07/03/18 (AFP)
Comme chaque matin, Joseph, un paysan centrafricain, enfourche sa moto pour rejoindre son champ de manioc niché dans la brousse luxuriante encerclant la ville d'Obo, à l’extrême sud-est de la Centrafrique.
Sa journée commence pleine de menaces: les derniers membres de ce qui reste de l'Armée de résistance du Seigneur (LRA), le redouté groupe armé ougandais de Joseph Kony, rôdent toujours dans la zone, selon des témoignages recueillis par l'AFP.
Créée vers 1986 avec l'objectif de renverser le président ougandais Yoweri Museveni, la LRA est considérée comme une des rébellions les plus sanglantes au monde. Selon l'ONU, elle a fait plus de 100.000 morts et enlevé plus de 60.000 enfants en Ouganda, au Soudan du Sud, dans le nord-est de la République démocratique du Congo et en Centrafrique. En 2005, Kony a été inculpé par la Cour pénale internationale.
Au bout d'un semblant de piste qui serpente entre les herbes hautes jaunies par le soleil incandescent, la végétation s'ouvre sur un petit campement, bordé par un champ de manioc, le gagne-pain de Joseph.
"Nous sommes dans l’inquiétude par rapport aux attaques de la LRA. Récemment, ils ont attaqué des chasseurs à 15km d'ici", lâche-t-il avant de se mettre au travail, résigné.
A Obo, la présence de la LRA est sur toutes les lèvres et les témoignages d'enlèvements se multiplient. Ceux-ci sont la spécialité du groupe qui utilise des adultes pour transporter des biens pillés et force des enfants à devenir des combattants.
- "La LRA nous a braqués" –
"Le 9 février, j’étais avec 9 chasseurs, à 100km à l'ouest d'Obo. La LRA nous a braqués, ils ont pris la farine de manioc, le poisson fumé, la viande et les cartouches", raconte Brice, un déplacé de la ville de Mboki (sud-est) vivant à Obo. C'est la troisième fois qu'il se fait dépouiller par la LRA.
François Apoyo, autre déplacé de Mboki, a lui été braqué le 24 novembre, à 35 km d'Obo: "ils nous ont retenus pendant une semaine, on portait leurs affaires", raconte-il.
Tout deux décrivent des petits groupes de combattants mobiles parlant acholi (langue d'une minorité ethnique ougandaise), portant des tenues militaires, des bottes, armés de fusils mitrailleurs, équipés de panneaux solaires et de téléphones satellitaires.
- Femmes et enfants enlevés-
Dans chaque témoignage, il est question de femmes et d'enfants kidnappés au gré des escarmouches.
Béatrice (prénom modifié) en a fait l'expérience: "J'étais en train de marcher près de Mboki, quand un homme a tiré en l'air et m'a demandé de ramasser mes poulets et de le suivre. Nous avons beaucoup marché. Un jour j'ai essayé de fuir, et il m'a tabassé avec un bâton", raconte-elle.
"Il a été chassé de la LRA car il avait fait des bêtises. Il voulait faire de moi sa femme" dit-elle pudiquement, pour ne pas évoquer ses viols. Elle s'est échappée le 7 novembre 2017, après 21 jours de captivité.
Plusieurs victimes de la LRA évoquent également des alliances avec les éleveurs de bétails transhumants, qui circulent entre le Soudan et la Centrafrique, souvent armés pour défendre leurs troupeaux.
"Il peut y avoir des connections à but lucratif entre eux", reconnaît Laurent Wastelain, précisant que la LRA se déplace souvent par les couloirs de transhumance en forêt.
Difficile de savoir si cette alliance va plus loin, faute de source crédible. Difficile également d'attribuer clairement toutes les attaques en brousse à la LRA, devenue le faux-nez de tous les bandits de la région.
Le pasteur François peut en attester: le 14 février, il s'est fait braquer avec 13 autres personnes par 5 éleveurs de bétail. "Ils voulaient nous égorger et dire que c'était la LRA", raconte-il. "Mais on s'est échappés".
- Economie de subsistance –
Traquée depuis 2011 par 2.000 soldats ougandais appuyés par une centaine de conseillers militaires américains basés à Obo, la guérilla, qui voulait instaurer en Ouganda un régime basé sur les Dix commandements, n'est plus que l'ombre d'elle même.
Désormais divisée en trois groupes, elle ne compterait plus que 200 membres, femmes et enfants compris, contre des milliers avant 2011, selon Laurent Wastelain, représentant de la Mission de l'ONU en Centrafrique (Minusca) à Obo.
