Elections en Angola: "Du pétrole, des diamants, mais pas de travail"
24 août 2022 à 16:00 par AFP Par Camille LAFFONT © 2022 AFP
"Nous avons besoin de changement": dans ce quartier populaire de Luanda, acquis à l'opposition, de nombreux électeurs attendent l'ouverture des bureaux de vote et l'arrivée de leur champion, Adalberto Costa Junior, candidat à la présidence qui défie le parti historique au pouvoir en Angola.
Le pays vote mercredi pour des élections législatives qui décideront du prochain président, un scrutin annoncé comme le plus serré de l'histoire du pays, entre le Mouvement populaire pour la libération de l'Angola (MPLA) au pouvoir depuis l'indépendance en 1975 et une opposition plus forte que jamais.
Le candidat du parti vainqueur aux législatives sera investi chef d'Etat.
A Nova Vida, les bureaux de vote sont installés au coin d'une ruelle poussiéreuse, entre les maisons de parpaing et des petites échoppes.
Les grandes artères parfaitement bitumées et les gratte-ciel rutilants du centre de la capitale paraissent loin.
"Ce pays ne va pas bien, nous avons besoin de changement. Nous avons besoin qu'Adalberto Costa junior devienne notre président", dit à l'AFP Manuel Antonio Teca, 27 ans, au chômage.
"Les jeunes sont l'avenir du pays, mais la nourriture manque, les prix sont élevés, tout va lentement", poursuit-il. "Nous avons du pétrole, des diamants, mais les gens n'ont pas de travail".
Riche en ressources naturelles, l'Angola, plongé dans de grandes difficultés économiques, reste un des pays les plus pauvres du continent. Inflation galopante, sécheresse sévère, chômage et vie chère nourrissent un ras-le-bol grandissant parmi la population.
- "Peut-être la bonne" -
Surnommé "ACJ", Adalberto Costa Junior, 60 ans, est le principal rival du président sortant Joao Lourenço. Ce dernier, ancien général à la retraite, est un pur produit du MPLA qui s'est affranchi du système une fois élu en 2017.
Il a lancé une vaste campagne anti-corruption et des réformes ambitieuses, saluées à l'étranger, pour sortir le pays de sa dépendance au pétrole et privatiser les entreprises publiques.
Dans le quartier fief de l'opposition, la plupart estiment la victoire possible malgré la mainmise du parti au pouvoir. Quelque 14,7 millions d'électeurs sont attendus dans les 13.200 bureaux ouverts jusqu'à 18H00 (17H00 GMT).
"C'est difficile, mais nous devons y croire. Cette année peut être la bonne", espère Joaquim, 29 ans. Il patiente dans une file d'électeurs bien ordonnée.
Les premiers à glisser leur bulletin dans les urnes sont les anciens. Les jeunes du quartier papotent, adossés aux murs.
Adalberto Costa Junior réussit à séduire cette jeunesse urbaine moins attachée au MPLA que leurs aînés, avec des promesses de réformes, de lutte contre la pauvreté et contre la corruption.
"Alors, tu as voté, maman?" demande l'un d'eux à une vieille femme.
"Oui mon fils", répond-elle en dressant son index marqué à l'encre bleu.
Un peu plus tard, une clameur s'élève: "Il est arrivé!"
Entouré d'une nuée d'agents de sécurité, de collaborateurs et de journalistes, le candidat de l'opposition émerge d'une voiture. C'est ici qu'il a choisi de voter.
En costume, les cheveux ras, il prend une profonde inspiration: "C'est un jour historique", affirme-t-il après avoir déposé son bulletin.
"Adalberto, président!" lancent des partisans fiévreux.
Les Angolais votent dans une course serrée dans laquelle la jeunesse aliénée pourrait faire pencher la balance.
Zone Bourse
Les Angolais ont voté mercredi dans une course serrée dans laquelle la principale coalition d'opposition a la meilleure chance de victoire de son histoire, alors que des millions de jeunes laissés pour compte de ses booms pétroliers devraient exprimer leur frustration face à près de cinq décennies de règne du MPLA.
Le parti au pouvoir reste favori, bien que la marge soit suffisamment étroite pour une victoire surprise de l'UNITA, qui pourrait modifier les relations avec les superpuissances mondiales - avec éventuellement des liens moins amicaux avec la Russie.
