Sarko le Libyen
LAURENT JOFFRIN
Sarkozy en garde à vue, Sarkozy soupçonné, Sarkozy accusé. La routine, quoi… En butte à trois procédures judiciaires, dont ce dossier libyen qui lui vaut le désagrément d’une garde à vue, l’ancien président dénoncera bien sûr le «complot judiciaire et médiatique» et ses affidés la main du gouvernement qui chercherait à faire diversion (on ne rit pas…), comme s’il commandait aux enquêteurs et aux juges. En fait, la justice s’interroge sur des éléments troublants, à défaut d’être probants, pour l’instant en tout cas : des documents compromettants, des accusations proférées par une escouade d’intermédiaires douteux – ce qui ne veut pas forcément dire qu’ils mentent – des confessions pleines de ressentiment d’anciens dignitaires du régime Kadhafi. Sarkozy est présumé innocent, comme toujours, mais il doit dissiper des soupçons légitimes. Compte tenu des éléments aujourd’hui connus, qui ne sont pas de simples rumeurs, il peut réussir ou échouer, se blanchir ou bien tomber. Voilà la situation d’aujourd’hui.
Ce qui appelle quelques considérations. Dans cette affaire, comme dans l’affaire Cahuzac, c’est l’opiniâtreté de Mediapart, suivi par une partie de la presse, dont Libé, qui explique l’infortune de l’ancien président dans l’affaire libyenne. Voilà qui ridiculise, s’il en était besoin, la thèse selon laquelle il y aurait un «parti médiatique» au service d’une «oligarchie»,prisée à l’extrême droite ou à l’extrême gauche, chez les populistes en général. Les journalistes dénoncent les turpitudes des puissants, souvent avec efficacité. C’est leur devoir et aussi leur intérêt (ils y gagnent l’adhésion de leurs lecteurs). Pourtant idéologues et démagogues continuent de dénoncer «la pensée unique» soi-disant en vigueur dans la presse, la «connivence» qui relierait les médias et la classe politique ou capitalistique. Alors qu’élus indélicats ou PDG fautifs doivent en permanence redouter le travail de la presse. Allez comprendre…
Dans cette affaire, aussi bien, comme dans tant d’autres, c’est le fonctionnement de la démocratie qui est en cause. Chacun sait que c’est un régime humain et donc imparfait. On en brosse souvent un tableau horrifique, en dénonçant le pouvoir de la classe dirigeante, des multinationales, des puissants en général, qui viendrait miner, pervertir, annuler au bout du compte, les institutions chargées de lutter contre la corruption et d’assurer le respect des lois, y compris par «ceux d’en haut». La démocratie serait un leurre, une tromperie, un décor de Potemkine, qui cacherait la subreptice puissance des tireurs de ficelles de la classe dominante. Vaste blague… Si Nicolas Sarkozy, ancien président, leader de la droite, agent supposé de la bourgeoisie, est aujourd’hui dans le collimateur des magistrats, à ses cruels dépens, c’est bien que la police enquête, que les juges font leur travail, que la presse en rend compte et que les lois s’appliquent. Autrement dit que le pluralisme des pouvoirs – et non l’unicité d’un pouvoir omnipotent – est bien à l’œuvre. Les populistes dénigrent jour et nuit la démocratie. Ce n’est pas pour en corriger les défauts. C’est parce qu’ils ne l’aiment pas.
Et aussi
• Les militants de La France insoumise se répandent en insultes sur Twitter parce que j’ai osé qualifier Alexis Corbière de «cachetonneur de campagne électorale». C’est pourtant un fait qu’il a été rémunéré pour aller défendre les idées de son candidat sur les plateaux de télévision. Ce n’est pas illégal, au demeurant. L’amusant de l’affaire, c’est qu’il a été payé de cette manière parce qu’il avait choisi, apparemment sur les conseils de son parti, le statut d’auto-entrepreneur, pour des raisons de commodité et de moindre cotisation sociale. Un statut pour lequel Mélenchon n’avait pas de mots assez durs pendant la même campagne. Faites ce que je dis, pas ce que je fais.
LE MONDE | 21.03.2018 à 19h50 • Mis à jour le 21.03.2018 à 21h07
A l’issue de deux jours de garde à vue, l’ancien président de la République, Nicolas Sarkozy, a été mis en examen mercredi 21 mars des chefs de corruption passive, financement illégal de campagne électorale et recel de fonds publics libyens, selon les informations du Monde. Il a été placé sous contrôle judiciaire.
L’ancien président avait été mis en garde à vue mardi en début de journée et entendu dans des locaux de la police judiciaire. Sa garde à vue a pris fin en fin de journée mercredi. Alors qu’une information judiciaire avait été ouverte en avril 2013, l’ancien président était entendu pour la première fois dans cette enquête. L’un des juges d’instruction chargés du dossier, Serge Tournaire, a déjà renvoyé M. Sarkozy devant le tribunal dans l’affaire Bygmalion, qui concerne sa campagne de 2012.
Le député européen Les Républicains, Brice Hortefeux, ancien ministre de l’intérieur de Nicolas Sarkozy (2007-2012), a également été interrogé mardi toute la journée sous le statut de suspect libre.
