Lopes Les Nations unies, avec le renouvellement du secrétaire général, tout comme l’Union africaine, avec la succession de Mme Dlamini-Zuma, sont entrées dans une période de transition. Je ne me voyais pas rester spectateur. Ce n’est pas une position confortable. Je préfère maîtriser le calendrier de ma sortie. Il faut savoir quitter une institution lorsqu’on est en haut, pas en bas. Il est toujours préférable de pouvoir négocier en position de force.
Redoutiez-vous que votre travail et vos idées ne soient remis en cause ?
Non, personne ne conteste qu’au cours des quatre dernières années la Commission économique pour l’Afrique (CEA) a largement alimenté la réflexion sur le modèle de développement que doit emprunter l’Afrique. Nous avons réussi à mettre sur le radar de nos dirigeants des sujets qui restaient absents ou marginaux, comme la question de l’industrialisation ou du financement des économies à partir des ressources domestiques.
Nous avons également traité de la fuite illicite des capitaux, de la dette, des indices de corruption biaisés, et de bien d’autres choses. Je n’ai pas été un dirigeant passif. J’ai souvent été provocateur et j’ai dû secouer pas mal de cocotiers. C’est à ce prix que j’ai pu faire exister une voix alternative. L’important est pour moi de préserver ma liberté de parole. Je verrai ensuite s’il existe une institution dans laquelle je peux continuer ce travail. Pas l’inverse.
Vous êtes en effet souvent apparu comme un provocateur dans cet univers du développement souvent peu imaginatif. Pourquoi ce point de vue toujours alternatif ?
Parce que c’était le seul moyen de faire avancer les choses ! Le discours optimiste sur l’Afrique, qui a émergé au début de la décennie, a eu paradoxalement un effet anesthésiant sur la réflexion des Africains. Il a contribué à une forme de paresse intellectuelle. Le portrait de l’Afrique qui émerge en 2010 du fameux rapport « Lions on the move » de McKinsey est celui d’un continent qui offre de grandes opportunités, pas celui d’un continent qui doit se transformer. C’est un appel aux investisseurs à prêter attention à une opportunité oubliée, à un endroit où ils pourraient gagner plus d’argent qu’ailleurs. Les Africains ont absorbé cette narration comme une sorte de compensation au discours afro-pessimiste qui avait prévalu au cours des décennies précédentes et dont ils avaient beaucoup souffert. J’ai toujours trouvé qu’il y avait quelque chose de faux dans ce propos, car il faut évidemment un niveau d’ambition beaucoup plus élevé sur la transformation structurelle des économies africaines. Il ne faut pas se contenter de parler des opportunités de marché.
Ne redoutez-vous pas que la Commission économique retombe dans son sommeil après votre départ ?
Bien sûr, c’est toujours mieux d’être dirigé par quelqu’un qui sait porter un message et défendre les idées de son institution. Mais le leadership n’est pas tout. La Commission économique des Nations unies pour l’Afrique, c’est aujourd’hui un cercle de réflexion de trois cents personnes qui produisent une recherche originale dont ont besoin les pays africains. Je n’ai aucun doute sur le fait que cela va continuer. La base est là. Et c’est précieux, parce qu’il n’y a pas en Afrique de think tank qui dépasse vingt personnes.
Qu’allez-vous faire en attendant que le paysage institutionnel se clarifie ? Resterez-vous à Addis-Abeba ?
Je vais m’installer au Cap [en Afrique du Sud], mais, au cours des prochains mois, je vais aussi passer beaucoup de temps à Kigali. Le président Kagame, que ses pairs ont chargé de réfléchir à une réforme de l’Union africaine, m’a demandé de faire partie de la petite équipe qui travaille avec lui. Nous sommes quatre avec Donald Kaberuka, l’ancien directeur de la Banque africaine de développement, Acha Leke, l’auteur du fameux rapport « Lions on the move » et l’entrepreneur et philanthrope zimbabwéen Strive Masiyiwa. Je continue par ailleurs d’être le conseiller informel d’une dizaine de nos chefs d’Etat.
La Commission pour l’Afrique s’était beaucoup investie dans la préparation de la Conférence de Paris sur le climat. Un an après, quel bilan en faites-vous ?
Je crois que la conférence de Marrakech [la COP22, début novembre] sera l’occasion pour les Africains de montrer que les promesses n’ont pas été tenues. Les financements ne sont pas là. Le niveau d’ambition exprimé par l’Accord de Paris ne correspond pas à ce qu’on voit sur le terrain. Mais mes craintes vont au-delà de la seule question climatique : ce que nous voyons, c’est un détournement global des flux de l’aide au développement vers les questions migratoires et des réfugiés. Au détriment des priorités du développement. Cela n’apparaît pas encore dans les statistiques de l’OCDE [Organisation de coopération et de développement économiques] et cela se passe en silence, parce que c’est un glissement qui serait difficile à assumer politiquement.
http://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/09/28/carlos-lopes-je-quitte-l-onu-pour-garder-ma-liberte-de-parole-sur-l-afrique_5004798_3212.html#eZW4yr6B7VDTdi1e.99