Non-lieu pour les soldats français accusés de viol en Centrafrique
PARIS 15 JANVIER 2018 / 16:16 (Reuters) - Les juges d‘instruction ont rendu jeudi dernier une ordonnance de non-lieu dans l‘enquête sur les accusations de viol portées par des enfants contre des soldats français en Centrafrique, a-t-on appris lundi de source judiciaire.
Cette décision est conforme aux réquisitions du parquet de Paris, qui s’était prononcé dans le même sens en mars 2017.
Le parquet avait alors estimé qu‘on ne pouvait pas exclure que des abus aient été commis mais que “les éléments recueillis lors de l‘ensemble des investigations et la variation des témoignages ne permettaient pas d’établir des faits circonstanciés et étayés à l‘encontre des militaires”, a-t-on dit de source proche du dossier.
L‘association Ecpat, qui lutte contre l‘exploitation sexuelle des enfants, a fait savoir à Reuters qu‘elle étudiait la possibilité de faire appel du non-lieu.
L‘affaire avait éclaté en avril 2015 avec la diffusion d‘une note interne des Nations unies relatant les auditions de six enfants qui dénonçaient des abus sexuels commis par des militaires dans un camp de déplacés à Bangui, en échange de rations de nourritures, entre décembre 2013 et juin 2014.
Cette enquête visait la force Sangaris, qui n‘est pas sous commandement de l‘Onu.
Elle est distincte des enquêtes menées par les Nations unies sur des allégations d‘abus sexuels concernant la mission de l‘Onu (Minusca).
Simon Carraud, édité par Yves Clarisse
JUSTICE
Viols d'enfants par des soldats en Centrafrique : un non-lieu qui ne dissipe pas le malaise
Par Maria Malagardis — Libération 15 janvier 2018 à 19:09
Des crimes possibles, mais pas de coupables identifiés. C'est ce qui ressort de la décision de la justice française dans l'affaire des accusations de viols d'enfants par des militaires français au camp de M'Poko en Centrafrique. Certaines parties civiles déplorent les lacunes de l'enquête.
Qui a menti ? Les enfants ou les militaires ? Sans trancher sur le fond, la justice française a ordonné un non-lieu dans l’affaire des militaires français accusés de viols d’enfants en Centrafrique. Annoncée lundi par l’AFP, la décision de clore le dossier, prise en réalité dès jeudi par les trois juges d’instruction en charge depuis mai 2015 de cette sulfureuse affaire, risque de laisser un goût d’inachevé. Et de continuer de nourrir l’ère du soupçon, puisque personne ne dit «qu’aucun abus sexuel n’a été commis». Mais que «des incohérences matérielles» et «la variation des témoignages» n’ont pas permis d’établir «des faits circonstanciés» à l’encontre des militaires suspectés. Ce sont du moins les éléments de langage repris par la presse, qui avaient filtré en mars lors des réquisitions du parquet, préconisant déjà un non-lieu, auquel les juges se sont donc eux aussi résolus.
Bref, des viols possibles, mais pas de coupables. «Certes, les non-lieux, ça arrive dans beaucoup d’affaires judiciaires irrésolues», souligne Emmanuel Daoud, l’avocat de l’association Ecpat, qui combat la prostitution et la pornographie infantiles et s’est portée partie civile dans ce dossier. «Reste que dans cette instruction, il y a des éléments qui n’ont pas été pris en compte, une demande d’acte que le président de la chambre de l’instruction a décidé de ne pas transmettre, et des témoignages d’enfants recueillis dans des conditions inappropriées», poursuit l’avocat qui se réserve la possibilité de faire appel.
«Perdu beaucoup de temps»
Petit rappel des faits : fin 2013, la France déploie une opération militaire, baptisée Sangaris, en Centrafrique, pays alors en proie à une spirale de violences meurtrières. Dans le chaos qui règne alors dans la capitale, un gigantesque camp de déplacés, fuyant les massacres dans leurs quartiers, émerge à M’Poko, juste à côté de l’aéroport et de la base des forces françaises. Laquelle, au plus fort des tensions, totalise 2 500 hommes.
Un an et demi plus tard, le scandale éclate : le 29 avril 2015, le quotidien britannique The Guardian révèle l’existence d’un rapport d’enquête de l’ONU, transmis à la France, et qui accuse des soldats français, mais aussi des Casques bleus tchadiens et équato-guinéens, d’avoir sexuellement abusé d’enfants. Le plus souvent en échange de rations de nourriture.
En ce qui concerne la France, six enfants sont concernés au premier stade de l’information judiciaire, qui finit par être ouverte à Paris en mai 2015. Certes, sitôt les premiers éléments de l’ONU transmis, le parquet avait déjà ouvert une première enquête préliminaire dès juillet 2014 mais sans l’annoncer publiquement. «On a perdu beaucoup de temps alors qu’on connaît l’importance de l’immédiateté dans une affaire pénale, surtout lorsqu’il s’agit d’entendre des enfants», déplore MeDaoud pour lequel «la première responsabilité incombe à l’ONU qui a traîné des pieds» avant que le scandale n’éclate publiquement grâce aux révélations du journal d’outre-Manche.
