WATERGATE AU GABON
02 / 10 / 2016 À 12:17
Voici le scoop de notre confrère Le Journal du dimanche, qui révèle que Ali Bongo a fait écouter les observateurs de l'Union européenne.
Les services secrets d’Ali Bongo ont écouté les observateurs dépêchés par l’Union européenne pour veiller à la régularité de l’élection présidentielle Les conversations enregistrées révèlent de lourdes suspicions de trucage des résultats.
Les observateurs de l’Union européenne au Gabon étaient sur écoute. Anne, Jean-Jacques, Polyna, Xavier, Pierre, Magdalena… Pour le régime gabonais, ce sont des prénoms, mais aussi des voix. Pendant ces heures tragiques entre le 27 août, date de l’élection, et le 23 septembre, jour de la proclamation des résultats, les services secrets d’Ali Bongo savaient tout de leurs faits et gestes, mais aussi de leur conviction : l’élection a été truquée. « Ils ont fait exactement ce que j’espérais qu’ils n’allaient pas faire », réagit à chaud, le 31 août, la chef adjointe de la mission, en découvrant les scores d’Ali Bongo.
En privé, comme ces écoutes en témoignent, on est loin du langage diplomatique… Le JDD révèle une vingtaine d’enregistrements clandestins, un échantillon puisé dans un ensemble certainement plus vaste, qui dévoilent l’existence de ce Watergate gabonais (l’une des personnes écoutées a formellement identifié sa propre voix dans un extrait que nous lui avons soumis hier matin). D’ici à deux mois, les émissaires de Bruxelles doivent rendre un rapport de synthèse. Alors qu’Ali Bongo a prêté serment en début de semaine, s’estimant élu pour un nouveau mandat de sept ans, jusqu’où osera aller la Commission européenne dans la dénonciation du scrutin ? La révélation de ces écoutes, et de leur contenu, éclaire d’un jour particulier le climat qui a entouré l’élection et les agissements du pouvoir pour en maîtriser l’issue.
D’autant que le régime gabonais ne s’est pas contenté d’écouter. Les informations collectées par ses services secrets semblent avoir permis de cibler des observateurs de l’Union européenne et de lancer contre eux de violentes accusations dans des journaux gabonais. L’un des observateurs, jugé « hostile » aux autorités de Libreville, a même été menacé de mort et a dû être exfiltré du Gabon. Ces écoutes permettent de comprendre pourquoi. Elles entrouvrent une porte sur les méthodes d’un pouvoir de plus en plus contesté.
La principale cible des services gabonais s’appelle Pierre B. Cet ancien militaire a été nommé responsable de la sécurité de la délégation européenne, dont la députée bulgare Mariya Gabriel a pris la tête. À l’invitation du Gabon, les premiers analystes sont arrivés à Libreville le 12 juillet. Début août, 22 observateurs sont déployés dans les neuf provinces du pays, bientôt rejoints par 22 autres. Au total, une soixantaine de délégués ont été dépêchés.
« La mission a pour objectif de présenter une évaluation précise, détaillée et impartiale du processus électoral. Elle doit opérer en toute indépendance et de manière neutre, sans interférence dans le déroulement électoral… », expose sa feuille de route. « Le jour de l’élection, cela s’est relativement bien passé, sauf pour la province du Haut-Ogooué, le fief des Bongo. Là-bas, nos observateurs ont été sortis au moment des opérations de dépouillement », résume un membre de la mission européenne, interrogé par le JDD après son retour de Libreville. « Je ne peux rien dire de plus, j’ai des consignes », ajoute cette source. Paradoxalement, ce sont les interceptions du camp Bongo qui permettent d’entendre les délégués, tenus au devoir de réserve.
« On a anesthésié le discours »
L’écoute date du 29 août. Deux jours après l’élection, les résultats ne sont toujours pas proclamés. La situation reste incertaine. Ce jour-là, à 13 heures, la chef de la délégation européenne a tenu une conférence de presse en lisant un communiqué qui ménage les deux camps. « Dans la majorité des cas observés, les conditions du vote et la conduite du dépouillement ont été jugées satisfaisantes », a dit Mariya Gabriel. Elle a cependant déploré « un accès inégal lors des procédures de consolidation des résultats », sans toutefois s’étendre sur la situation du Haut-Ogooué.
