Publié le 24.07.2019 à 11h50 par AFP
En Centrafrique, les premières enquêtes de la Cour pénale spéciale (CPS) ont débuté pour juger les responsables de graves crimes commis durant les conflits, mais les moyens manquent cruellement pour répondre aux attentes des populations.
« Œil pour œil, dent pour dent ! » Dans un pays en conflit où nombre de tribunaux ont été désertés par les juges, la justice se résume trop souvent à ces mots pour les Centrafricains.
Mais quand un comédien les déclame en grimaçant devant le public de l’Alliance française de Bangui, les rires éclipsent un instant les mauvais souvenirs.
Aborder des thématiques sensibles par l’humour, c’est le parti pris de la pièce Kota da ti ngbanga (Le grand tribunal), dont la tournée débutée en octobre 2018 a réuni plus de 12.000 spectateurs à travers le pays.
Son objectif : informer les populations sur le fonctionnement et la mission la CPS. Une juridiction chargée de mettre en acte cette réplique martelée par les acteurs : simple soldat ou ministre, « personne n’échappera à la justice ».
Une promesse ambitieuse dans un pays marqué par des décennies d’impunité. Crée par décret en 2015 mais effectivement lancée en octobre 2018, composée de juges nationaux et internationaux, la Cour est chargée de juger les violations graves des droits humains commises en République centrafricaine depuis 2003.
Huit mois plus tard, ses magistrats ont instruit quatre dossiers. Trois autres font l’objet d’une enquête préliminaire. Au total, 27 plaintes ont été déposées.
Le bilan est bien maigre au regard du nombre de victimes et de crimes perpétrés. Mais les procédures sont longues et complexes: la CPS ne dispose que de quatre procureurs et vingt officiers de police judiciaires pour juger des crimes commis durant quinze années secouées par une succession de conflits.
Un manque de moyens humains et financiers dont s’alarme l’ONG Human Rights Watch dans un rapport publié mercredi qui appelle au recrutement « sans attendre de personnel supplémentaire ».
Médecin légiste, psychologue, personnel dédié à la protection des témoins… « Il est difficile de trouver de telles expertises sur place, il faut donc bien souvent recruter des étrangers, ce qui est plus long et coûteux », explique Nelly Mandengue, responsable de la communication pour la CPS.
Si les promesses des bailleurs devraient permettre à l’instance de boucler son budget pour l’année 2019, il lui faudra néanmoins trouver 12,5 millions d’euros chaque année pour assurer son fonctionnement.
Autre défi majeur : une situation sécuritaire toujours fragile malgré l’accord de paix signé le 6 février. Dans un territoire contrôlé à 80% par les groupes armés, « protéger les juges, les témoins et les victimes est un enjeu crucial », rappelle HRW.
D’autant plus que victimes et bourreaux habitent souvent le même village ou quartier. Certes, la possibilité de se constituer partie civile doit faciliter le dépôt de plainte.
Mais avec un effectif prévu de sept personnes, l’unité de protection des témoins n’est pas en mesure d’assurer pleinement sa mission, souligne HRW.
– Plus d’impunité –
Du côté des présumés coupables, la situation sécuritaire limite également les possibilités d’interpellation et d’incarcération : « une arrestation peut potentiellement déstabiliser toute une zone », explique Nelly Mandengue.
A ce jour, rien ne filtre quant au profil des premiers criminels visés par la CPS. « Il est difficile d’envisager qu’elle poursuive les leaders des groupes armés les plus importants, ou l’entourage proche du chef de l’Etat », estime Hans de Marie Heungoup, politologue et chercheur à l’International Crisis Group.
En juin, le ministre de la justice Flavien Mbata l’a toutefois rassuré : l’accord de paix de Khartoum, qui a offert des postes gouvernementaux à plusieurs chefs rebelles, « ne limite pas les compétences de la CPS ».
La question est brûlante car la population ne veut plus entendre parler d’impunité : deux tiers des Centrafricains (61%) sont opposés à l’amnistie des coupables, selon une enquête réalisée par l’université d’Harvard en février 2019.
Si la majorité des sondés déclare avoir confiance en la CPS pour juger les coupables, seule une infime partie attend une compensation financière (4%) ou la reconnaissance du statut de victime (15%).
Centrafrique Human Rights Watch veut plus de moyens pour la Cour pénale spéciale
https://www.dw.com 24.07.2019
La Cour pénale spéciale (CPS) est appelée à intensifier ses enquêtes judiciaires et recruter en urgence du personnel supplémentaire.
La Cour Pénale Spéciale (CPS) de la Centrafrique est un tribunal mixte (national et international) institué par une loi de 2015, au sein du système judiciaire centrafricain, pour juger les crimes de guerre que le pays a connus depuis 2005. Mais cette CPS a mis trois ans à démarrer dans un État centrafricain complètement déstabilisé, explique Albert Mokpeme, ministre délégué porte-parole de la présidence centrafricaine. "Nous sortons d’un fonctionnement administratif qui a été complètement déstabilisé dans ses fondamentaux. La Cour est obligée de reprendre beaucoup de choses. Vous savez qu’il y a des tribunaux, qu’il y a des cours en province qui ont été fermés. Il va falloir remettre tout ça en ordre. C’est ça qui a donné beaucoup de retard dans le travail de la cour", souligne le porte-parole de la présidence.
