Lu pour vous
https://blogging.africa/fr 04.10.2022
Après plusieurs mois de tentative de doter le pays d’une nouvelle constitution, la Cour Constitutionnelle a mis un coup d’arrêt le vendredi 23 septembre 2022 à ce processus, suite à la requête d’une partie de l’opposition.
D’abord, profitant de la crise de la Covid-19, le gouvernement Centrafricain avait en 2020 tenté une première fois de tripatouiller la Constitution pour prolonger le mandat du président et des députés d’un an et demi. Nous étions aussi à quelques mois des élections groupées. Pour la première fois, la Cour Constitutionnelle de la dame de fer Danielle Darlan s’est opposée à ce projet. Un premier rêve se voit briser.
Les élections ont lieu sous les tensions politiques et sécuritaires en décembre 2020 et le second tour en janvier 2021. Un an plus tard, l’idée de modification de la constitution va naitre au dialogue républicain, organisé en mars 2022. Rejetée par les participants, le pouvoir enclenche une manœuvre, en utilisant le Front Républicain d’Héritier Doneng qui organisera plusieurs manifestations pour enfin déposer un mémorandum au gouvernement.
C’est ainsi que le 12 aout 2022, le Président Touadera va officiellement lancer l’idée de la réécriture d’une nouvelle constitution, en se basant sur les propositions faites par un élu de la Nation, le député Brice Kevin Kakpayen. Celui-ci avait proposé une modification de quelques articles, en sautant le verrou du nombre de mandats.
Un mois plus tard, un comité de rédaction d’une nouvelle constitution est alors mis en place par décret présidentiel. Les membres sont installés le 14 septembre 2022.
Dans la foulée, l’opposition crée un Bloc Républicain pour la Défense de la Constitution du 30 mars 2016 (BRDC), l’actuelle en vigueur. Des organisations de la société civile et mouvements politiques lancent le G-16 et s’opposent aussi à la démarche de la nouvelle constitution qui ouvrira la voix au président Faustin Archange Touadera afin de briquer un 3eme mandat.
Un rêve brisé ?
La décision de la Cour Constitution d’annuler les décrets créant et nommant les membres du comité de rédaction de la nouvelle constitution apparait comme un coup d’éclat. Le pouvoir déstabilisé par cette décision qui vient briser les rêves du 3eme mandat voir un mandat illimité.
Sur le plan du droit, la décision de la Cour Constitution n’est susceptible d’aucun recourt. Elle s’impose à tous. Le gouvernement prend acte de cette décision qui met en lumière la procédure de ces réformes qui ne cadrent pas avec les dispositions de la Constitution en vigueur. Le président Touadera, de retour dimanche 25 septembre de New-York où il participait à la 77eme assemblée générale des Nations-Unies, observe un silence inquiétant. Selon ses proches, il refuse de se prononcer sur la décision de la cour constitutionnelle mais il pourra tout simplement agir.
En observant l’attitude des proches du pouvoir, une déception se lit sur leurs visages. Même le Chef de l’Etat Touadera n’a pas été en forme pendant son séjour newyorkais. On pouvait voir sur les images un Chef d’Etat pensif, maladif, dépassé par les évènements et très inquiet sur son avenir politique.
Des nouvelles manœuvres en cours
Quelques heures après la décision de la Cour Constitutionnelle, Fidèle Gouandjika, conseiller politique spécial du Président Touadera a déclaré à AFP qu’un « coup d’Etat constitutionnel reste possible ». Ce qui sous-entend que les manœuvres n’ont pas encore pris fin malgré la défaite du pouvoir sur le plan juridique devant la Cour Constitutionnelle.
La cour constitutionnelle avait relevé dans sa décision que la modification ou la rédaction d’une nouvelle constitution ne peut se faire que lorsque le parlement sera au complet. En l’absence du SENAT, l’Assemblée Nationale à elle seule ne peut pas valider le projet des réformes constitutionnelles. Aussi, la Constitution ne prévoit pas que le peuple peut demander une nouvelle constitution à travers les manifestations, les pétitions, les mémorandums adressés au gouvernement.