Au téléphone, dans l’après-midi, Pierre confie à son interlocuteur (un Européen) que, pour cette conférence de presse, il a fallu « anesthésier le discours pour le rendre moins agressif contre les autorités. Ce qui est une bonne chose. C’est moins violent que le texte initial d’hier soir. Ils ont remplacé le mot “opacité” par le mot “non-transparence”, on a travaillé là-dessus pour éviter de blesser les gens inutilement ». Pierre ajoute néanmoins que « cela ne change rien à la réalité des choses » quant au résultat du scrutin. Les deux hommes sont partagés sur l’avenir. « Ça peut être calme parce que les gens n’ont pas envie d’aller en prison », dit l’homme au bout du fil. Pierre, lui, redoute des tensions.
« Des urnes en cours d’acheminement vont faire la différence »
Deux amis plaisantent. Jean-Jacques, adjoint de Pierre, est, lui aussi, sur écoute. Il téléphone à un membre de la mission qui se trouve à Port-Gentil, le gros centre portuaire et industriel du Gabon. « C’est la première fois que je vois ici comme ça, tout fermé, ville morte, pas une contestation. Les pauvres gens, ils sont tous en train d’attendre devant leur poste de télévision le résultat. Et le résultat, il traîne, il ne sera pas avant cette nuit ; maintenant, c’est fini, pronostique l’homme de Port-Gentil. Ils sont en train de chercher comment tricher et que ça ne se voie pas trop. »
« Oui, pour qu’ils traînent, c’est lié à ça, affirme Jean-Jacques. Bongo sait qu’il a perdu, mais comment il va faire pour annoncer qu’il a gagné ? » Selon l’un des deux hommes, « des urnes sont en cours d’acheminement à Libreville et vont faire la différence ». Il ajoute : « Y’a 3.000 voix d’écart qui seraient annoncées pour Bongo, alors qu’à l’origine y’avait 60.000 voix d’écart pour Ping. Comment faire avaler la couleuvre ? » En clair, les observateurs européens penchent pour une défaite d Ali Bongo et redoutent une manipulation à venir.
« C’est complètement fou ! »
« Pierre, excuse-moi de te réveiller. » « Tu me réveilles pas. » Il est 6 heures ce 30 août. Pierre est un matinal. Son interlocuteur, Xavier, est un des analystes de la mission. Sa voix trahit l’excitation des informations qu’il a obtenues durant la nuit. Les chiffres officiels sont toujours attendus, mais pour lui, le résultat final ne semble faire aucun doute. Avec Olivier, un autre membre de la mission, Xavier a passé plusieurs heures à discuter avec un opposant dont il donne le nom, ne se sachant pas écouté. « C’est tellement gros que tout le monde se demande ce qu’ils peuvent faire ! Et ce qu’on sait, tout le monde le sait… C’est clair comme de l’eau de roche, c’est complètement fou ! », confie Xavier. Pierre ne le contredit pas. Les deux hommes semblent persuadés de la défaite très large d’Ali Bongo.
Plus tard, Pierre appelle un autre membre de la mission. « Xavier m’a appelé à 6 heures du matin », raconte-t-il. « Avec Olivier, ils ont discuté avec des partis politiques de l’opposition qui ont exactement les résultats que nous, on connaît », dit Pierre. Il signale aussi qu’il y a eu des « modifications de chiffres cette nuit sur Wikipédia ». « Ils ont gonflé la population du Haut-Ogooué ! C’est pas un signe encourageant. » Effectivement, sur l’historique de la notice Wikipédia consacrée au fief du camp Bongo, la population a augmenté de 22.000 personnes en une nuit ! Et au cours de la nuit suivante, plusieurs dizaines de modifications interviendront. Le lendemain de ces conversations, dès le 31 août au matin, plusieurs médias de Libreville commencent à tirer à boulets rouges sur les observateurs européens : « Scandale de corruption au sein de l’Union européenne », titre l’un d’eux. Tous ciblent Xavier, qu’ils accusent d’avoir passé « quatre heures avec un candidat de l’opposition », en s’appuyant sur « des sources des services gabonais ». Est-ce sur la base des écoutes ? Probable…
« Ils ont fait ce que j’espérais qu’ils n’allaient pas faire… »
31 août, dans l’après-midi. La chef adjointe de la mission, Polyna, appelle Pierre. Elle vient de lui envoyer par Internet les résultats tels qu’ils ont été annoncés par l’AFP. La voix féminine paraît nouée : « L’AFP donne les chiffres, la différence est de 5.500 voix, l’opposition va refuser ces chiffres et va faire appel », annonce-t-elle. Pierre ouvre sa boîte mail et souffle à la lecture du score. Polyna résume son sentiment en une seule phrase : « Ils ont fait exactement ce que j’espérais qu’ils n’allaient pas faire… » Elle pense que la situation va déraper. « C’est sûr », acquiesce Pierre. Tous deux conviennent de rappeler tous les observateurs à Libreville au plus vite.
