15/11/17 (AFP)
Matériel insuffisant, vulnérabilité, mandat inadapté... des dirigeants africains ont dénoncé au Forum de Dakar l'inadéquation des missions des Casques bleus au nouvel environnement sécuritaire, une préoccupation partagée par les Nations unies, qui veulent faire évoluer leurs interventions.
"Face à la violence asymétrique, les missions de maintien de la paix éprouvent des difficultés, au point qu'elles sont parfois contraintes de consacrer leurs moyens à leur propre sécurité", constate le président de la Commission de l'Union africaine (UA), Moussa Faki Mahamat, déplorant à ce Forum annuel sur la paix et la sécurité en Afrique "l'impuissance de la puissance".
"On ne peut maintenir la paix là où elle n'existe plus, là où il faut la rétablir", a fait valoir le président sénégalais Macky Sall, dont le pays deviendra à la fin de l'année l'un des principaux contributeurs de la Mission de l'ONU au Mali (Minusma), avec quelque 1.500 militaires et policiers.
"Nous n'avons pas besoin d'une force de maintien de la paix, nous avons besoin d'une force d'imposition de la paix", juge lui aussi le président de la Commission de la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cédéao), Marcel Alain de Souza.
Déployée depuis juillet 2013, la Minusma, qui compte environ 12.500 militaires et policiers, est actuellement la mission de maintien de la paix de l'ONU la plus coûteuse en vies humaines, avec plus de 140 Casques bleus morts, dont 89 tués par des actes hostiles.
Ailleurs sur le continent, qui concentre huit des 15 actuelles missions de maintien de la paix de l'ONU, plusieurs autres peinent à convaincre.
Déployée en Centrafrique depuis 2013, l'opération de l'ONU (Minusca) est loin de garantir la paix dans un pays où les violences entre groupes armés se sont intensifiées en 2017.
Quant à la mission en République démocratique du Congo, la Monusco, le plus important et coûteux déploiement de Casques bleus au monde, elle est également critiquée pour son inefficacité.
- 'Plus mobiles'
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Des griefs que n'ignorent pas les Nations unies, qui tiennent mardi et mercredi à Vancouver (Canada) une conférence ministérielle sur le maintien de la paix, pour débattre des défis rencontrés sur le terrain.
"Il faut être réaliste, certaines opérations de maintien de la paix de l'ONU ont eu du succès, comme en Côte d'Ivoire ou au Liberia, mais il y aussi des difficultés", reconnaît Jean-Pierre Lacroix, chef des opérations de maintien de la paix de l'ONU.
"Plusieurs de nos opérations ont lieu alors que les processus politiques avancent lentement et dans des environnements sécuritaires de plus en plus difficiles", explique-t-il.
Face aux nouvelles menaces, "nous devons nous adapter, être dotés d'équipements à la hauteur pour être moins vulnérables aux attaques, être moins statiques, plus mobiles", juge-t-il.
Toutefois, nuance M. Lacroix, "quand il s'agit de lutter contre des groupes terroristes, il faut d'autres types d'instruments. Il faut soutenir les forces comme celle du G5 Sahel (Mali, Niger, Tchad, Burkina Faso et Mauritanie)", qui s'est déployée pour la première fois en novembre.
Selon lui, "l'avenir, c'est la complémentarité entre des forces de maintien de la paix et la lutte anti-terroriste".
"Les opérations de maintien de la paix ont été définies après la Guerre (mondiale de 1939-1945, NDLR). Une réflexion est engagée depuis les années 2000 pour les adapter au nouvel environnement", assure à l'AFP le chef de la Minusma, Mahamat Saleh Annadif.
"Mais la Minusma a son rôle à jouer, la réponse ne doit pas être uniquement sécuritaire", se défend-il.
"Notre mission est multidimensionnelle: au Mali, il faut aider à reconstruire la justice, défendre les droits de l'Homme et les principes démocratiques, mettre en oeuvre l'accord de paix" de 2015, dont l'application tarde encore, énumère-t-il. "Le terrorisme nous empêche de faire notre travail, c'est sur ce point qu'il faut trouver une solution".
Françafrique 2017 des képis et des milliards
https://www.letemps.ch Richard Werly, Dakar
Publié mercredi 15 novembre 2017 à 16:36, modifié mercredi 15 novembre 2017 à 17:09.
Hier, le pouvoir politique français régnait sur son pré carré africain à partir de l’Elysée et de ses antichambres. Aujourd’hui, militaires et clans capitalistes familiaux tiennent le haut du pavé. Le sommet de Dakar sur la sécurité vient d’en apporter la preuve
La Françafrique est un sacré morceau d’histoire hexagonale. Quelle autre république peut se prévaloir d’avoir, pendant des décennies, tiré de façon si ostentatoire et souvent dramatique les fils de ses anciens colonisés sur le continent noir?