Depuis son indépendance du Portugal en 1975, l'Angola est dirigé par le Mouvement populaire de libération de l'Angola (MPLA), anciennement marxiste, dirigé depuis 2017 par le président Joao Lourenco.
Mais un sondage Afrobaromètre de mai a montré que la coalition d'opposition de l'Union nationale pour l'indépendance totale de l'Angola (UNITA), dirigée par Adalberto Costa Junior, a augmenté sa part à 22 %, contre 13 % en 2019.
C'est toujours sept points derrière le MPLA, mais près de la moitié des électeurs étaient indécis. De nombreux jeunes - les moins de 25 ans représentent 60 % du pays - votent pour la première fois.
"J'espère que cette élection apportera un peu de changement parce que le pays n'est pas bien comme il est", a déclaré Goncalo Junior Maneco, un électricien de 25 ans, alors qu'il attendait de voter dans un bureau de vote de l'université Lusiada, dans la capitale Luanda.
Le président Lourenco, qui cherche à se faire réélire, a voté en début de matinée dans le même bureau de vote, entouré d'une forte sécurité.
"Nous venons d'exercer notre droit de vote. C'est rapide et simple. Nous conseillons à tous les citoyens éligibles de faire de même. En fin de compte, nous gagnerons tous, la démocratie gagnera et l'Angola gagnera", a déclaré M. Lourenco aux journalistes.
Dans une période tendue avant le vote pour le président et le parlement, l'UNITA a exhorté les électeurs à rester près des bureaux de vote après avoir voté afin de réduire le risque de fraude.
Selon les analystes, les règles modifiées de comptage des voix pourraient retarder les résultats officiels de plusieurs jours, augmentant ainsi les tensions qui, selon certains, pourraient déboucher sur des violences.
"J'espère qu'elle (l'élection) se déroulera dans un environnement paisible et tranquille", a déclaré Adriano Francisco, 49 ans, alors qu'il faisait la queue pour voter.
Un taux de participation élevé devrait favoriser le MPLA, tandis qu'un faible taux de participation pourrait être une aubaine pour l'UNITA, a déclaré le cabinet de conseil Eurasia Group.
LIENS AVEC LA RUSSIE
Une victoire de l'UNITA pourrait affaiblir des décennies de liens étroits avec Moscou, pour qui le MPLA était un proxy de la guerre froide pendant la guerre civile angolaise de 27 ans qui s'est terminée en 2002, alors que l'UNITA était soutenue par les États-Unis.
L'UNITA a condamné "l'invasion de l'Ukraine par la Russie", a déclaré Costa Junior sur Twitter. Il s'est également rendu à Bruxelles et à Washington pour tisser des liens avec ses partenaires occidentaux avant les élections.
L'ambassadeur de Russie en Angola, Vladimir Tararov, a été cité dans la presse angolaise en mars comme faisant l'éloge du pays pour sa neutralité tout en fustigeant l'UNITA pour avoir voulu montrer qu'elle "se tient avec l'Occident, les pays dits civilisés".
Lourenco s'est également ouvert à l'Occident depuis son élection en 2017, mais en mars, l'Angola s'est abstenu de soutenir une résolution des Nations unies qui condamnait la guerre de la Russie en Ukraine.
"Il est hautement possible qu'une victoire de l'UNITA signifie une distanciation de l'Angola vis-à-vis de la Russie", a déclaré à Reuters Charles Ray, responsable du programme Afrique à l'Institut de recherche en politique étrangère, mais seulement si elle peut d'abord consolider son pouvoir sur une armée pro-russe.
Lourenco a essayé d'améliorer ses relations avec Washington et, juste avant les élections, a demandé à rejoindre un accord commercial avec l'Union européenne et les États d'Afrique australe, en vigueur depuis 2016. Les pourparlers débuteront dans quelques mois.
Interrogé sur ce changement de position, Costa Junior a déclaré à Reuters au cours du week-end : "L'image (Lourenco) construite auprès du monde extérieur est en train de disparaître".
Lourenco a "réussi en termes de relations internationales", mais cela n'a pas eu de conséquences positives pour les Angolais, a déclaré Ricardo Soares de Oliveira, professeur de politique africaine à l'Université d'Oxford.
