Interview de Mauro GARAFALO
MAURO GAROFALO, RESPONSABLE AUX RELATIONS INTERNATIONALES DE LA COMMUNAUTE SANT’EGIDIO : « La paix et la justice doivent marcher main dans la main, mais il faut du temps »
http://lepays.bf 17 juillet 2017
De retour de sa mission effectuée la semaine dernière en République centrafricaine, Mauro Garofalo, responsable aux relations internationales de la Communauté Sant’Egidio, livre un bilan de ses rencontres avec les parties prenantes de l’Accord de paix signé à Rome le 18 juin dernier. « Ma mission a été une très bonne occasion pour rencontrer les autorités politiques, à partir du président de la République, mais aussi l’Assemblée nationale, les ministres du gouvernement, ainsi que les autorités religieuses, notamment la Conférence épiscopale, l’archevêque Nzapalainga et l’Imam Layama, les représentants de la société civile et des groupes armés », soutient le médiateur du processus de paix lancé par Sant’Egidio. Garofalo assure que « les discussions ont été franches et animées, mais elles n’ont pas remis en cause l’Accord de Rome ». Il ajoute par ailleurs que « la paix et la justice doivent marcher main dans la main », mais que dans un contexte de peur et de violence qui perdure, « la mise en œuvre de l’accord prend du temps ». Dans cet entretien, Mauro Garofalo annonce la mise en place d’un Comité de suivi qui sera chargé de favoriser l’application des mesures inscrites dans le texte de l’accord dont « les tenants et les aboutissants doivent être expliqués à l’ensemble de la population centrafricaine ».
Quels étaient les objectifs de votre mission en Centrafrique et quels sont les résultats que vous avez obtenus?
Cette visite était déjà programmée, car aussi bien les représentants du gouvernement que ceux du président avaient exprimé leur souhait d’effectuer un suivi de l’Accord de Rome. Ma mission a été une très bonne occasion pour rencontrer les autorités politiques, à partir du président de la République, mais aussi l’Assemblée nationale, les ministres du gouvernement, ainsi que les autorités religieuses, notamment la Conférence épiscopale, l’archevêque Nzapalainga et l’Imam Layama, les représentants de la société civile et des groupes armés. Disons qu’elle s’est déroulée au bon moment.
Quel en est le bilan ?
Les discussions ont été franches et animées, mais elles n’ont pas remis en cause un accord qui doit être appliqué. Certes, après la signature de l’Entente de Sant’Egidio, nous avons senti la nécessité et le devoir d’expliquer à la presse centrafricaine et internationale, tous les tenants et les aboutissants du texte et des subtilités qu’il recouvre, dans le but de démentir les informations qui ont circulé après la rencontre de Rome.
Quelles informations ?
Celles relatives à l’amnistie que cet accord concéderait, mais c’est faux. Qui a lu le texte peut en témoigner.
Mais l’amnistie est source de désaccords. Le Forum national de Bangui et les autorités religieuses s’y opposent, alors que d’autres acteurs pensent que pour mettre fin au conflit, il est nécessaire d’intégrer les groupes armés dans l’arène politique. Comment concilier deux positions qui semblent inconciliables ?
Face à des crises aussi graves, chaque pays africain doit trouver sa propre voie pour régler les comptes avec les violences et le passé, et faire appliquer la justice. La République centrafricaine n’est pas une exception. Nous savons bien que dans le dossier de la RCA, la Communauté internationale est divisée. Les débats sont très animés, et ils pèsent sur la Présidence centrafricaine. De son côté, Sant’Egidio a essayé d’être réaliste, tout en tenant compte des exigences des organisations internationales qui travaillent sur les questions judiciaires. Je pense évidemment à la Cour pénale internationale et à la Cour pénale spéciale, dont les juges ont prêté serment le 30 juin dernier devant le président Touadéra.
Que signifie « être réaliste » ?
Cela signifie que la justice et la paix doivent marcher main dans la main, et qu’il faut trouver un moyen de sortir de la spirale de la violence à travers un processus de réconciliation et de pardon, tout en sachant que la justice doit être respectée.