«Stress» des enfants
En France, l’enquête est confiée aux gendarmes de la prévôté. Un corps militaire chargé d’enquêter sur les délits commis par des militaires français à l’étranger, mais dont la première mission est aussi «de contribuer au succès des opérations françaises à l’étranger», comme le rappelle la journaliste Justine Brabant, auteure d’une enquête sur les viols d’enfants en Centrafrique, publiée cet automne dans l’ouvrage collectif Impunité Zero. «Je ne tiens pas à accabler la prévôté», note de son côté Me Daoud, qui regrette cependant que les enfants aient «été entendus tardivement, dans des locaux officiels à Bangui, sans avocats ni psychologues. Ce qu’on aurait jamais autorisé pour des mineurs en France». Et l’avocat de s’interroger : «Vous imaginez le stress de ces enfants entourés de Blancs et sommés de justifier leurs accusations ?»
Du côté des militaires, cinq seront entendus par les juges. Et l’un d’eux sera même placé en garde à vue, après la découverte de matériel à caractère pédophile sur son ordinateur. Ils étaient pourtant 14 militaires, mis en cause par les potentielles victimes. Ces enfants qui pour certains témoigneront dans l’émission Envoyé spécial en octobre 2015, et dont le nombre ne va faire que croître jusqu’à 41, au fur et à mesure de l’enquête. Plus embarrassant encore, au moment où se déroule cette enquête déjà délicate, des jeunes filles de la région de Dékoa vont à leur tour raconter avoir été elles aussi violées par des militaires français. Evoquant même parfois des actes de zoophilie. Cette seconde affaire va déclencher une nouvelle enquête préliminaire, ouverte à Paris en avril 2016, et, elle, toujours en cours.
Face à cette cascade d’accusations, les autorités françaises ont régulièrement promis de «faire toute la lumière». Reste à savoir si un non-lieu ne contribue pas plutôt à obscurcir la vérité, sans dissiper le malaise.
Maria Malagardis
Accusations de viols contre des soldats français en Centrafrique : non-lieu ordonné
Le Monde | 15.01.2018 à 13h06
Un rapport des Nations unies est à l’origine d’une enquête du parquet de Paris sur des « abus sexuels sur mineurs » qu’auraient commis des soldats en 2013 et 2014.
Les juges d’instruction ont ordonné un non-lieu dans l’enquête sur les accusations de viols en Centrafrique, portées par des enfants contre des soldats français de l’opération « Sangaris ».
Conformément aux réquisitions du parquet de Paris, en mars 2017, les juges ont rendu jeudi 11 janvier, un non-lieu dans ce dossier clos sans aucune mise en examen, selon une source judiciaire. Dans ses réquisitions, le parquet soulignait qu’« il ne peut être affirmé à l’issue de l’information qu’aucun abus sexuel n’a été commis », mais il estimait que les incohérences matérielles et « la variation des témoignages ne [permettaient] pas d’établir des faits circonstanciés et étayés à l’encontre des militaires », selon une source proche du dossier.
Appel probable
« Il est vraisemblable que nous allons faire appel pour ne pas donner le sentiment, à celles et ceux qui se sont battus dès le départ, que l’affaire est terminée et que nous renoncerions à identifier les auteurs des infractions et à établir les responsabilités et les culpabilités », a déclaré à l’AFP Emmanuel Daoud, avocat de l’ONG Ecpat qui lutte contre l’exploitation sexuelle des enfants.
L’affaire avait été révélée en avril 2015 par le quotidien britannique The Guardian qui avait fait état d’une note interne de l’ONU relatant les auditions de six garçons de 9 à 13 ans. Ils accusaient des militaires français d’avoir abusé d’eux, entre décembre 2013 et juin 2014, dans le camp de déplacés de l’aéroport M’Poko de Bangui, en échange de rations de nourriture.
Saisi par le ministère de la défense, le parquet de Paris avait ouvert dès juillet 2014 une enquête préliminaire, distincte des enquêtes menées par les Nations unies sur des allégations d’abus sexuels concernant la mission de l’ONU (Minusca), mais cette enquête était restée secrète et ce silence avait été reproché aux autorités françaises, ainsi qu’à l’ONU. Depuis, d’autres scandales ont éclaté concernant des contingents d’autres pays et les Nations unies ont souvent été critiquées pour leur manque de réactivité face au phénomène.
La force « Sangaris » de l’armée française a été déployée en 2013 en Centrafrique alors en proie au chaos après des violences entre rebelles musulmans, les Séléka, et miliciens chrétiens, les anti-balaka.
Les accusations visaient une dizaine de militaires, dont plusieurs désignés comme pouvant être des agresseurs et qui ont été entendus, dont un en garde à vue. Les enquêteurs se sont rendus sur place en 2015 et 2016 pour entendre de nouveau les enfants.
http://www.lemonde.fr/police-justice/article/2018/01/15/accusations-de-viols-contre-des-soldats-francais-en-centrafrique-non-lieu-ordonne_5241936_1653578.html#1rPzwe9JsxYLxpqu.99