En conséquence, cette cour fait l’objet de menace voire de menace de destitution. Le Front Républicain, une branche du pouvoir lance à nouveau des pétitions. Il lance 60 jours d’activisme pour demander au Président Touadera de convoquer un Référendum Constitutionnel. Un grand rassemblement est prévu le 30 septembre au point zéro à Bangui pour demander le référendum constitutionnel.
Le Front Républicain demande aussi la dissolution de la Cour Constitutionnelle qui selon son responsable Héritier Doneng est « corrompue, fait les jeux de l’opposition et s’est prononcée sur un acte administratif, le décret instituant un comité de rédaction de la nouvelle constitution et non sur un règlement, une loi ». Le Front Républicain ouvre la boite à pandore. Le pouvoir s’obstine alors dans sa logique. Des analystes soulignent déjà que ce projet n’est pas perdu. Mais c’est juste la procédure qui n’a pas été respectée. L’opposition poursuit sa lutte pour empêcher un coup d’Etat constitutionnel.
L’histoire des constitutions en Centrafrique est émaillée par des séries sombres. Les constitutions centrafricaines ne durent jamais plus de dix ans comme les présidents de ce pays.
L’évolution des constitutions centrafricaines et ses enjeux
La République Centrafricaine, autrefois Oubangui Chari, créée le 1er décembre 1959 disposait d’une Constitution adoptée le 16 février 1959. Avant son accession à l’indépendance le 13 aout 1960, ce pays était géré par une Charte Constitutive de l’Union des Républiques d’Afrique Centrale du 17 mai 1960. Cette Charte est restée en vigueur jusqu’au 26 novembre 1964 où la première Constitution a été promulguée le 26 novembre 1964, créant alors la 1ère République.
Après un coup de force de Jean Bedel Bokassa, contre le premier Président de la République David Dacko, un acte constitutionnel a été pris le 8 janvier 1966. Dix ans plus tard, le pays adopte une constitution impériale le 4 décembre 1976. Après la chute de l’empire Bokassa le 21 septembre 1979, le Président Dacko Dacko, réinstallé au pouvoir va dissoudre la constitution impériale. Un autre acte constitutionnel a été pris en 1979, créant la 2eme République. Le pays adopte ensuite une nouvelle constitution le 5 février 1981.
Un coup d’Etat du Général André Kolingba vient mettre fin à cette constitution du 5 février 1981. Le pays adopte un acte constitutionnel le 1er septembre 1981 puis un autre acte constitutionnel en 1985 avant de se doter d’une constitution le 28 novembre 1986, instituant la 3eme République.
Après la chute du Général d’Armée André Kolingba à l’issue de la première élection démocratique de 1993, remportée par Ange Félix Patassé, couplée avec le vent de la démocratie et le début du multipartisme, la Centrafrique se dote d’une nouvelle constitution démocratique le 14 janvier 1995. Cette constitution intègre le verrou lié au nombre du mandat. C’est la quatrième république.
A peine passé dix ans au pouvoir, Ange Félix Patassé lance l’idée de la modification de la Constitution afin de sauter à nouveau ce verrou. Il sera lui-même éjecté par un coup d’Etat le 15 mars 2003 par le général de division François Bozizé. Ce dernier prend un acte constitutionnel en 2003 avant de doter le pays d’une constitution le 27 décembre 2004. De deux mandats de sept ans, nous sommes passés à deux mandats de cinq ans. Le pays entre dans la cinquième République.
Après 10 ans au pouvoir (période transition y compris), François Bozizé émet en coulisse l’idée d’une nouvelle constitution, en envisageant lever les verrous du nombre du mandat. Il est renversé par un coup d’Etat de la Séléka le 24 mars 2013. Djotodia crée une Charte Constitutionnelle de Transition. Il démissionne neuf mois après suite à la pression de la communauté internationale et Catherine Samba Panza vient terminer la transition de deux ans en dotant le pays d’une constitution le 30 mars 2016. Nous sommes dans la sixième République.
L’actuelle constitution est critiquée depuis son adoption pour avoir été rédigée dans la précipitation par un organe de la transition. Le président Faustin Archange Touadera au pouvoir depuis le 30 mars 2016 souhaite doter le pays d’une nouvelle constitution en sautant les verrous de limitation du nombre et de la durée du mandat. Un rêve pour le moment brisé par la cour constitutionnelle.