Pourriez-vous apporter des précisions sur les dissensions qui, selon vous, règnent au sein de la Communauté internationale ?
Il y a une tendance générale qui reflète les positions du Forum national de Bangui, soutenu par les Nations-unies, et qui est favorable à la tolérance zéro. Face à cette position, il y a une approche que je définirais de régionale et qui est moins rigide à ce sujet. Au-delà des convictions des uns et des autres, je crois que des marges de manœuvre importantes subsistent afin de rapprocher les deux parties. Il y a encore beaucoup de travail à accomplir. Cela vaut aussi pour l’accord de Rome. Sa mise en œuvre nécessite du temps.
Quelles sont les conditions de cette mise en œuvre ?
Nous sommes sur le point de lancer un Comité de suivi, avec le soutien du président de la République, et je l’espère, de l’Assemblée Nationale. Ce Comité, dont Sant’Egidio fait partie, aura pour tâche principale d’appliquer les mesures prévues par l’Accord de Rome, en analysant étape après étape les points critiques qui, jusqu’à présent, ont empêché d’aller de l’avant plus rapidement. Dans un pays un peu moins grand que la France, où la majeure partie du territoire échappe au contrôle de l’Etat, nous avons besoin de temps pour expliquer en profondeur à l’opinion publique, y compris en langues nationales, les contenus de l’Accord et ses objectifs. Nous sommes prêts à revenir en RCA prochainement, pour soutenir les travaux du Comité de suivi.
Au cours de votre mission, vous avez rencontré le cardinal Dieudonné Nzapalainga qui dit n’avoir jamais signé ou fait signer ledit Accord. Est-ce que sa position a changé après votre rencontre ?
Il y a eu un malentendu sur la personne qui s’est présentée à Rome et qui a signé l’Accord. Lors de notre rencontre qui s’est tenue au grand séminaire de Saint-Marc de Bimbo, nous avons eu un échange très franc et très fructueux. Le Cardinal s’est déclaré satisfait de notre discussion, en me disant qu’il avait finalement compris les contenus de l’Entente signée à Sant’Egidio et que par conséquent, il nous soutenait.
Edouard Patrice Ngaissona a, lui aussi, démenti son appui à cet Accord. Problème réglé avec le responsable de la « Coordination anti-Balaka » ?
Je voudrais souligner que les propos rapportés dans les médias, ne sont pas ceux de Ngaissona, mais d’un de ses représentants. Lors de ma visite en RCA la semaine dernière, j’ai eu l’occasion de rencontrer certains de ses collaborateurs qui m’ont confirmé la volonté de ce mouvement appartenant aux Anti-Balaka, d’adhérer à l’Accord.
Comment convaincre les groupes armés et leurs leaders de déposer les armes alors qu’ils risquent un procès et donc de finir en prison ?
La question de la justice n’a pas été au cœur des discussions que j’ai eues à Bangui. Le vrai sujet a plutôt concerné les mesures qu’il faut mettre en œuvre pour sortir d’une économie de guerre et des violences qui ont ravagé le pays. Les Centrafricains veulent la paix et vivre une vie normale. En même temps, nous ne pouvons pas ignorer les sanctions internationales et une Cour pénale internationale qui aura besoin de beaucoup de temps avant de pouvoir afficher des résultats concrets.
Mais, comment convaincre les leaders armés ?
Ils doivent être convaincus avec une approche positive du pays et du peuple centrafricain qu’eux-mêmes disent vouloir protéger. Je ne cache pas que ce processus sera long. L’histoire démontre que les parcours de vérité, de justice et de réconciliation requièrent beaucoup d’années d’efforts. Une chose est sûre : il n’est pas réaliste d’imaginer un recours à la force pour ramener les groupes armés devant la Justice et rétablir l’ordre.
Pour quelle raison ?
Ces groupes contrôlent plus de 70% du territoire centrafricain. Aucune force n’est en mesure aujourd’hui de résoudre militairement le conflit. Seuls le dialogue et une dynamique de réconciliation permettront à la RCA de sortir de la crise actuelle.