5 millions d’euros en liquide
L’affaire avait été révélée en mai 2012 par le site Mediapart, qui avait publié un document libyen faisant état d’un financement par la Libye et la campagne de 2007 de M. Sarkozy. Depuis, les investigations ont considérablement avancé, notamment grâce à certains témoins-clés. En novembre 2016, l’intermédiaire Ziad Takieddine avait ainsi affirmé avoir transporté 5 millions d’euros en liquide de Tripoli à Paris entre la fin de 2006 et le début de 2007 pour les remettre à Claude Guéant, puis à Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’intérieur.
Les propos de M. Takieddine venaient confirmer ceux tenus, le 20 septembre 2012, par Abdallah Senoussi, l’ancien directeur du renseignement militaire du régime Kadhafi devant le procureur général du Conseil national de transition libyen. Les carnets d’un ancien ministre du pétrole libyen mentionnaient également l’existence de ces versements. M. Takieddine a, depuis, été mis en examen pour « complicité de corruption d’agent public étranger » et pour « complicité de détournements de fonds publics en Libye ».
Opérations suspectes
Mais le dossier est tentaculaire et les enquêteurs doivent remonter la piste de nombreux flux financiers impliquant plusieurs protagonistes. Pour l’heure, ils pensent avoir remonté une piste de l’argent libyen à travers l’intermédiaire d’Alexandre Djouhri – alors proche de Bechir Saleh – et de Claude Guéant. Ancien secrétaire général de l’Elysée de Nicolas Sarkozy, ce dernier a été mis en examen pour « faux et usage de faux » et pour « blanchiment de fraude fiscale ».
De nouvelles preuves ont-elles été rassemblées pas les enquêteurs qui permettraient une mise en cause directe de M. Sarkozy ? Selon les informations du Monde, plusieurs anciens dignitaires du régime Kadhafi auraient livré de nouveaux éléments confirmant les soupçons de financement illicites.
Depuis plusieurs semaines, la justice française dispose, en outre, de nombreux documents saisis lors d’une perquisition menée en 2015 au domicile suisse d’Alexandre Djouhri. Jusqu’ici, Nicolas Sarkozy a toujours contesté les accusations de financement illicite de sa campagne de 2007.
http://www.lemonde.fr/politique/article/2018/03/21/financement-libyen-de-la-campagne-de-2007-fin-de-la-garde-a-vue-de-nicolas-sarkozy_5274484_823448.html#u0031zWbvAQIz5St.99
Soupçons de financement libyen : Nicolas Sarkozy mis en examen
Par Emmanuel Fansten —Libération 21 mars 2018 à 21:06 (mis à jour à 21:24)
Après deux jours de garde à vue, l’ancien chef de l’Etat a été mis en examen mercredi soir dans le cadre de l’enquête sur le financement libyen présumé de sa campagne présidentielle de 2007.
Nouveau séisme judiciaire pour Nicolas Sarkozy. Après deux jours de garde à vue, l’ex-président de la République a été mis en examen mercredi soir pour «corruption passive», «financement illégal de campagne électorale» et «recel de fonds publics libyens» et placé sous contrôle judiciaire. Déjà renvoyé en correctionnelle pour «financement illégal de campagne» dans l’affaire Bygmalion et mis en examen pour «corruption», «trafic d’influence» et «recel de violation du secret professionnel» dans le dossier «Bismuth», voilà donc Nicolas Sarkozy officiellement empêtré dans un nouveau dossier.
L’affaire s’est nouée en avril 2012, lorsque Mediapart a révélé l’existence d’une note secrète signée par le chef des services secrets extérieurs libyens, actant le déblocage de 50 millions d’euros pour la campagne de Sarkozy. L’ex-président dénonce alors un «faux grossier». Mais six ans plus tard, les juges disposent de nombreux éléments accréditant les soupçons d’un financement occulte libyen. L’homme par qui le scandale arrive, l’intermédiaire franco-libanais Ziad Takieddine, a affirmé avoir transporté lui-même 5 millions d’euros en liquide de Tripoli à Paris entre fin 2006 et début 2007, avant de les remettre en mains propres à Claude Guéant, puis directement à Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur. Des propos étayés par les déclarations d’Abdallah Senoussi, ex-directeur du renseignement militaire libyen, et le carnet de l’ancien ministre libyen du Pétrole Choukri Ghanem.
Plusieurs opérations suspectes
Reste cette question : en échange de quelles contreparties auraient eu lieu ces versements du clan Kadhafi ? Plusieurs épisodes démontrent le réchauffement des relations franco-libyennes après la victoire de Nicolas Sarkozy, en 2007. Il y a d’abord la libération des infirmières bulgares, élément essentiel à la normalisation entre les deux pays. Puis, quelques mois plus tard, la réception en grande pompe du «Guide» à Paris. Les investigations ont depuis mis en lumière plusieurs opérations suspectes, dont ce virement de 500 000 euros sur le compte de Guéant en mars 2008. L’ex-secrétaire général de l’Elysée a été mis en examen depuis pour «blanchiment de fraude fiscale en bande organisée». D’autres personnages clés du dossier, comme l’intermédiaire Alexandre Djouhri, pourraient bientôt être entendus par les juges.
Autre front ouvert en marge du volet corruption : le financement illégal de campagne. Dans un rapport de septembre 2017, les enquêteurs estimaient avoir découvert de nouvelles «qualifications pénales». En l’espèce : un système de caisse noire mise en place au sein de l’association de financement de la campagne de Nicolas Sarkozy afin de payer certaines petites mains en liquide.
Emmanuel Fansten