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Guerre en Ukraine : Moscou se remet en mouvement en ralliant l'Afrique et en divisant l’Occident : Lignes de défense
ouest france
Après six mois de guerre, Moscou n’a pas renoncé à défaire l’Ukraine mais la solution militaire est actuellement inatteignable du fait de la résistance ukrainienne et du soutien matériel des Occidentaux, les Américains en tête.
Comme le disait pertinemment Michel Goya dans un entretien paru sur ouest-France.fr, « depuis pratiquement la fin du mois de mars, la guerre en Ukraine est devenue une guerre dite « de position », par opposition à une guerre dite « de mouvement ». Une guerre « de position » est une guerre qui se caractérise par son immobilité (…). Globalement, Russes et Ukrainiens ne sont pas capables de faire grand-chose pour l’instant. » (photo ci-dessus Reuters).
Michel Goya pense, en outre, que « quand les deux armées auront reconstitué leurs forces, formé de nouvelles unités et refait leurs stocks, on passera sans doute dans une nouvelle phase offensive (…) La première armée qui sera prête à réattaquer rouvrira les hostilités ». Ce qui ne signifie pas que l’un ou l’autre des deux camps l’emportera.
Côté russe, en dépit des déconvenues de ces six derniers mois, le régime assure que les objectifs, bien que jamais clairement énoncés, n’ont pas changé. Vladimir Poutine (photo ci-dessous Reuters) a, lui, affirmé le 7 juillet « que les choses sérieuses n’avaient pas encore commencé »…
Une rodomontade de plus ? Ou bien aurait-il caché une carte maîtresse dans sa manche ? Comme des nouvelles armes encore plus puissantes que celles dévoilées ces dernières années dont l’effet sera supérieur à celui des armes modernes fournies par les Américains aux forces ukrainiennes ? Comme des réserves en hommes et en matériel insoupçonnées qui vont lui permettre de lancer une attaque massive et définitive ?
Ne serait-ce pas plutôt une stratégie diplomatique résolue pour, d’une part, battre le rappel des pays non-alignés sur la politique de l’Ouest et les ranger dans le giron russe, et pour, d’autre part, diviser et affaiblir le camp occidental, l’objectif final étant d’isoler Kiev et ses derniers soutiens et de l’emporter ensuite militairement ?
Flirt africain
Effectivement, les Russes ne ménagent pas leurs efforts pour courtiser la communauté des pays non-alignés ou résolument anti-américains. Mais ils visent particulièrement des pays africains dont 25 (sur 54 Etats) n’ont pas dénoncé à l’Onu l’agression russes contre l’Ukraine.
Les nombreux déplacements africains du ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov (Algérie en mai, Egypte, Ethiopie, Ouganda et Congo en juillet de cette année) ne doivent faire oublier ni les visites de responsables africains à Moscou ni l’activisme pro-africain d’autres Russes comme Oleg Ozerov, le secrétaire général du Russia-Africa Partnership Forum (RAPF), Mikhail Bogdanov, le représentant spécial de Vladimir Poutine pour le Moyen-Orient et l’Afrique, ou encore Alexander Fomin, le vice-ministre de la Défense.
On l’a également vu lors de la Xe Conférence de Moscou sur la sécurité internationale (MCIS-2022) du 16 août où le régime russe a dénoncé « des sanctions manifestes et une pression informationnelle sur la Fédération de Russie et nos pays amis ». Le Kremlin a précisé que « ces actions visent à saper les liens de la Russie avec ses partenaires traditionnels et constituent une nouvelle tentative d'isoler ou de diviser nos pays» et il a dénoncé la « stratégie américaine délibérée et consciente » qui viserait « à déstabiliser et à désorganiser la situation dans le monde ».
Lors de cette Conférence, Vladimir Poutine a déclaré que « de plus en plus de pays et de peuples choisissent la voie d’un développement libre et souverain, fondé sur leur identité, leurs traditions et leurs valeurs » (lire son texte intégral ici). Or, selon lui, « ces processus objectifs sont contrecarrés par les élites mondialistes occidentales, qui provoquent le chaos, fomentent des conflits anciens et nouveaux, mettent en œuvre la politique dite d’endiguement et, en fait, sapent tout mode de développement alternatif et souverain. Ce faisant, ils tentent par tous les moyens de préserver l’hégémonie et le pouvoir qui leur échappe, en essayant de maintenir les pays et les peuples sous l’emprise d’un ordre de nature néocoloniale ».
