De nombreuses arrestations et disparitions au Tchad
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De nombreuses arrestations et disparitions sont signalées après les manifestations qui ont fait une cinquantaine de morts dans le pays.
Après la mort ce jeudi 20 octobre, d'une cinquantaine de militants opposés à la transition, c'est l'inquiétude dans plusieurs familles.
De nombreux jeunes ont été enlevés, parfois par des militaires ou encore des hommes armés, habillés en tenue civile et se réclamant des services de renseignements.
Au quartier Chagoua, dans le septième arrondissement de la capitale, cinq jeunes de la même famille auraient été arrêtés par des militaires et emmenés vers une direction inconnue dans la nuit de jeudi á vendredi.
"C'était aux alentours de 2h qu'on a entendu les bruits. Ils sont venus défoncer la porte de nos voisins, ils les ont pris, attachés et mis dans quatre véhicules militaires. On ne sait pas au juste où ils sont. Une fois qu'ils sont allés mettre les cinq jeunes dans les véhicules, ils sont revenus et ils ont tout vandalisé dans la maison puis ils sont repartis. Il semblerait qu'ils soient partis avec les diplômes d'un jeune, avec une somme de 150. 000 francs qu'ils auraient trouvé dans sa valise", raconte Christian, leur voisin.
Tous inquiets
D’un quartier à un autre, c'est le même mode opératoire. Au quartier Chari Birmil, toujours dans le septième arrondissement, un homme et son voisin auraient été enlevés et on est jusque-là sans nouvelles d’eux, nous raconte sa grande sœur qui se dit inquiète.
"C'était à 2h du matin, mon petit frère a accompagné sa femme malade aux toilettes. Dès qu'ils sont arrivés, les militaires sont entrés en cassant le portail et ils ont pris mon petit frère, je ne sais pas où il est, jusqu'à aujourd'hui on n’a pas retrouvé sa trace. Ils ont cassé la porte de la chambre pour entrer et ramasser des choses et ils ont arrêté un des voisins aussi. Ils sont habillés en tenue mais cagoulés donc on n’a pas pu les identifier", explique Nadège.
"Inadmissible"
C'est une situation inadmissible, déplore le coordonnateur de l'ONG Tournons la page section Tchad, Jacques Ngarassal Saham.
"On dit que le Tchad est un pays spécial et voilà : le Tchad a prouvé aussi aux yeux du monde que c'est un pays spécial à travers ses forces de l'ordre. Aujourd'hui, on a pris ces manifestants comme des ennemis de la nation tchadienne et en disant que ce ne sont pas des fils du pays. Nous avons vu tout ce qui s'est passé et c'est une situation véritablement déplorable. Ces forces de l'ordre normalement doivent aussi répondre de leurs actes devant les juridictions de notre pays", dit Ngarassal Saham Jacques.
En raison du nombre important de manifestants interpelés, plusieurs commissariats de N’Djamena sont débordés, ce qui a obligé les forces de l’ordre à transformer certaines écoles en lieux de détention.
Ces affrontements interviennent après la prolongation pour deux ans de la "transition" qui devait s'achever ce jeudi 20 octobre.
Fin septembre, Mahamat Idriss Déby Itno a finalement été maintenu à la tête de l'Etat jusqu'à des élections libres et démocratiques, censées se tenir à l'issue d'une deuxième période de transition et auxquelles M. Déby pourra se présenter.
Ce maintien, à l'issue d'un Dialogue national inclusif et souverain (DNIS) boycotté par une grande partie de l'opposition, a achevé de braquer les oppositions politiques et armées et embarrasse une communauté internationale qui avait pourtant adoubé M. Déby il y a 18 mois.
Tchad. La junte militaire soutenue par Macron réprime des manifestations contre le pouvoir
https://www.revolutionpermanente.fr/ RÉVULUTION PERMANENTE Yann Tocaben vendredi 21 octobre
Ce jeudi, les partis d’oppositions à la junte militaire ont appelé à des manifestations pour dénoncer le maintien au pouvoir du dictateur Mahamat Déby. Des mobilisations réprimées dans le sang, dont le bilan de 50 morts et de 300 blessés pourrait être bien plus lourd.
Ce jeudi 20 octobre, les partis d’opposition à la junte militaire ont appelé la population à descendre dans la rue pour dénoncer le maintien au pouvoir, pour une période de « transition » de deux ans, de Mahamat Déby – fils du dictateur Idriss Déby décédé en avril 2021.
Les manifestations ont commencé dans la matinée à N’Djaména, Moundou, Abéché Bongor et Koumra, où des barricades ont été montées pour marquer la colère des tchadiens contre la continuation de la « transition », autrement dit le report des élections. Réprimées dans le sang, à coup de gaz lacrymogène et de tirs à balles réelles, le premier bilan morbide des manifestations est estimé à au moins 50 morts et plus de 300 blessés. Mais selon Abdoulaye Diarra spécialiste de l’Afrique centrale à Amnesty International interrogé par Libération, « Le nombre de morts est beaucoup plus important que celui annoncé par les autorités ».
Suite au bain de sang d’hier, le nouveau premier ministre Saleh Kebzabo a répondu par l’instauration d’un couvre-feu de 18 heures à 6 heures. Il a annoncé, par la même occasion, [la « suspension de toute activité » d’importants groupes de l’opposition et a promis qu’il « fera régner l’ordre sur l’ensemble du territoire et ne tolérera plus aucune dérive d’où qu’elles viennent ».
