(Le Messager 29/05/2008)
L’arrestation de Jean Pierre Bemba, Sénateur, ancien vice-Président de la République et surtout chef du principal parti d’opposition
au régime de Joseph Kabila, est venue jeter le trouble dans l’esprit de plus d’un observateur des affaires africaines, et créer un doute sur le but, les objectifs, et les commanditaires du
Tribunal Pénal international. Dans une de nos précédentes analyses, nous exprimions déjà nos fortes réserves sur cette institution et n’hésitions pas à la qualifier de Tribunal des
vainqueurs.
Il convient de replacer l’institution dans son contexte réel. Tout d’abord, le Tribunal Pénal actuel, issu du Traité de Rome que les
Etats Unis n’ont du reste jamais ratifié, se veut l’héritier des projets de vengeance concoctés et appliqués par les grandes puissances victorieuses de la deuxième guerre mondiale (1939-1945).
Sans doute faudrait-il rappeler, que la manifestation la plus visible de cette soif de vengeance, fut le Tribunal de Nuremberg, lequel fut constitué à la hâte pour juger les dirigeants du régime
de l’Allemagne Hitlérienne.
L’on notera pour s’en inquiéter, que de la période qui va de la création de l’Organisation des Nations Unies en 1945 à San Francisco jusqu’à la fin de la guerre froide, les mouvements favorables
à la création d’un Tribunal Pénal international, ne prospérèrent que difficilement, en dépit de multiples massacres et génocides résultant des nombreuses guerres. C’est justement parce que les
conflits à l’instar de ceux d’Indochine, de l’Algérie, d’Afrique au Sud du Sahara et du Vietnam, furent menés directement par les grandes puissances dans le cours de leurs rivalités idéologiques,
qu’il n’apparu pas opportun pour les maîtres du monde, de mettre en place une institution judiciaire qui risquait de s’intéresser d’abord à leurs nombreux crimes.
Les massacres de triste mémoire à l’instar de ceux de Mai lai au Vietnam, ou du pays Bamiléké au Cameroun, sont passés dans l’histoire en pure perte pour les peuples et en gloires implicite pour
les criminels.
Dans ce contexte, l’agitation qui a aboutit après de dures efforts de la Commission du droit international de l’ONU à la définition des notions d’agression, de génocide, de mercenaire, de crime contre l’humanité et de crime de guerre pour finalement produire le Traité instituant le Tribunal Pénal International, a été fortement dépendante des nouvelles programmations du commandement stratégique du monde par les mêmes grandes puissances.
Ce que les petits pays découvrent aujourd’hui, c’est la manipulation de l’ensemble des institutions internationales par ces puissances
alliées aux milieux d’affaires mafieuses, aux seules fins de contrôle des vastes ressources des matières premières. La fin de la guerre froide n’a pas mis fin à l’impérialisme des nantis et des
commandeurs des places boursières, elle aura simplement modifié leur mode opératoire, et changé les vieilles appellations. La crise alimentaire que subissent les peuples, consécutive à une
spéculation extravagante sur les cours du baril du pétrole brut, en témoigne. Russes, chinois, américains, et monarchies du Golfe ne sont-ils pas logés dorénavant à la même enseigne spéculative
?
En fait, il est apparu judicieux, après le contrôle des flux financiers et des pouvoirs politiques dans les pays de la périphérie, de
concevoir une instance judiciaire qui agirait comme le procureur protecteur des intérêts des nantis. La stratégie consiste alors à mettre en cause, à traquer, à juger, à condamner et à mettre
hors d’état de nuire, tous ceux qui au nom de quelconque nationalisme arrogant, seraient en mesure de menacer les pouvoirs fantoches imposés aux peuples. Ces pouvoirs à l’instar de celui de
Joseph Kabila, sont clairement et uniquement les gardiens des intérêts des grandes puissances. L’affaire Jean Pierre Bemba prend une signification encore plus choquante, lorsque l’on se penche
sur la situation politique interne du Congo démocratique.
L’arrivée de Joseph kabila au pouvoir s’est faite exactement selon le même schéma que celui de Mobutu un demi-siècle plus tôt, avec mort d’homme, et entente parfaite entre les intérêts américains
et européens, sous le regard complice des nations Unies. Si le crime de Jean Pierre Bemba est de constituer une menace ouverte contre le pouvoir de Kabila, celui de Lumumba fut exactement de la
même nature, c’est à dire l’opposition à un complot extérieur pour piller les richesses du pays, et maintenir l’ensemble de la Sous région dans le giron des colonialistes prétendument
libéraux.
Le dossier d’accusation retenu contre l’ancien Vice-Président congolais, tel que révélé à la presse, est d’une légèreté criarde qui
déshonore complètement les prétendus juristes du parquet de la Cour Pénale internationale.