Lourenco s'est également engagé à poursuivre les réformes économiques, notamment la privatisation et l'encouragement du secteur non pétrolier.
Elections indécises en Angola qui pourraient affecter les liens avec la Russie
reuters.com | 24/08/2022, 7:43 par Catarina Demony
LUANDA (Reuters) - Les Angolais sont appelés aux urnes mercredi pour des élections présidentielle et législatives s'annonçant indécises, alors que la principale coalition d'opposition semble en mesure de l'emporter du fait de la frustration grandissante de millions de jeunes n'ayant pas profité de la croissance économique.
Au pouvoir depuis l'indépendance en 1975, le Mouvement populaire de libération de l'Angola (MPLA) demeure favori mais son avance sur l'Union nationale pour l'indépendance totale de l'Angola (UNITA) est mince dans les sondages.
Une enquête d'opinion effectuée en mai montrait un gain de popularité de l'UNITA, créditée de 22% des suffrages, contre 13% en 2019.
Si le MPLA bénéficie de sept points d'avance, près de la moitié des sondés ont déclaré être indécis. De nombreux jeunes vont voter pour la première fois, alors que les moins de 25 ans représentent 60% de la population.
En amont de ces élections, symbole des tensions, l'UNITA a appelé les électeurs à ne pas s'éloigner des bureaux de vote afin de limiter le risque de fraude.
Des analystes disent s'attendre à ce que les résultats officiels soient reportés de plusieurs jours, du fait d'une modification des modalités de dépouillement, avec le risque d'une escalade des tensions - et, potentiellement, de violences.
Une victoire de l'UNITA, qui entend revoir des liens du pays avec les puissances mondiales, pourrait affecter les relations étroites entretenues avec la Russie, alliée du MPLA durant la guerre civile angolaise.
Soutenue par les Etats-Unis, l'UNITA a condamné l'"invasion de l'Ukraine par la Russie", selon son chef de file, Adalberto Costa Junior, qui s'est rendu à Bruxelles et à Washington pour nouer des relations avec les Occidentaux avant les élections.
Le président sortant, Jaoa Lourenco, s'est rapproché de l'Occident depuis son élection en 2017 mais s'est abstenu, en mars dernier, de soutenir une résolution de l'Onu condamnant l'offensive de la Russie en Ukraine.
(Reportage Catarina Demony à Luanda et Francesco Guarascio à Johannesburg; version française Jean Terzian)
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Explicatif - Quel est l'enjeu des élections en Angola pour les investisseurs ?
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Les Angolais voteront mercredi pour un nouveau président et un nouveau parlement dans ce qui s'annonce comme l'élection la plus serrée dans le deuxième plus grand producteur de pétrole d'Afrique depuis que le pays a obtenu son indépendance du Portugal en 1975.
QUI SONT LES PRINCIPAUX ACTEURS ?
Le président João Lourenço du MPLA au pouvoir, qui a fait de la réforme de ce pays d'Afrique australe rongé par la corruption sa priorité depuis sa prise de fonction en 2017, affronte Adalberto Costa Júnior du groupe rebelle devenu opposition, l'Union nationale pour l'indépendance totale de l'Angola (UNITA).
Un sondage Afrobaromètre de mai donnait au MPLA au pouvoir, qui gouverne l'Angola depuis l'indépendance, une avance de 7 % sur l'UNITA. Les analystes s'attendent à ce qu'il l'emporte malgré le soutien croissant dont bénéficie l'opposition.
QUEL EST L'ENJEU POUR LES INVESTISSEURS ?
L'Angola est l'une des plus grandes économies d'Afrique. C'est le deuxième plus grand producteur de pétrole du continent après le Nigeria, selon l'OPEP, tandis que les données du processus de Kimberley le classent comme le septième plus grand producteur mondial de diamants bruts.
Longtemps dominé par des entreprises d'État, héritage de son passé socialiste, l'Angola s'est lancé dans d'ambitieux programmes de privatisation, mais les progrès sont lents. Les autorités s'attendent à ce que la restructuration de la compagnie pétrolière d'État Sonangol et du mineur de diamants Endiama en vue d'introductions en bourse partielles prenne encore 12 à 18 mois.