Dans la foulée, Pierre appelle Port-Gentil : « Je ramène tout le monde, dit-il. On met en alerte le Falcon. » Sur les écoutes, les voix semblent un peu plus nerveuses que la veille. Pierre appelle un contact à qui il vient d’envoyer le communiqué de l’AFP. « Tu comprends ce qui se passe ? », demande-t-il comme pour gagner du temps et ne pas se lancer dans de longues explications. « Oui, tout à fait », dit l’autre. « Vous prendrez uniquement ce qui est indispensable. Pas de panique, mais vous vous doutez bien de ce qui va se passer. C’est évident », dit Pierre. « Ali Bongo joue avec le feu, ça sera un deuxième Congo. C’est malheureux… », réplique son interlocuteur avec un accent belge, d’une voix calme et attristée. « On n’en est pas là, tempère le chef de la sécurité, qui envisage encore un autre scénario. On ne sait pas ce que seront les résultats proclamés… C’est peut-être fait exprès, pour tester… »
À l’écoute de ces conversations, les hommes du régime comprennent que pour la mission européenne, les scores annoncés ce 31 août par le ministère de l’Intérieur (les résultats officiels ne seront proclamés que le 23 septembre) relèvent de la mascarade. Le pouvoir a choisi l’option forte : Ali Bongo est donné vainqueur avec 5.594 voix d’écart. Dans le Haut-Ogooué, avec une participation de plus 97 % (contre 59,5 % au niveau national), il est crédité de 95,46 % des voix, soit plus de 68.000 bulletins litigieux d’avance…
« Le quartier général de Jean Ping est attaqué par un hélicoptère »
Pierre décroche son téléphone dans la nuit du 1er septembre. Il est autour de 2 heures. « Bonsoir, c’est Helmut Kulitz, l’ambassadeur de l’Union européenne. Désolé de vous déranger à cette heure… J’ai été appelé parce que le quartier général de Jean Ping est attaqué depuis une heure par un hélicoptère et des gens sont à terre avec des tirs réels. La situation est chaotique… » L’ambassadeur veut savoir si des membres de la mission peuvent se trouver à l’intérieur. « Non, il y a personne », rassure Pierre. « Je suis vraiment très inquiet », dit l’ambassadeur, la voix serrée. Le chef de la sécurité promet d’aller aux nouvelles.
Il compose sur-le-champ le numéro de Xavier, qui ne le rappelle que le lendemain matin. « T’as essayé de m’appeler à 2 heures du mat, je dormais ». « Est-ce que tu t’es déplacé au siège de campagne de Ping ? », lui demande Pierre. « Jamais ! » « C’est bien ce qui me semblait. Y’a un gros problème… J’ai dit qu’on avait personne là-bas. » Xavier comprend entre les lignes qu’on l’accuse de s’être rendu chez le candidat de l’opposition. Il s’en défend. « Ils m’ont vu avec le mari de la femme avec qui j’aurais couché ! », ironise-t-il, faisant allusion à des accusations de la sorte sur les réseaux sociaux gabonais.
