Sant’Egidio : ces catholiques qui dialoguent avec les seigneurs de guerre et les chefs d’Etat

 

Par Bénédicte Lutaud (avec Gaétan Supertino)

Alors que le pape François et Emmanuel Macron feront partie des nombreux invités du sommet interreligieux en faveur de la paix organisé, dimanche 23 et lundi 24 octobre, à Rome par Sant’Egidio, zoom sur l’histoire de cette discrète communauté de laïcs catholiques qui s’est forgé une réputation de médiateur dans les conflits internationaux. 

Dans le patio d’un ancien monastère romain, à l’ombre de bananiers, les chefs d’une guérilla africaine boivent le café. Au mur, une plaque de rue présage de leur objectif commun : rue de la Paix. Nous sommes en juillet 1990, et des négociations inédites entre rebelles de la Renamo (résistance nationale du Mozambique) et membres du Frelimo (Front de libération du Mozambique), qui s’affrontent depuis treize ans, viennent de s’ouvrir.

Ce paisible décor n’est autre que le siège de Sant’Egidio : une fraternité de laïcs catholiques que les deux camps ont choisie comme médiatrice de leurs pourparlers. Le 4 octobre 1992, ils signeront à Rome un accord de paix historique. Dès lors, la communauté multiplie les missions de médiation dans le monde entier : Guatemala, Algérie, Balkans, Burundi, Liberia, etc. Celle qu’on surnomme parfois « ONU du Trastevere », du nom du quartier romain où elle est née, est aussi bien sollicitée par les seigneurs de guerre que par les chefs d’Etat.

 

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Sant’Egidio, des bidonvilles aux relations internationales

Cette renommée s’appuie sur un savoir-faire inédit dans la diplomatie, jugé « artisanal » (casareccio). Place Sant’Egidio, les touristes ne remarquent pas les militaires plantés devant leur petite église.

C’est en 1968 que le fils d’un banquier, Andrea Riccardi, et un groupe d’étudiants s’inspirant de Vatican II créent la communauté, qui compte aujourd’hui 60 000 membres. Après avoir débuté en œuvrant dans des bidonvilles romains auprès des réfugiés, de personnes en situation de handicap et de personnes âgées, les bénévoles créent des antennes à l’international et s’improvisent, peu à peu, « faiseurs de paix ».

« Nous n’avons pas voulu jouer aux diplomates, mais, face à l’horreur de la guerre, nous avons senti la responsabilité d’agir », explique Andrea Riccardi. « La guerre est la mère de toutes les pauvretés », répète-t-il à la façon d’un mantra. Sant’Egidio a su transformer ses faiblesses en force : puisqu’elle n’est pas une puissance armée, économique ou politique, elle n’a d’autre intérêt que la paix.

C’est ainsi que l’ONG gagne, au fil du temps, la confiance de ses interlocuteurs. « Sant’Egidio n’a pas d’agenda caché, n’a pas de salariés à payer : de cette manière les parties doivent totalement s’impliquer », souligne Mario Giro, ancien ministre italien (centre gauche) et acteur « tout-terrain » de la communauté. Contrairement à la diplomatie officielle qui peut céder à la pression du calendrier politique ou des médias, une ONG a tout son temps.