https://mondafrique.com Par Nicolas Beau 4 mai 2018
Après avoir obtenu une autorisation du Conseil de sécurité de l’ONU de faire une exception à l’embargo sur les armes à destination de la République centrafricaine, la Russie s’est engouffrée dans cette brèche inespérée.
Les quelques instructeurs russes pour le maniement des armes, prévus par l’autorisation du Conseil de sécurité de l’Onu, ont été vite rejoints par des dizaines d’experts militaires, d’hommes d’affaires, de mercenaires et de membres des forces spéciales. L’accord que le président centrafricain Faustin Archange Touadera a signé à Sotchi, le 9 octobre 2017, hors des procédures habituelles et resté confidentiel, avec le ministre russe Sergueï Lavroff, doit probablement ne pas concerner uniquement la livraison d’armes. Le ministre d’État et directeur de cabinet, Firmin Ngrebada et le conseiller spécial Fidèle Gouandjika sont les promoteurs de cet accord qui fait suite au rapprochement de Bangui avec Khartoum, principal allié de la Russie dans la région. Cet accord avec la Russie montre à quel point le président Touadera dirige le pays en s’appuyant uniquement sur quelques fidèles, pour la plupart de son ethnie et dont la réputation de prédation n’est plus à faire.
Le deal centrafricano-russe
Le président Touadera a déclaré que « les Russes ne sont pas venus clandestinement ». Si cela est effectivement vrai pour les instructeurs, cela l’est moins pour les autres citoyens et sociétés russes, venus dans une certaine clandestinité. L’ONU et les occidentaux semblent s’y accommoder.
Devant l »immensité de la tâche, la Minusca, avec ses 12 000 Casques bleus, peinent à mener des opérations robustes pour réduire les rébellions et protéger les populations réduites quasiment en otages.9 La France essaie de mettre de l’ordre dans son ambassade déboussolée et enverra bientôt un quatrième ambassadeur depuis septembre 2012, début de la crise. Pendant ce temps-là, la Russie peut compter sur son ambassadeur Sergueï Lobanov, en poste depuis le 11 juin 2011. L’ambassadeur russe est devenu un familier de la présidence d’autant que la Russie a placé un conseiller sécurité près du chef de l’État centrafricain, tandis que des forces spéciales russes assurent désormais sa protection rapprochée.
La Russie négocie pour le gouvernement centrafricain
Plusieurs sources à Bangui évoquent la présence de militaires russes dans des localités occupées par les ex-Seleka. Dernier exemple : un avion Cessna russe, avec quatre militaires russes, a fait l’objet de nombreuses supputations car il venait de Ndélé, où se trouve Nourredine Adam, leader de l’ex Séleka, pour atterrir à Kaga-Bandoro, nouveau centre de la rébellion, dirigé par Abdoulaye Hisséne, criminel et néanmoins ancien ministre, sous sanction internationale. Les rencontres de Cotonou entre émissaires russes et Michel Djotodia, russophone et ancien chef de l’État qui avait renversé le tandem Bozize-Touadera, sont désormais bien connues. Les experts russes présents au Soudan et notamment au Darfour, ne sont pas dépaysés dans le nord-est du pays qui y est identique. Évidemment, il n’est pas sûr que ces négociations soient compatibles avec la Feuille de route de l’Union africaine, soutenue par l’ONU et la France.
Une base militaire russe à Berengo ?
Comme tout est à vendre et à acheter en Centrafrique, l’ancien domaine impérial de Jean-Bedel Bokassa de Berengo est sûrement une belle affaire. Évidemment les représentants locaux de la famille de Bokassa, notamment Jean-Serge Bokassa, se sont opposés à l’affectation d’un camp d’entraînement russe dans ces lieux mémoriaux, jadis Cour impériale que connaissait bien Valery Giscard d’Estaing. Cette quasi expropriation a été l’élément déclencheur de la rupture de Jean-Serge Bokassa avec Touadera et de sa démission du gouvernement, actée ensuite par le Président.
Le domaine impérial de Berengo est désormais une enclave russe, hors de tout contrôle extérieur. Il va de soi que Berengo n’a pas été choisi par hasard par les Russes. Ce domaine d’une dizaine d’hectares, situé à 70 km de Bangui, peut être agrandi sans contraintes. Il est surtout jouxté par une ancienne piste d’atterrissage, construite du temps de l’Empereur Bokassa. Cette piste de 2200 mètres sur 35 mètres peut facilement être modernisée et allongée. Des plans sont d’ailleurs dans les cartons depuis de nombreuses années, lorsque Berengo était dans le projet d’un nouvel aéroport international. Un aéroport militaire russe éviterait l’aéroport de Bangui Mpoko, contrôlé par les Français. Les Antonovs pourraient ainsi atterrir à tout moment sans contrôle et des « grandes oreilles » y être installées en toute discrétion. A Bangui, on signale également des intérêts russes envers l’ancienne grande base française du Camp Leclerc à Bouar. Quelques militaires étrangers y auraient été récemment aperçus. La presse banguissoise évoque plutôt des militaires français nostalgiques ou soupçonneux.
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Une base russe en Centrafrique serait beaucoup plus stratégique, au coeur de l’Afrique centrale, qu’une base russe au Soudan, comme cela avait été un moment envisagé par le Kremlin et souhaité récemment encore par Omar el-Bechir. Il va de soi qu’une telle base russe en Centrafrique serait une nouveauté qui ne devrait pas laisser indifférent les Etats-Unis d’Amérique. Ce coup de maître de Poutine marquerait le grand retour de la Russie dans une Afrique centrale qui est de plus en plus fragilisée et prête à de profonds bouleversements.