Lourenço a également ouvert des enquêtes anti-corruption contre l'administration précédente du MPLA.
Après cinq années de récession, le PIB de l'Angola a augmenté de 0,7 % en 2021, selon la Banque mondiale, et le ministère des finances prévoit une croissance de 2,7 % pour cette année. L'inflation est en baisse, mais reste supérieure à 20 %.
Le retour à la croissance lié à la hausse des prix du pétrole n'a, comme d'habitude, pas profité à la plupart des Angolais, dont environ la moitié vit dans la pauvreté, selon l'indice de pauvreté multidimensionnelle en Angola. Ce désespoir pourrait facilement déboucher sur des violences pendant les élections, a déclaré Laura Seara Cabeça, de Risk Advisory Group.
A QUOI LES MARCHÉS SONT-ILS ATTENTIFS ?
Les investisseurs dans les 9 milliards de dollars d'euro-obligations en circulation du pays tablent sur une victoire et une majorité des 220 sièges parlementaires pour le MPLA, ce qui signifierait la poursuite des politiques favorables au marché de Lourenço.
Les euro-obligations de l'Angola ont actuellement un rendement supérieur à 10 %, selon les données de Tradeweb, le niveau auquel on considère souvent qu'un pays ne peut plus émettre de nouvelles dettes.
Le fardeau de la dette du pays a grimpé en flèche pour atteindre le niveau record de 131 % du produit intérieur brut (PIB) en 2020, avant de retomber à 75 % l'année dernière, aidé par la hausse des prix du pétrole.
Un indice JPMorgan des obligations angolaises est en baisse de 9,3 % au cours des six derniers mois, contre une chute de 12,5 % pour l'ensemble du continent.
QUELLE EST LA DIFFÉRENCE ENTRE LES POLITIQUES DU MPLA ET DE L'UNITA ?
Pas grand-chose.
Tous deux ont présenté des propositions similaires visant à diversifier l'économie et l'assiette fiscale en s'éloignant du pétrole, et à encourager les investissements dans des secteurs tels que les énergies renouvelables, la pêche et le tourisme, selon Fernandes Wanda, économiste à l'Université Agostinho Neto de Luanda.
Mais Jon Schubert, anthropologue politique à l'Université de Bâle, a déclaré qu'il pensait que le MPLA au pouvoir n'avait pas encore démontré la volonté politique de mettre fin à la forte dépendance continue de l'Angola au pétrole.
M. Lourenço a déclaré lors d'un rassemblement de campagne samedi que le MPLA avait levé le "tabou" de la privatisation dans un pays longtemps dominé par la pensée socialiste sur l'économie et il a également fait l'éloge d'un accord de 3,7 milliards de dollars conclu avec le FMI en 2018.
"Surtout, nous avons gagné la crédibilité internationale dont nous avions besoin sur les marchés internationaux", a-t-il déclaré.
L'UNITA a promis de mettre fin à la "concentration de l'économie dans un seul groupe politique et social" - une référence à l'Angola qui est l'une des sociétés les plus stratifiées au monde, dont l'élite ne comprend que ceux qui ont des liens avec le parti au pouvoir.
Mais le parti n'a pas critiqué les réformes macroéconomiques plus larges du gouvernement parce qu'il poursuivrait très probablement les mêmes politiques, a déclaré l'analyste indépendante basée en Afrique du Sud, Marisa Lourenço, qui n'est pas un proche du président.
Le candidat à la présidence de l'UNITA, Costa Junior, a déclaré dimanche à Reuters qu'il continuerait à faire pression pour la mise en uvre d'un accord entre son parti, le MPLA et d'autres pour maintenir la stabilité économique, quel que soit le parti au pouvoir.
"J'ai fait pression pour un pacte de stabilité et je continuerai à le faire indéfiniment", a-t-il déclaré.
Quel que soit le vainqueur, il sera toujours confronté à la volatilité du prix du pétrole, qui représente plus de la moitié des recettes publiques de l'Angola et 94 % de ses exportations, selon le Fonds monétaire international, qui a déclaré que toute chute des prix du brut pourrait rapidement déclencher des problèmes de dette dans le pays.