Attaqué nommément via des tweets et par des hommes du régime, Xavier livre son analyse : « Les choses les plus difficiles à entendre, elles viennent de la mission électorale. La demande de toutes les ambassades de l’Union européenne de produire les résultats bureau de vote par bureau, entre guillemets, c’est moi. En faisant cela, tu vois ce que je veux dire. Malheureusement, cela m’a amusé jusqu’à un certain niveau. » Xavier remarque que le premier tweet qui le cible, la veille, a été posté dans l’heure qui suivait le communiqué de protestation de l’Union européenne et le tweet « à propos de moi et de la femme », dit-il, dans la foulée…
Pierre semble inquiet pour son collègue, qui a été menacé physiquement et verbalement. « Ce qu’il faut retenir, Xavier, c’est que tu es en danger et en ce qui me concerne, j’ai demandé à ce que tu rentres, discrètement et vite », avertit le chef de la sécurité. Dans la foulée, Pierre appelle un contact à l’ambassade de France. « Un gars est menacé de mort ici, prévient-il. On va faire en sorte que jusqu’à la porte de l’avion ce soir ça se passe bien, mais s’il y avait un souci, j’aimerais un contact au niveau de l’ambassade qui me réponde. L’ambassadeur est parfaitement au courant. »
« Déchirez les documents officiels et jetez-les »
Durant ces jours entre l’élection et la proclamation des résultats, les services gabonais écoutent le téléphone d’un autre membre de la mission, une femme prénommée Anne. Dans un premier temps, elle aussi organise le rapatriement des observateurs. Son inquiétude, outre les horaires d’avion et leur sécurité, concerne les documents. Les agents européens doivent garder sur eux les ordinateurs et les papiers. « Il faut éviter qu’on trouve des documents officiels, prévient Anne. Si vous avez des documents officiels, prenez des photos, déchirez-les et mettez-les à l’hôtel dans la poubelle. Pour éviter qu’à l’aéroport, ils vous fassent ouvrir la valise et vous les prennent. » C’est dire si vis-à-vis des Gabonais la confiance règne…
« Si les autres mettent la main sur ça, c’est foutu »
Anne appelle un interlocuteur gabonais qui lui a laissé un message. L’homme se présente et ne se doute pas une seconde qu’il puisse être écouté. « L’armée a chargé le QG du candidat de l’opposition et a emporté tous les ordinateurs et toutes les copies qu’ils avaient, prévient-il. Ils n’ont plus que les originaux qu’ils veulent sécuriser. » L’homme sollicite l’Union européenne parce qu’il espère qu’elle pourra « organiser un convoi », peut-être « avec l’armée française », pour mettre en sécurité des cartons d’archives.
« Combien y a-t-il de cartons ? » demande Anne. « Ils disent qu’ils ont 98 % des procès-verbaux de tout le territoire, c’est beaucoup de cartons. » Son interlocutrice européenne semble dépassée. « Ils ne peuvent pas faire de photocopies ? », demande-t-elle. L’homme s’emporte : « Non ! Tout est fermé à Libreville… Si les autres mettent la main sur ça, c’est foutu. » Anne lui explique que la mission ne sort plus de l’hôtel Radisson. Elle suggère que les cartons soient acheminés vers la délégation européenne permanente. Mais d’après son interlocuteur, la délégation non plus n’a pas les moyens d’aller les chercher.
L’homme semble dépité : « Je suis chez moi avec ma famille, j’ai été contacté par des hommes politiques locaux qui me connaissent pour voir dans quelle mesure on peut les aider pour sécuriser les procès-verbaux. » « Je vais parler avec mon chef d’abord », temporise Anne, qui ne voit pas de solution. « Oui, parlez avec votre chef, et si c’est opportun, vous me rappelez. Et si c’est pas opportun, bon, je vais dire que la délégation ne peut pas sécuriser les PV et qu’ils les gardent par-devers eux, là où ils sont », conclut l’homme. À l’écoute de cette conversation censée être confidentielle, les services secrets gabonais apprennent qu’un jeu des PV originaux des opérations de vote est encore en circulation…
« Même moi, je ne m’attendais pas à une telle vague »
La plupart des observateurs sont partis. Pierre B. est en train de « plier le dispositif », comme il le dit à son interlocuteur, Jean, qui appelle de Bruxelles. En deux conversations, d’une quinzaine de minutes chacune, les deux hommes débriefent la mission qui s’achève. Deux conversations sans filtre dont les Gabonais ne perdront pas une miette. Les deux interlocuteurs sont critiques sur le personnel européen : « La plupart, je me demande ce qu’ils font ; j’ai l’impression d’être dans une ONG, ce sont des gens qui ont eu des accidents de la vie », confie Pierre. « Oui, c’est un peu le bas de gamme, embraye son correspondant bruxellois. Des gens qui travaillent seulement trois mois par an. » Pierre déplore des tenues « jeans pattes d’éléphant, y compris lors des cocktails aux ambassades ». « Au niveau de la tenue, on est ici dans la cour des miracles. Ils sont tous habillés… pas chemise hawaïenne mais pas loin… On se tire des balles dans le pied », regrette l’ancien militaire.
