Au Burkina Faso, le colonel Damiba a accepté de démissionner, la France dénonce « des atteintes graves à la sécurité » de ses institutions
Le Monde avec AFP Publié aujourd’hui à 16h26, mis à jour à 18h14
Le capitaine Ibrahim Traoré, nouvel homme fort autoproclamé, a appelé les manifestants à « se départir de tout acte de violence et de vandalisme (…) notamment ceux qui pourraient être perpétrés contre l’ambassade de la France » à Ouagadougou.
Près de deux jours après la destitution annoncée par des militaires du chef de la junte au pouvoir, la tension restait vive, dimanche, au Burkina Faso. Le lieutenant-colonel Damiba, destitué vendredi par le capitaine Ibrahim Traoré mais qui refusait d’abdiquer, a finalement accepté de démissionner dimanche, ont annoncé des chefs religieux et communautaires. « Suite aux actions de médiation » menées par ces chefs entre les deux rivaux, « le Président Paul-Henri Sandaogo Damiba a proposé lui-même sa démission afin d’éviter des affrontements aux conséquences humaines et matérielles graves », indiquent-ils dans un communiqué.
Cette annonce fait suite à deux jours de confusion politique, au cours desquels la France et ses institutions ont été prises pour cibles par des manifestants en colère.
L’ambassade de France et l’Institut français pris pour cible
Quelques dizaines de manifestants, soutenant le putschiste Ibrahim Traoré, se sont notamment rassemblés devant l’ambassade, mettant le feu à des barrières de protection et jetant des pierres à l’intérieur du bâtiment, sur le toit duquel étaient positionnés des soldats français, quand les gaz ont été tirés, a constaté un journaliste de l’Agence France-Presse. D’autres manifestants ont également été vus arracher des barbelés pour tenter d’escalader le mur d’enceinte du bâtiment diplomatique.
Samedi en fin d’après-midi, deux institutions françaises avaient déjà été prises pour cible par des manifestants : un incendie s’était déclaré devant l’ambassade de France à Ouagadougou et un autre devant l’Institut français à Bobo-Dioulasso. A Paris, le ministère des affaires étrangères avait condamné « les violences contre [son] ambassade avec la plus grande fermeté », ajoutant que « la sécurité de [ses] compatriotes » était sa « priorité ».
Dans un communiqué, lu dimanche, par l’un de ses proches à la télévision nationale, le capitaine Ibrahim Traoré a appelé les manifestants à « se départir de tout acte de violence et de vandalisme (…) notamment ceux qui pourraient être perpétrés contre l’ambassade de la France ou la base militaire française » à Ouagadougou. Il a appelé « au calme et à la retenue ».
Campagne de désinformation et influence russe
Ces attaques « sont le fait de manifestants hostiles, manipulés par une campagne de désinformation à notre encontre », a déclaré la porte-parole du ministère des affaires étrangères, Anne-Claire Legendre, en « appelant les parties prenantes à assurer la sécurité » des bâtiments diplomatiques.
Des informations faisant état sur les réseaux sociaux d’une protection accordée par la France au lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, destitué vendredi, ont notamment attisé la colère de certains manifestants pro-Traoré. Ces informations ont été formellement démenties aussi bien par Paris que par le lieutenant-colonel Damiba lui-même.
Quelques heures avant l’annonce de la destitution de Damiba vendredi soir, plusieurs centaines de personnes avaient manifesté à Ouagadougou pour réclamer son départ, mais aussi la fin de la présence militaire française au Sahel, et le développement d’une coopération militaire avec la Russie. L’influence de Moscou ne cesse de croître dans plusieurs pays d’Afrique francophone ces dernières années, particulièrement au Mali et en Centrafrique.
Un fragile retour au calme
Alors que la situation politique semble se clarifier après la démission du colonel Damiba, les militaires putschistes avaient signalé dans un communiqué, lu dimanche à la télévision nationale, que le couvre-feu instauré vendredi de 21 heures à 5 heures (heure locale) avait été levé. Les frontières restent pour l’instant fermées. Le communiqué annonçait également la convocation, dimanche après-midi, « des secrétaires généraux des départements ministériels chargés de l’expédition des affaires courantes ».
Le colonel Damiba était arrivé au pouvoir, en janvier, par un coup d’Etat ayant renversé le président Roch Marc Christian Kaboré, accusé d’inefficacité dans la lutte contre les violences djihadistes. Mais ces derniers mois, des attaques frappant des dizaines de civils et de soldats se sont multipliées dans le nord et l’est du Burkina Faso, où des villes sont désormais soumises à un blocus des djihadistes. Depuis 2015, les attaques régulières de mouvements armés affiliés à Al-Qaida et au groupe Etat islamique (EI) ont fait des milliers de morts et provoqué le déplacement de quelque deux millions de personnes.