Sera-t-il plus fort que les autres pour faire le passage en force et réaliser son rêve ? Il est pour le moment difficile d’imaginer la fin de ce film fiction qui se joue sous les influences de la Russie de Vladimir Poutine et du Rwanda de Paul Kagamé, deux dictateurs actuellement meilleurs conseillers et appuis militaires du président Touadera.
Pour sa part, la population est divisée sur ce projet. Ce qui ne semble pas être une priorité pour les uns est une nécessité pour les autres qui veulent qu’un président dure le plus longtemps possible au pouvoir afin de mieux construire le pays. Ceux-là brandissent la jurisprudence des Chefs d’Etat des pays de l’Afrique centrale. Pas de limitation des mandants chez eux. Mais en réalité, la population est fatiguée par plusieurs années de conflits armés que la majorité ne veut plus revivre le chaos des années 2013-2014 à cause d’une crise qui sera née juste de la volonté des uns de s’éterniser aux pouvoir.
Jean Ngbandi
Photo : State Visit of President Faustin-Archange Touadéra of Central African Republic Kigali, 5 August 2021 – Paul Kagame/Flickr (CC BY-NC-ND 2.0)
Lu pour vous
https://www.connectionivoirienne.net/ La Rédaction 11/10/2022
Les parallèles entre les deux pays sont saisissants ! Mais la République centrafricaine a quelques années d’avance sur le Mali : entre la pratique du pouvoir, les ingérences étrangères et la prédation des ressources naturelles, les menaces sont nombreuses pour les Maliens. Attention !
Personne n’a de boule de cristal évidemment, mais l’exemple de la République centrafricaine a de quoi faire réfléchir nos frères maliens. Car la trajectoire des deux pays concentre de nombreuses similitudes : le Mali rêve-t-il du même futur que la Centrafrique ? Espérons que non, car le pouvoir à Bangui a fait des choix plus que discutables pour l’avenir de son peuple et de sa souveraineté. Regardons de plus près ce qui guette Bamako.
Pratique du pouvoir
Quand on tient le pouvoir, difficile de le lâcher. Depuis les indépendances, combien sont-ils les chefs d’État africain à s’être accrochés à leur trône ? Des dizaines ! Qu’ils soient arrivés à la tête du pays par un putsch militaire ou par des élections entachées d’irrégularités, la mainmise totale est la règle. À Bangui, Faustin-Archange Touadéra a été investi président une première fois en 2016, une seconde fois en 2021. Mais la Constitution ne prévoit que deux mandats… Si bien que le président – autrefois surnommé « le candidat du peuple » – est en train de préparer un tour de passe-passe en changeant la Constitution ! Son projet : un référendum, dans les mois qui viennent, qui lui permettrait de briguer un troisième mandat en 2025. Car ses tentatives de dialogue avec l’opposition, au printemps dernier, se sont soldées par un échec patent. « Je vous ai écoutés, a déclaré Touadéra en août dernier, au moment de la fête de l’Indépendance. Je prends acte de vos sollicitations pressantes qui me sont parvenues de partout réclamant une nouvelle Constitution. Je voudrais réaffirmer ma volonté de respecter la Constitution et la volonté du peuple souverain. Comme j’ai eu à le réaffirmer en certaines circonstances, je ne ferai rien sans la volonté du peuple détenteur de la souveraineté nationale. » Qui peut bien le croire ?
L’histoire du continent regorge d’exemples comme celui-ci : Denis Sassou Nguesso en République du Congo (7 mandats), Idriss Déby au Tchad (6 mandats) ou Yoweri Museveni en Ouganda (6 mandats). Pourtant, comme l’écrit avec justesse le Centre d’études stratégiques de l’Afrique, « la limitation des mandats présidentiels est la clé du progrès démocratique et de la sécurité en Afrique. Les mandats présidentiels les plus longs sont liés à une corruption accrue, à une réduction des droits civiques et à une plus grande fréquence des conflits ». Le Mali, lui, n’en est pas encore là : mais le président de la Transition, le colonel Assimi Goïta, a tout du futur roi omnipotent. Malgré ses promesses, le processus électoral est mal engagé, et il y a fort à parier que Goïta troquera son uniforme pour le costume cravate en 2023 ou 2024.