Pierre revient sur les incidents avec le régime, et notamment sur le cas de Xavier. « Dans son boulot, il était très performant. Mais il s’est fait cibler tout de suite… » Le responsable de la sécurité évoque aussi des problèmes nocturnes : « J’ai passé mes nuits à me déplacer chaque fois que l’ambassadeur m’appelait. Il est très craintif. Un coup, c’est parce qu’un véhicule de gendarmerie passait dans son quartier, une autre fois parce que deux gendarmes étaient entrés dans sa résidence sans autorisation ; il avait oublié que c’était lui qui les avait fait venir ! »
Les deux hommes se demandent qui va prendre le relais sur place. Pierre, pessimiste, prévoit que les Gabonais ne donneront plus de visas aux observateurs européens. Jean lui annonce que « les grands chefs bruxellois » ont « une stratégie » : « Ils veulent mettre l’autorité gabonaise devant cette idée : soit cette invitation est toujours valable et on nous donne les visas, soit elle n’est plus valable et ça sera interprété comme quoi la mission est foutue dehors. Et c’est différent. » Pierre annonce que pour lui, « la rue n’a pas du tout envie qu’on parte ». Jean semble s’en étonner : « Il y a au moins 40 % du pays qui soutient Bongo non ? Si on fait l’arithmétique ethnique ça donne 40 % ? »
Pierre ne partage pas du tout cette analyse : « Même chez Bongo, il y a beaucoup de gens qui ont fait défection, qui ne supportent plus le nom. Il n’a d’ailleurs pas dit Bongo pendant sa campagne, c’est simplement “Ali”, il n’y a aucune affiche avec son nom… » « Franchement, ici, les gens n’en peuvent plus, poursuit Pierre. Mais le Gabonais n’est pas un combattant, il a face à lui 4.000 à 5.000 personnes d’une garde républicaine bien équipée et bien déterminée. Maintenant, ce sont les seuls. Quid de l’armée et de la gendarmerie ? Au vu des résultats électoraux, je doute qu’elle suive et qu’elle tire sur une foule. J’en doute fortement. » « Plutôt une bonne nouvelle », réagit Jean.
« Vous ne pensez pas qu’on est largement écoutés ? »
« Même moi, je ne m’attendais pas à une telle vague. Même les expatriés qui vivent ici », dit Pierre, qui pronostique : « Vu le volume de mécontents, une asphyxie du pays. Les gens ne vont pas jouer la force, ils vont jouer l’asphyxie. Ils n’en veulent plus. » « Hyper-intéressant », réagit son interlocuteur. Sur sa lancée, Pierre résume la situation : « Les conseillers jusqu’au-boutistes qui entourent le président, ils n’ont plus le choix. » Il estime, que « contrairement à l’élection précédente », l’Union européenne est venue cette fois jouer les trouble-fête. Reprenant une formule africaine, il juge que les Gabonais ont mis l’Europe « en plus dans la soupe et ils ne savent pas comment s’en sortir. La soupe est mauvaise… »
Subitement, l’interlocuteur bruxellois a un doute : « Vous ne pensez pas que quand on discute comme ça on est largement écoutés ? », demande-t-il. « C’est probable à 80 % », réplique l’ancien militaire, qui doit espérer, vu ce qu’il dit au téléphone, être dans les 20 % épargnés… Pendant un long moment, les deux hommes évoquent en détail d’autres aspects de la mission, s’échangent une foule d’informations sur les uns et les autres, jusqu’aux frayeurs de MST chez certains membres du dispositif. « Merci pour ce temps, cela m’a édifié », dit Jean, qui promet de rester discret. « Bien entendu, je fais attention à ce que vous m’avez donné parce que j’ai envie de durer », conclut-il. Ce qu’il ignore, c’est que les services d’Ali Bongo n’ont rien perdu de leurs discussions. Le pouvoir gabonais, lui aussi, a envie de durer.
Source: Le Journal du dimanche