Laurie Fachaux avec Anthony Fouchard 10.06.2018 à 07:38
L'ancien vice-président congolais risquait une peine de 18 ans de prison. La Cour pénale internationale l'a acquitté en appel des charges de crimes de guerre et crimes contre l'humanité en Centrafrique. Une nouvelle accueillie avec consternation et colère à Bangui.
En novembre 2002, les banyamulengue, les miliciens de Jean-Pierre Bemba débarquent dans le quartier du PK12. C'est un carrefour stratégique, à la sortie nord de Bangui. Dans la concession d'Albertine et de sa famille, ils établissent une de leur base militaire. Pendant près de deux ans, les habitants vont être réduit en esclavage.
" Ils sont arrivés pendant que je cuisinais et ils m'ont bloqué dans la cuisine. Ils ont dit : apporte-nous ça et ils ont pris tout notre repas. Après nous sommes devenus leurs employés. Ils se sont installés ici et nous avons passé tous ces moments dans la peur."
Dans cette petite cabane au fond de la cour, des dizaines de femmes seront violées, jusqu'au départ des banyamulengue fin 2003. Mais pendant la période d'occupation, ceux qui n'obéissent pas sont tués. Un an après l'arrivée des miliciens, un jour de mars 2003, un des fils d'Albertine se rebelle. Il est abattu et enterré sur place.
Aujourd'hui, elle n'a plus confiance dans la justice. "Si le procès de Bemba n'aboutit pas, alors qu'elle est le rôle de la CPI ? On nous parle de la cour pénal internationale tous les jours, nous avons déposé des documents, des preuves mais on soutient nos malfaiteurs. La CPI n'a pas de sens"
Des Centrafricains par milliers ont été lésés, se voient dénier cette justice. Cela pose un problème de confiance par rapport à la justice internationale
15 ans plus tard, Albertine et sa famille habitent toujours dans la même concession où chaque recoin renvoie à d'effroyables souvenirs.
Après Jean-Pierre Bemba et ses miliciens, il y a eu la guerre civile de 2013 ... Dans les deux cas, la justice internationale semble incapable de mettre fin à l'impunité. En Centrafrique, la cour pénale spéciale (CPS) doit théoriquement enquêter sur les crimes et violations des droits humains depuis 2003 commis dans le pays. A l'heure actuelle, les investigations peinent à débuter.
En République Centrafricaine, le porte-parole du gouvernement Ange Maxime Kazagui a vivement réagi à l'annonce du verdict : "le gouvernement centrafricain et la population centrafricaine sont dans une grande consternation. Nous nous concerterons, nous, la partie centrafricaine, pour voir s'il y a des voies de recours. C'est un très mauvais signal qui a été lancé par la justice internationale. Dans notre pays, nous avons considéré que parmi les voies de retour à une paix durable [...], il y a la justice, les réparations. Des Centrafricains par milliers ont été lésés, se voient dénier cette justice. Cela pose un problème de confiance par rapport à la justice internationale", estime-t-il.
En République Démocratique du Congo, l'acquittement de Jean-Pierre Bemba est perçu d'une manière totalement différente. Au siège du Mouvement pour la libération du Congo (MLC), les partisans de Bemba ont laissé éclater leur joie. Jean-Baptiste Bomanza notamment qui dénonce un "procès politique dans lequel Bemba a été qualifié de co-auteur. Mais les auteurs eux, ils étaient où ? " s'interroge-t-il.
Bemba acquitté: quelles sont les options judiciaires qui restent aux victimes?
Par RFI Publié le 10-06-2018 Modifié le 10-06-2018 à 07:44
La polémique se poursuit autour de l'acquittement de Jean-Pierre Bemba. Du côté de la Centrafrique et des ONG, c'est la consternation après plus de 10 ans de procédure et plus de 5 000 victimes enregistrées. Est-ce la fin de tout espoir de justice pour ces dernières ?
Si Jean-Pierre Bemba est aujourd'hui hors de portée pour les faits qui lui étaient reprochés à la CPI, rien n'empêche l'Etat centrafricain de lancer ses propres poursuites contre l'ancien vice-président congolais, mais pour d'autres faits.
Pour ces quelques 5 000 victimes enregistrées, le seul espoir est désormais l'ouverture des poursuites contre les autres commanditaires de ces mêmes crimes. Le président Ange-Felix Patassé est décédé, mais lors des enquêtes menées par la Ligue centrafricaine des droits de l'homme et la FIDH, d'autres noms avaient été cités.
Parmi lesquels le général Mustapha Musaka, chef des opérations du MLC sur le terrain, qui n'a jamais été inquiété par la CPI. Il est toujours général dans l'armée congolaise. Car il avait accepté de témoigner contre son ancien patron.
La Cour pénale spéciale de Bangui
En 2004 et 2006, la justice centrafricaine s'était déclaré incapable de juger ces crimes et avait fait appel à la Cour pénale internationale. Mais depuis, il existe à Bangui une cour pénale spéciale dont le mandat couvre en partie les crimes sur lesquels s'était penché la CPI. La CPS peut enquêter sur tous les crimes commis depuis le 1 janvier 2003.
Selon le porte-parole de la CPI, rien n'exclut que la cour puisse transmettre sous certaines conditions, les éléments de son dossier d'instruction. Reste à savoir si les autorités centrafricaines seront prêtes à demander l'extradition et si le gouvernement congolais acceptera de coopérer.
Déception des défenseurs des droits de l'homme
Mais maître Nicolas Tiangaye, ancien Premier ministre centrafricain, a du mal à croire que la Centrafrique puisse mener une procédure contre les autres responsables de ces crimes. « Si déjà, la CPI n’a pas été en mesure de le faire, ce n’est pas la justice centrafricaine qui pourra le faire. Nous sommes toujours en crise et il est même difficile aujourd’hui d’arrêter ceux qui commettent des crimes en Centrafrique et qui sont sur le territoire centrafricain. Je ne vois pas comment on va faire arrêter des Congolais qui sont sur le territoire congolais pour pouvoir les juger. »
Président de la Ligue centrafricaine des droits de l'homme au moment des enquêtes, Nicolas Tiangaye ne cache par ailleurs pas son dépit après l’acquittement de Jean-Pierre Bemba. « La matérialité des faits était établie. C’est évident que des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité avaient été commis. Aujourd’hui, on a le sentiment que justice n’a pas été rendue pour ces milliers de personnes. Il y a au moins 5 900 victimes enregistrées. Dix ans de procédure. Et au bout de la chaîne, il n’y a ni responsable, ni coupable. C’est un sentiment de frustration que nous ressentons. »
« C’est un coup dur pour les milliers de victimes qui ont participé au procès de Bemba. Et pour la justice internationale en général. C’était le premier cas de la CPI qui mettait l’accent sur l’utilisation du viol comme arme de guerre par exemple. Donc je pense que pour la justice internationale, c’est un coup dur. Il va falloir repenser la stratégie de la CPI et la stratégie de la justice internationale. Un coût énorme et un rendement très maigre. »
Jason Stearns
10-06-2018 - Par Sonia Rolley