Pour sa part (photo ci-dessus Russian MoD), Sergueï Choïgou, le ministre russe de la Défense, a aussi dénoncé « la volonté des pays de l'Occident de restaurer l'ordre et les règles d'engagement caractéristiques de la période coloniale » en Afrique et a spécifiquement affirmé que ce « nécolonialisme » passait par un « soutien aux mouvements séparatistes et terroristes » (son discours est à lire ici).Parmi les convaincus du discours russes figurent Sadio Camara, le ministre malien de la Défense, pour qui le « soutien technique et matériel de la Russie, ne dissimule aucune arrière-pensée coloniale » (lire ici son discours lors de la conférence. Photo ci-dessus Russian MoD) et la ministre de la Défense et des Anciens combattants de la République d’Afrique du Sud, Tandi Modise.
Cette dernière, lors d'un entretien à Sputnik, affirmait que la Russie joue un rôle clé dans la stabilité militaire, économique et politique de l’Afrique et ce, pour deux raisons: « La première est que la Russie […] n’a jamais été un pays colonisateur de l’Afrique. La seconde, et pour laquelle nous respectons la Russie, découle de sa contribution au développement des pays africains, notamment via des prêts, sans profiter de cette situation pour les asservir ». Pour elle, « autant l’Afrique du Sud se bat pour être reconnue comme un État souverain, autant la Russie est dans son droit de se défendre » dans le cadre de son opération spéciale en Ukraine.
L’Europe, combien de divisions ?
L’Europe est la cible de la seconde manœuvre russe.
Diviser les Européens est un objectif stratégique, gage d’un ralentissement, voire d’un arrêt, des livraisons d’armes et d’énergie à Kiev. Or, il est clair que les Européens n’ont plus leur enthousiasme du premier trimestre de la guerre en Ukraine pour vider leurs stocks d’armement et pour s’affranchir des entraves administratives et politiques susceptibles de freiner les fourniture d’armes et de munitions. Les promesses de Gascons des Allemands sont là pour en témoigner.
Par ailleurs, sur les sanctions (7 « trains » de sanctions depuis mars) destinées à affaiblir la capacité du Kremlin à financer la guerre, l’unanimité n’est plus acquise et une position unifiée de l'UE est de moins en moins acceptée. En témoigne par exemple les réticences hongroises sur un embargo pétrolier. On est donc passé de la convergence aux divergences.
Dernière divergence en date : l’accès des Russes à l’Europe. Ainsi, Kiev appelle les Européens à bannir les touristes russes pour punir Moscou de la guerre en Ukraine, mais cette mesure est loin de faire consensus. A l'instar de Prague, les Pays baltes et la Pologne ont déjà durci leur régime de visas pour les Russes (arrêt total ou pour les seuls touristes), avec des exceptions (humanitaires, études, travail). Pour le chancelier allemand, Olaf Scholz, une limitation des visas touristiques pénaliserait « tous les gens qui fuient la Russie parce qu'ils sont en désaccord avec le régime russe ». Les sanctions doivent d'abord viser à « pénaliser la machine de guerre russe et non le peuple russe », abonde le Portugal.
Le risque est grand de se retrouver, comme en 2014-2015, avec une volonté européenne chancelante face à Moscou.
On relira donc avec intérêt le rapport de juin 2015, n° 486, intitulé "Union européenne/Russie : les sanctions et après ?", par Yves POZZO di BORGO et Simon SUTOUR au nom de la commission des affaires européennes.
En voici un extrait qui n'a pas vieilli: "Si l'Union européenne a pu imposer des sanctions à la Russie, cela n'a pas été sans susciter des divergences nationales préjudiciables à la cohésion européenne. Ainsi, les réunions du Conseil européen et du Conseil dans sa formation « Affaires étrangères » ont souvent été l'occasion de constater des divergences d'analyse entre États membres sur l'opportunité d'adopter des sanctions ou d'étendre celles qui l'avaient déjà été. Les États membres sont partagés entre les partisans du renforcement des sanctions (États baltes, Pologne ou Royaume-Uni) et ceux qui souhaiteraient leur allégement, voire leur suspension (Italie, Hongrie, Bulgarie, Slovaquie, Chypre)."
La carte maîtresse dans la manche de Poutine ? Le Général Hiver, il attend que les Européens unionistes se caillent les miches avec un froid de "cinq à six béries".