Les Russes à la rescousse
Les présidents Touadéra et Goïta ont aussi appliqué une stratégie commune : bouter les Français hors de leur pays et les remplacer par les Russes de Wagner. En Centrafrique, les soldats de l’ancien pays colonisateur de l’opération Sangaris sont partis en 2016, de manière progressive. Quelques unités restent encore sur le territoire, au sein d’une mission logistique et de la MINUSCA (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation en Centrafrique). Mais leurs jours sont comptés. Au Mali, le départ a été certes plus rapide, mais a suivi la même stratégie : faire venir les miliciens russes de Wagner pour assurer la sécurité du pays.
Seulement voilà, le constat n’est pas aussi glorieux que les pouvoirs en place veulent bien le laisser croire. Wagner a mis le pied en Centrafrique en 2018. Résultat, quatre ans plus tard : le pays fait partie, selon l’OCDE, des 5 pays les plus fragiles avec la Somalie, le Sud-Soudan, l’Afghanistan et le Yémen. Est-ce que le Mali a envie d’allonger cette liste ? Car la situation sécuritaire en Centrafrique ne s’est pas améliorée, les campagnes de désinformation et même le film russe Touriste – mettant en scène les soldats de Wagner à la sauce hollywoodienne et produit par Yevgeny Prigozhin, proche de Poutine et homme fort de Wagner – ne font que cacher la misère. La Centrafrique va mal. L’ONU ne cesse d’alerter la communauté internationale sur « les violations du cessez-le-feu et les incitations à la violence », selon les mots de la représentante spéciale du Secrétaire général, la Rwandaise Valentine Rugwabiza.
Les « violations des droits humains » et les « atteintes visant les minorités ethniques et religieuses » dénoncées par l’ONU sont une chose ; les viols par centaines et les tueries orchestrés par Wagner en sont une autre. Wagner, arrivé sur le territoire pour former les soldats des Forces armées centrafricaines (FACa), fait régner la terreur. Cela vous rappelle-t-il quelque chose ? Les drapeaux russes brandis dans les rues de Bangui sont un leurre : frères maliens, ne tombez pas vous aussi dans le panneau de la fuite en avant de vos dirigeants !
Main basse sur les ressources naturelles
Trois mille sept cent kilomètres et cinq frontières séparent Bamako de Bangui. Et pourtant, les deux capitales ont plusieurs points communs. La géographie du Mali et de la Centrafrique a forgé une psychologie similaire : celle d’États enclavés, sans accès direct sur l’océan et donc dépendants de leurs voisins pour leur commerce. Cette spécificité n’échappe à personne et conditionne très souvent un repli sur soi-même et une dépendance vis-à-vis des recettes douanières. Mais voilà : le gouvernement centrafricain a bradé ses ressources – naturelles et financières – aux entreprises russes de la galaxie de Yevgeny Prigozhin, le boss de Wagner. L’oligarque russe, surnommé « le cuisinier de Poutine », a déjà fait main basse sur les mines centrafricaines via deux entreprises, M Finans et Lobaye Invest. Le président Touadéra a certainement été bien aidé dans cette décision par le conseiller en matière de sécurité à la présidence de la République, un certain Valery Zakharov du FSB (ex-KGB). Parmi ces conseils avisés, l’abandon des taxes et des barrières douanières au profit des entreprises affiliées à Wagner. Étrange, non ?
Dernier exemple en date de cette prédation tous azimuts : le bois. Depuis février 2021, la société Bois Rouge déboise le pays à tour de bras dans la province de Lobaye au sud-ouest du pays. Bois Rouge n’est pas soumis à l’impôt sur les sociétés, Bois Rouge surexploite la forêt (15 à 20 arbres par jour au lieu de 7), Bois Rouge ne paye quasiment pas de taxe douanière. Difficile d’envier ce modèle ! Qu’a à y gagner le peuple centrafricain, 227e sur 228 au monde selon l’indice de développement humain (IDH) ? Rien du tout. Le Mali, 222e du classement, sait maintenant ce qui l’attend s’il continue sur cette pente dangereuse : les dirigeants s’enrichissent, le peuple trinque. Comme toujours.
Hervé Traoré