Refrain connu. En arrière-plan? L’incontestable legs culturel, politique, économique d’un siècle et demi de colonisation à la force des sabres, des goupillons, puis de la mise en coupe réglée de ces vastes territoires africains par la caste des administrateurs d’outre-mer, appuyés par des édiles locaux formés à la française. Sur le devant de la scène jusqu’au début des années 90? Le mythe des héritiers de la France libre et du gaullisme – la reconquête de la métropole ne démarra-t-elle pas, en 1941, à Brazzaville? – entretenu habilement par le tout-puissant Jacques Foccart, ses protégés politiques (l’incontournable président ivoirien Félix Houphouët-Boigny, décédé en décembre 1993, puis le Gabonais Omar Bongo, décédé en 2009) et ses réseaux semi-mafieux. Résultat? Une longue appropriation par la métropole des ressources naturelles des Etats africains (minerais, uranium, pétrole) les plus dociles de sa zone d’influence, devenus indépendants mais contraints d’accorder les concessions les plus juteuses aux compagnies hexagonales.
Emergence de la Chinafrique?
Ce système, pensait-on, avait succombé au seuil du XXIe siècle sous les coups de la mondialisation et de l’arrivée de nouveaux «partenaires» économiques agressifs comme la Chine ou la Turquie, prêts à sortir le carnet de chèques dont la France ne dispose plus. Antoine Glaser, observateur toujours bien informé de ces réseaux «françafricains», avait même prédit, dans son essai passionnant sur l’Africafrance (Ed. Pluriel), un complet renversement des rôles après la fin de la Guerre froide. Aux dirigeants français le soin de préserver les apparences en continuant de convier sous les ors des palais républicains leurs soi-disant obligés africains. A ces derniers la réalité du pouvoir, grâce aux valises de cash toujours à portée de main. Archétype de ce nouveau modèle des années 2000: le président congolais Denis Sassou-Nguesso, maître dans l’art de distiller sa manne pétrolière.
Le sommet de Dakar sur la paix et la sécurité en Afrique qui vient de s’achever a toutefois démontré qu’en 2017, à l’aube de la Macronie triomphante, la réalité est plus complexe. Certes, aucun nouveau Foccart n’est apparu à l’horizon. Certes, l’Elysée n’est plus en mesure de dicter ses volontés à ceux que le général de Gaulle appelait tout simplement «nos rois nègres». Certes, la Chinafrique a émergé, avec sa myriade de contrats dans les infrastructures et ses communautés d’immigrants industrieux débarqués d’Asie.
Bolloré, Bouygues et consorts
Antoine Glaser, toujours lui, a donc raison de pointer du doigt le syndrome Arrogant comme un Français en Afrique (Ed. Fayard). Mais un coup d’œil dans la salle plénière du Centre international de conférences Abdou Diouf à Dakar démontrait ces jours-ci que la Françafrique a de beaux restes. Une kyrielle de généraux français, salués avec déférence par leurs homologues africains en mal d’interventions protectrices contre le péril djihadiste. Une escouade de dirigeants des groupes Bolloré, Bouygues ou autres, toujours incontournables dans les capitales francophones de la région. Des brigades d’anciens officiers reconvertis en entremetteurs avec leurs carnets d’adresses bien remplis. Telle est la nouvelle Françafrique: une conjugaison de képis et de milliards…
Le changement est en fait tectonique. Le curseur d’influence et de prise de décision s’est déplacé. Hier, au temps de Foccart, de ses barbouzes et de ses réseaux (souvent corses), le pouvoir politique élu rythmait le bal depuis Paris. La Françafrique était un axe vertical. Vingt-cinq ans après le décès de l’intéressé, les généraux et quelques dynasties familiales ont raflé la mise. Coté glaive, les 10 000 soldats français prépositionnés en Afrique – dont 4000 dans le Sahel pour l’opération «Barkhane» – demeurent la clé de voûte des pouvoirs locaux qui ne peuvent rien refuser à cet allié majeur. Coté portefeuille, Bolloré, Bouygues et consorts recrutent à tour de bras les anciens centurions pour protéger leur pré carré. Emmanuel Macron, nouveau venu sur la scène africaine, l’a d’ailleurs compris: son Conseil présidentiel pour l’Afrique, créé en juin, met en avant de jeunes entrepreneurs de la diaspora. Une façon de ne pas gêner les «éléphants» en uniforme. Mais aussi, peut-être, de desserrer l’étau militaro-capitaliste de cette Françafrique en apparence au garde-à-vous.