Le Tchad : une position stratégique pour l’impérialisme français
Pour comprendre ce qu’il se déroule au Tchad, il est nécessaire de revenir en arrière. En 2021, le dictateur – et pantin de Paris - Idriss Déby Itno décédait pendant une opération militaire. Celui-ci, maintes fois « élu » en 1996, 2001, 2006, 2011, 2016 et 2021 était un grand allié de l’État français, ayant par exemple envoyé des troupes tchadiennes au Mali pendant l’opération Serval en 2013.
Le Tchad, depuis son indépendance, a toujours fait partie du pré-carré français et du système « Françafrique » (terme résumant les relations néocoloniales entre l’État Français et ses « alliés Africains »). Porte d’entrée sur le Sahel, le pays compte pour l’impérialisme français car il lui confère une position stratégique importante. D’autant plus qu’il regorge de ressources naturelles comme les métaux précieux (or, argent), des minerais métalliques (cuivre, plomb, aluminium), des matériaux de construction (graphite, talc, diatomites...) et exporte 90% de son pétrole vers la France. Ses ressources, ses richesses sont exploitées entre autres par des entreprises françaises comme Total, Vinci, Bolloré et leurs filiales.
Entre visées militaires et néocolonialisme, les intérêts de l’impérialisme français au Tchad sont clairs, et expliquent pourquoi la France a soutenu les dictateurs Habré, Déby et fils, garants de la stabilité propice à la rentabilité des capitaux investis. Ce d’autant plus que ces dernières années, ces intérêts sont mis à mal par la concurrence d’autres puissances comme la Russie, mais également par une défiance croissante de la population vis-à-vis de la présence française sur son sol. Un symptôme du déclin de l’impérialisme français en Afrique de L’Ouest, le Tchad ne faisant d’ailleurs pas exception.
A bas la Francafrique !
Dans ce contexte, à la mort de Idriss Déby Itno, l’État Français a soutenu l’arrivée au pouvoir de son fils Mahamat Idriss Deby Itno allant jusqu’à dépêcher Macron à sa cérémonie d’« intronisation » ou d’adoubement en avril 2021. Cette junte militaire était « censée » conduire une période de transition vers des élections démocratiques. Mais après la période initiale de 18 mois, Mahamat Idriss Deby Itno a préféré s’auto-reconduire le 10 octobre pour une nouvelle période de deux ans à la tête d’un « gouvernement d’union nationale » en nommant premier ministre Saleh Kebzabo, ancien opposant à la junte.
En grand défenseur de la stabilité de ses intérêts, il est probable que certaines des décisions politiques les plus importantes pour le pays comme celle-ci soient prises avec l’accord - explicite ou tacite - de l’État Français. Car si ce n’est pas le gouvernement français qui a directement réprimé les manifestations ce jeudi, ce sont bien intérêts de l’impérialisme français qui y sont protégés ; le rendant ainsi complice des exactions commises par les dictatures sanglantes qu’il contribuer à maintenir au pouvoir. Ainsi, il ne faut pas être dupes de la dénonciation fébrile de la répression par le quai d’Orsay, qui déclarait que « des violences sont survenues (...) au Tchad, avec notamment l’utilisation d’armes létales contre les manifestants, ce que la France condamne » et ajoutait pour se justifiait que l’État Français « ne joue aucun rôle dans ces événements, qui relèvent strictement de la politique intérieure du Tchad. Les fausses informations sur une prétendue implication de la France n’ont aucun fondement ».
Face à la dictature et au néocolonialisme, il est nécessaire de soutenir les travailleurs et les classes populaires tchadiens dans leur combat contre la junte militaire et contre l’Etat français et son franc CFA. Loin de toute négociation avec l’impérialisme français, le combat contre la dictature et pour une société au service des travailleurs et des classes populaires ne peut se faire que par la mobilisation et la grève.
Heurts au Tchad, prémisses d'un après-dialogue tendu
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Avec plus die 50 morts, des centaines de blessés et des arrestations, les violents heurts du 20 octobre au Tchad annoncent que le dialogue national n'a pas installé le pays dans un climat calme et pacifique. Les promesses d'ouverture et d'élections transparentes ne convainquent pas une partie des Tchadiens qui exige qu'une alternance se produise enfin au sommet de l'Etat.
Le dialogue national qualifié d'inclusif et souverain au Tchad a livré ses conclusions dont certaines sont même déjà en exécution : la reconduction pour deux ans du général Mahamat Idriss Déby et la mise en place d'un nouveau gouvernement .
Prochains rendez-vous clés : le référendum constitutionnel, les consultations sur la forme de l'Etat et les élections de fin de transition.
Mauvais climat post-dialogue
Or, au sortir du dialogue où une certaine liberté d'expression a pu s'observer, la situation paraît bien loin de la détente espérée . Certains acteurs majeurs ont boycotté ce dialogue ou rompu les rangs en plein chemin. Pour eux, la trajectoire empruntée ne pouvait qu'arranger les affaires des tenants du système en place. Ce qui annonce un mauvais climat pour l'après-dialogue.
Ont-ils raison ? Ou était-ce naïf de s'attendre à une ouverture radicale dès la disparition du président Idriss Déby en avril 2021 ? Quelles solutions s'offrent aux dirigeants actuels pour apaiser le climat et restaurer la confiance ? Fréjus Quenum en discute avec ses invités :
- Agnès Ildjima Lokiam, présidente de l'Association tchadienne pour la promotion et la défense des droits de l'homme (ATPDH), membre de l'association des femmes juristes du Tchad
- Evariste Ngarlem Tolde, acteur de la société civile, docteur en sciences politiques et enseignant-chercheur à l’Université de N'Djamena
- Hoinathy Remadji, chercheur principal pour l'Institut d'études de sécurité en poste à N'Djamena
- et Mahamat Saleh Yacoub, président de l'Université Adam Barka d'Abeché