En réalité, le dossier a été ouvert, lorsque les services spéciaux des grandes puissances à Kinshasa, ont rédigé des notes pour
révéler que la popularité de Bemba était trop grande, et son impact sur la population trop dangereuse. La réalité c’est encore que cet homme fut probablement le vrai vainqueur de la
présidentielle. La similitude avec le cas Taylor saute aussi aux yeux, dans la mesure où il apparaît dans les deux affaires, que c’est lorsque les grandes puissances perdent le contrôle sur un
individu et se retrouvent incapables de le manipuler, qu’ils le mettent en cause et le pourchassent par le truchement du Tribunal Pénal international.
Comment ne pas valider cette affirmation, lorsque l’on sait que près de trois cent citoyens du Congo Brazzaville ont été massacrés par le régime de Sassou Nguesso qui n’a jamais été inquiété à ce
sujet. Sassou, c’est le produit des pétroliers coloniaux. L’on n’a pas entendu un seul instant TPI évoquer le dossier du Beach, ni même s’intéresser à bien d’autres situations graves ayant
entraîné des pertes en vies humaines. Même seulement de banales enquêtes n’ont pas été initiées pour évaluer l’ampleur des pertes lors des soulèvements successifs en Guinée, au Cameroun et au
Burkina Faso.
Nous devons préciser utilement que les personnes de Bemba ou de Taylor, ne nous inspirent aucune sympathie et encore moins une
quelconque humanité. Ce sont dans tous les cas, des responsables politiques et des chefs de guerre avides de pouvoir qui à un moment donné de leur histoire propre et de l’histoire de leur pays,
ont engagé des hostilités pour s’imposer par tous les moyens. Il reste que le procédé utilisé par leur censeurs pour les écarter, ressemble de plus en plus à de la lâcheté et une certaine raison
du plus fort. En faisant une projection de l’évolution politique du Congo Démocratique, il est incontestable que le pouvoir de Kabila n’aurait jamais été stable avec Jean Pierre Bemba en
liberté.
C’est la même logique qui prévaut en réalité dans les poursuites contre Hissen Habré. Le pouvoir de Ndjamena dont la survie relève
d’un accord minimum entre Paris et Washington, n’est pas en sécurité tant qu’un passionné de guerre et de pouvoir comme ce Habré, n’est pas définitivement réduit au silence.
Mais comment donc poursuivre Habré sans poursuivre Déby qui fut son chef d’état major ? Comment s’acharner sur Bemba en oubliant
Bozizé qui faisait la même chose de l’autre côté et qui de toute évidence, a rompu le cycle démocratique en procédant à des tueries ? Comment en effet ignorer Patassé, le demandeur de
l’intervention de Bemba ? Ce tribunal n’est pas clair.
Le fait de positionner aujourd’hui le bouillant et très populaire Chef de parti congolais dans les longues procédures du TPI, envoie plusieurs messages à tous ceux qui ambitionnent de conquérir
le pouvoir en Afrique et ailleurs dans le monde. Le TPI est devenu l’arme sécrète des puissances impérialistes contre les leaders populistes. Mulosévic de Serbie est mort en prison pour s’être
opposé au conglomérat géostratégique occidental qui entendait continuer la guerre froide sous d’autres termes.
En somme, celui qui veut le pouvoir en Afrique aujourd’hui, subira soit le sort de Sankara, soit celui de Kabila, s’il refuse de composer avec les intérêts des grandes puissances tutélaires. Les
termes de colonisation, de néo colonialisme, de tutelle, que certains ont cru très vite devoir ranger dans les archives poussiéreuses de l’histoire, sont plus que jamais d’actualité. Le
renchérissement des prix des principales matières premières minérales, vient rappeler que la malédiction du continent africain pour son énorme potentiel, n’est pas prête de s’arrêter. Ce que fait
Lafarge dans le ciment, est exactement ce que font Total, Exxon et Shell dans le pétrole, le groupe CEFAO dans l’automobile, et Bolloré dans le transport maritime, les services, le courtage, et
ailleurs.
Tous les régimes en place en Afrique centrale sont dorénavant aux ordres de ces multinationales qui à défaut de liquider physiquement
les opposants, s’en remettent à la stratégie douce du Tribunal Pénal International qui ne manque pas de dossier, même vide. Il demeure que embastiller les leaders populistes à la hâte
aujourd’hui, c’est compter sans les implications des mutations technologiques immenses qui offrent des perspectives terrifiantes aux peuples en colère. Ces mutations ont changé de façon
irrémédiable et inattendue, les données de la guerre, voire de la plus petite des confrontations des intérêts./.
Par SHANDA TONME
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