Burkina : derrière le coup d’État, une influence française diminuée au profit de la Russie
Par Sudouest.fr avec AFP Publié le 02/10/2022 à 10h09 Mis à jour le 02/10/2022 à 15h07
La tentative de coup d’État au Burkina Faso affaiblit une influence française déjà en déclin en Afrique de l’Ouest. La Russie surfe sur l’hostilité envers Paris pour devenir un nouveau partenaire de la zone
À peine 24 heures après le début du coup contre le colonel Damiba, lui-même arrivé au pouvoir par un coup d’État en janvier, la situation reste confuse au Burkina Faso. Le chef de l’État n’a toujours pas abdiqué mais les putschistes ont accusé la France de l’aider à reconquérir le pouvoir. Ces accusations immédiatement balayées par Paris, dans une situation extrêmement confuse. Ils ont aussi revendiqué la « ferme volonté d’aller vers d’autres partenaires prêts à aider dans la lutte contre le terrorisme ».
Derrière cette déclaration se cache une allusion implicite à la Russie, dont des drapeaux ont été aperçus au Burkina depuis deux jours. « Les putschistes inscrivent très explicitement leurs actions dans un clivage Russie versus France », relevait samedi Yvan Guichaoua, expert de la région à l’université de Kent, à Bruxelles.
« Très étonnant de voir les putschistes déclarer leur flamme si vite à leur partenaire stratégique » privilégié. On aurait pu imaginer qu’ils prennent le pouvoir d’abord puis fassent monter les enchères «, ajoutait-il sur Twitter.
Et l’expert de poser deux hypothèses : « soit bosser avec les Russes était le projet depuis le début et on a affaire à un plan de déstabilisation mûrement réfléchi, soit on invoque de manière opportuniste le clivage France/Russie pour galvaniser les soutiens parce que le projet tangue »
Samedi l’ambassade de France à Ouagadougou a même été attaquée. La claque est d’autant plus rude pour Paris qu’elle s’inscrit dans une tendance lourde.
« Dénigrer la présence française »
Au Mali voisin, la France a déployé pendant neuf ans la force antijihadiste Barkhane contre les groupes affiliés à al-Qaida et État islamique, avant d’assister en 2020 à un double coup d’État amenant au pouvoir des militaires franchement hostiles à sa présence. Jusqu’à l’annonce par le président Emmanuel Macron du départ des soldats français qui se redéploient différemment dans la région.
Simultanément, des soldats de la société de mercenaires privées russes Wagner s’installaient dans le pays, quand bien même Bamako n’évoquait que des « formateurs russes ». Depuis, l’influence de Moscou s’y est renforcée, notamment via réseaux sociaux et médias russes.
Un tout récent rapport de l’Institut de Recherche stratégique de l’École militaire, dépendant du ministère français de la Défense, décrivait au Mali la « prolifération de contenus de désinformation en ligne, le plus souvent destinés à dénigrer la présence française et justifier celle de la Russie ».
Il constatait aussi la contagion au Burkina voisin. « Le pays des hommes intègres fait aujourd’hui partie des pays africains dans le viseur » de Wagner, écrivaient les auteurs. Qui notaient de très fortes progressions de l’audience des sites en français des médias russes RT et Spoutnik depuis un an.
Au-delà du Sahel, la baisse de l’influence de la France en Afrique de l’Ouest, au cœur de ce qui était jadis son « pré carré », est patente. « On est à la fin d’un cycle. Si on continue sur la même lancée, il y a des risques d’éviction stratégique forts de la France d’espaces importants et d’intérêts majeurs », expliquait en mai dernier Elie Tenenbaum, directeur du Centre des études de sécurité de l’Institut français des relations internationales.
Le souffle du vent « France dégage »
« La conditionnalité démocratique nous met en porte-à-faux avec des régimes qui sont en plein recul sur ce point et n’hésitent pas à faire valoir la concurrence avec des compétiteurs qui eux ne conditionnent leur soutien à aucun critère intérieur », ajoutait-il, pointant « l’offre russe ».
En quittant le Mali, Paris a promis de ne pas délaisser la lutte contre les jihadistes, qui menacent ouvertement les pays du golfe de Guinée. Des discussions sont censées être en cours entre Paris et les chancelleries africaines, mais la France revendique une volonté de discrétion. « On change de paradigme […]. Aujourd’hui, se déployer avec une armada n’est plus dans l’air du temps », résumait cet été le colonel Hubert Beaudoin, sous-chef opérations de Barkhane à Niamey.
Un air du temps, à l’évidence, défavorable à Paris. « À qui le tour ? » s’interrogeait pleine d’ironie, une source sécuritaire ouest-africaine en évoquant le coup d’État au Burkina. « Au Sénégal et en Côte d’Ivoire, c’est à bas bruit, mais le vent « France dégage » souffle également ». À terme, la France pourrait devoir quitter le Burkina. Quelque 400 soldats y sont présents avec la force Sabre, des forces spéciales qui forment des soldats burkinabés près de Ouagadougou. Un départ jugé « certain » par une source militaire plusieurs fois déployée au Sahel.