Quant à Théophile Moumoukouama, porte-parole de cette Cour pénale spéciale de Centrafrique, il précise que "la date qu’on considère comme le début effectif du mandat de la Cour, courant les cinq ans, est le 22 octobre 2018, c’est-à-dire l’année dernière, date de la première session inaugurale de cette juridiction pénale. Depuis ce jour, il y a eu la publication de la stratégie de poursuite, d’enquête et d’instruction de cette juridiction qui a permis de jeter les bases et de clarifier comment cette Cour-là devait démarrer ses premiers travaux."
La Cour pénale spéciale nouvellement en marche en RCA est présentée comme un modèle pour d’autres pays qui auraient un système de justice faible. Mais il est maintenant important pour cette CPS d’intensifier ses activités, qui restent encore lentes. Elle n’a que quatre procureurs et quatre juges pour tous les crimes qui ont été commis depuis 2005. D’où les recommandations d'Élise Keppler, directrice adjointe du programme Justice internationale de Human Rights Watch.
"Il y a trois types de recommandation dans la Cour pénale spéciale. Pour les procureurs et les juges d’intensifier leurs efforts, et aussi d’avoir plus de procureurs et de juges, et puis il y a beaucoup de personnels qui ne sont pas encore là. Deuxième type de recommandation, c'est la coopération efficace entre la cour pénale spéciale et les Nations unies. Et la troisième type de recommandation est le financement. Il manque des fonds maintenant. Il n’y a pas de ressources pour les prochaines années : 2020, 2021 et 2022," souligne Mme Keppler.
Human Rights Watch lance ainsi un appel aux bailleurs de fonds européens, aux Etats-Unis et au Japon, qui ont des délégations à la justice internationale, afin qu’ils donnent plus de ressources pour soutenir la Cour pénale spéciale de la République centrafricaine.
Centrafrique : une nouvelle Cour pénale pas vraiment en état de marche
By La redaction de Mondafrique 24 juillet 2019
Pour Human Rights Watch, les bailleurs de fonds et le gouvernement devraient renforcer leur soutien à la Cour pénale spéciale
(Nairobi, le 24 juillet 2019) – La Cour pénale spéciale de la République centrafricaine devrait intensifier ses enquêtes judiciaires et recruter sans attendre du personnel supplémentaire afin de rendre la justice dans les affaires de crimes de guerre et les autres infractions graves qu’elle doit juger, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Ce nouveau tribunal, qui fonctionne dans un contexte extrêmement difficile, après des années de conflit brutal et d’insécurité dans le pays, a besoin de davantage d’appui de la part du gouvernement et de la communauté internationale.
La Cour pénale spéciale (CPS) est un tribunal nouvellement créé au sein du système judiciaire centrafricain, doté de la compétence de juger les crimes graves commis lors des conflits armés que le pays a connus depuis 2005.
« Les Centrafricains attendent depuis si longtemps de voir justice rendue pour les nombreux meurtres, viols et atrocités qui ont été commis en République centrafricaine », a déclaré Elise Keppler, directrice adjointe du programme Justice internationale de Human Rights Watch. « Même si la Cour pénale spéciale tient ses promesses, son démarrage a été laborieux. Il faut qu’elle intensifie ses enquêtes pour que les procès puissent s’ouvrir sur la base de preuves solides et irréfutables. »
La Cour pénale spéciale, où travaillent des juges et des procureurs à la fois internationaux et nationaux, bénéficie de l’aide internationale. La loi portant création de la Cour a été adoptée en 2015, mais pour démarrer ses enquêtes, elle a dû attendre que le parlement adopte, en mai 2018, les règlementations régissant sa procédure judiciaire et son système de preuve. La Cour a tenu sa première session officielle en octobre et des enquêtes judiciaires sont actuellement en attente auprès du parquet et des juges d’instruction de la Cour.
Suite à son rapport sur la Cour pénale spéciale publié en mai 2018, Human Rights Watch a mené des recherches du 10 au 14 avril 2019 dans la capitale du pays, Bangui, sur les progrès de la Cour et les difficultés qu’elle traverse.
Les chercheurs se sont entretenus avec 25 personnes, dont des employés et des consultants de la Cour, des responsables des Nations Unies (ONU), des défenseurs des droits humains, des avocats et des bailleurs de fonds. Ils ont aussi effectué deux entretiens collectifs, l’un avec des défenseurs des droits humains et l’autre avec des victimes qui travaillent au sein d’associations de victimes des crimes. Human Rights Watch a essayé de rencontrer les responsables du gouvernement qui travaillent sur la Cour pénale spéciale, mais ils n’étaient pas disponibles. Enfin Human Rights Watch a effectué des entretiens à New York, par téléphone et en personne, en mai, juin et juillet, et consulté des documents en lien avec les activités de la Cour.
« La justice [doit être] au premier rang dans un État qui prône la bonne gouvernance et la démocratie », a déclaré un défenseur des droits humains à Human Rights Watch en avril. « Sans justice, tout le reste est appelé à faire naufrage. »
Aussi bien les défenseurs des droits humains que les victimes se sont dits très inquiets du fait que les dispositions de l’accord de paix signé en février, vagues sur le sujet de la justice, pourraient limiter la coopération et l’appui du gouvernement vis-à-vis de la Cour pénale spéciale. Ils ont critiqué le fait que des personnes impliquées dans des crimes aient été intégrées au gouvernement suite au récent accord de paix. « Nous voyons en ce moment que nos bourreaux règnent sur nous », a estimé une femme dirigeant un groupe de victimes. « Ils sont entrés au gouvernement. »