"Ils sont passés, dit-il, d'une économie de profit à une économie de subsistance, faite de pillage et de trafic".
Les Ougandais et les Américains repartis en 2017, le champ semble de nouveau libre pour la guérilla dans la zone.
En Centrafrique, la lutte contre la LRA ne rentre pas dans le mandat onusien et l'absence d'Etat est criante dans les régions voisines du nord de la RDC et de l'ouest du Soudan du Sud.
Depuis le 19 avril 2017, date du début du retrait progressif des troupes ougandaises, la LRA a ainsi frappé 34 fois en Centrafrique, tuant 9 civils et en enlevant 129, selon CrisisTracker, un site géré par une ONG qui en recense les attaques.
Patrick Kidega, ancien rebelle de la LRA témoigne sur son passé de milicien
07/03/18 (AFP )
Avachi sur une chaise près de la gendarmerie d'Obo, dans l'extrême sud-est de la Centrafrique, Patrick Kidega a le regard vide: ce solide gaillard confie à l'AFP avoir été kidnappé à 15 ans en Ouganda par des miliciens de l'Armée de résistance du Seigneur (LRA), une des guérillas les plus sanglantes du monde.
"Un soir, en Ouganda, je suis revenu à la maison après l'école et, juste en arrivant, les hommes de la LRA sont sortis de la brousse, ils ont pris tous les gens du village, mes parents étaient ligotés aussi. Ils ont emmené tout le monde en brousse, mais ils n'ont gardé que les enfants", raconte-il aujourd'hui, vêtu d'un maillot du FC Barcelone.
Au total, il aura passé 15 ans en brousse, à circuler à pied entre les frontières de la Centrafrique, de la République démocratique du Congo (RDC) et du Soudan, dans les rangs de ce groupe armé créé en 1986 par Joseph Kony qui voulait renverser le président ougandais Yoweri Museveni et instaurer en Ouganda un régime basé sur les Dix commandements.
Selon l'ONU, la rébellion a fait plus de 100.000 morts et enlevé plus de 60.000 enfants en Ouganda, au Soudan du Sud, en RDC et en Centrafrique.
Les enlèvements sont sa spécialité. Les adultes sont retenus quelques jours pour transporter les biens pillés, quand les enfants enlevés deviennent des combattants.
Aujourd'hui, Patrick qui a fait défection fin 2017 et s'est rendu, attend son jugement à Obo, dernière ville centrafricaine de l'est du pays.
Comme lui, de nombreux combattants ont fui la LRA, suite à la traque menée, entre 2011 et 2017, par 2.000 soldats ougandais appuyés par une centaine de conseillers militaires américains basés à Obo.
Résultat, la guérilla n'est plus que l'ombre d'elle même et ne compterait plus que 200 membres, selon l'ONU.
- 'Sylvie' -
Patrick décrit son quotidien en quelques phrases pour résumer ses années passées au sein du groupe sanguinaire.
"Ma mission était de protéger notre chef en brousse. Parfois, on sortait dans un village, on prenait des gens et des vivres et on les ramenait en brousse. On devait seulement prendre les petits enfants", explique-t-il.
Il prétend que son chef s'appelait Joseph Agwé, et affirme n'avoir rencontré Joseph Kony qu'une seule fois, mais il a donné des versions différentes à des enquêteurs de plusieurs organisations venus l'interroger.
Une chose est sûre: la raison de sa défection s'appelle Sylvie.
"C'est à cause de cette femme que je suis sorti, et je lui ai sauvé la vie. Mais on nous a séparés", dit-il. Sylvie a été enlevée par la LRA à Nzako, dans l'est de la Centrafrique, en 2012 et Patrick l'a prise pour femme. "J'ai eu un enfant avec elle, je les ai sortis tous les deux" des mains de la guérilla, poursuit-il.
Chaque jour, Sylvie quitte l'ONG Invisible Children qui l'a prise en charge, avec son enfant, pour venir voir Patrick dans sa résidence surveillée.
"Aujourd'hui, je ne sais pas si je vais pouvoir rester avec eux", ajoute Patrick, en bougeant nerveusement sur sa chaise.
"La procédure s'oriente plutôt vers une extradition en Ouganda", explique Claude Gérard Pacifique Kouzou, procureur de la région du Haut-Mboumou (sud-est). "Cela encouragerait les Ougandais de la LRA à faire défection", ajoute-t-il.