Quelles sont les marges de manœuvre dont dispose le président Touadéra ?
Le président a de son côté la légitimité politique et institutionnelle acquise avec sa victoire lors des dernières élections présidentielles. Tout le monde reconnaît son calme et son honnêteté. Ses marges de manœuvre sont donc importantes, mais c’est insuffisant.
Pourquoi ?
Pour deux raisons principales : il ne dispose pas d’une armée et d’une police nationales en mesure de contrôler l’ensemble du territoire centrafricain et d’y rétablir l’ordre ; par ailleurs, le pays est confronté à une crise économique très profonde. Malgré tout, lors de notre dernière rencontre, Touadéra m’a semblé calme et convaincu de pouvoir mettre fin à cette crise à travers le dialogue. Nous espérons qu’il pourra compter sur la Communauté internationale qui le soutient de façon inconditionnelle, dans les efforts que le président fournit pour la paix.
De nombreux accords de paix ont déjà été signés. Qu’est-ce qui différencie l’Entente de Sant’Egidio des accords signés à Brazzaville, Libreville ou Nairobi ?
Je ne veux pas juger les accords précédents. Celui qui a été adopté à Rome est le résultat d’un travail de plus de neuf mois avec les groupes armés, d’une attention fidèle et respectueuse aux problématiques centrafricaines et d’un dialogue qui a impliqué exclusivement des acteurs centrafricains. Je tiens aussi à souligner deux aspects très importants : l’Accord du 18 juin est réaliste, car il n’a pas été adopté dans une période de transition, mais en la présence d’autorités centrafricaines pleinement légitimes qui l’ont approuvé. Il faut désormais se donner les moyens pour le mettre en œuvre.
Quelles sont les premières mesures concrètes à prendre pour mettre en œuvre cet Accord et arrêter les violences qui sont en cours dans le pays ?
Premièrement, il faut que les groupes armés signataires de l’Accord isolent les éléments qui, au sein de leurs troupes, refusent son application pour poursuivre leurs activités liées au banditisme qu’ils considèrent comme étant leur unique moyen de survie. Il existe d’autres mesures inscrites dans l’Accord, qui prévoient par exemple la prise en charge des hommes des groupes armés et de leurs familles. Je comprends que cette mesure puisse laisser perplexe, mais je crois qu’elle est nécessaire si l’on veut ramener ces personnes à la normalité. Il s’agit d’un long processus qu’il faut accompagner progressivement, région après région, préfecture après préfecture, jusqu’aux villages.
Le défi majeur repose sur la capacité de ceux qui soutiennent cet Accord de se dire à eux-mêmes et aux autres, qu’après quatre années d’instabilité totale, il est possible de construire un nouvel avenir sans devoir se retourner contre sa population pour manger et gagner de l’argent ou exploiter illégalement les ressources naturelles et minières dont regorge le pays.
La présence de mercenaires étrangers suscite encore la peur parmi les citoyens centrafricains. Quelle est leur capacité de nuisance sur l’Accord de paix ?
La citoyenneté ne doit pas tourner à l’obsession. Il est évident qu’au cours de sa conquête du pouvoir, la Seleka a pu compter sur l’appui de mercenaires étrangers. Certains d’entre eux sont restés en RCA, car il n’y a pas d’autorités centrafricaines en mesure de les expulser et parce qu’ils veulent exploiter les ressources du pays. Leur présence est d’ailleurs très nocive. La seule façon d’en finir avec ce problème est de rompre l’alliance entre ces mercenaires et les groupes armés, avec un contrôle progressif de l’Etat sur l’ensemble du territoire centrafricain.
Aujourd’hui, la population civile est fatiguée. Bien que la Communauté internationale n’ait jamais abandonné la Centrafrique, les donateurs aussi sont fatigués. Cet Accord a été signé à un moment important dans l’histoire récente de la RCA ; j’espère qu’il pourra contribuer à créer un consensus sur le désarmement et harmoniser les positions des uns et des autres.
De Joshua Massarenti
© Le Pays, VIYA (Italie) et Le Confident (RCA).
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