parce qu’elle a apporté la pauvreté en Afrique: Avec le FMI, elle est contre le développement de l’Afrique.
(La Nouvelle Tribune (Bn) 19/08/2008)
Le Potentiel a saisi l’opportunité de la rencontre dernièrement
à Brazzaville des écrivains de la République démocratique du Congo et de la République du Congo pour s’entretenir avec le professeur Théophile Obenga...
(...) non seulement sur les liens entre les deux pays mais aussi
sur les questions d’actualité. Historien et héritier de Cheik Anta Diop, il aborde avec Le Potentiel le passé, le présent et l’avenir de l’Afrique. Cela après avoir encouragé la poursuite des
échanges culturels entre Congo-Kinshasa et Congo-Brazzaville. Ci-dessous, l’interview.
Vous êtes bien connu dans les milieux intellectuels africains en général et congolais en particulier. Nous venons d’assister aux rencontres entre les écrivains de
deux Congo. Quel est votre avis sur cet événement ?
Théophile
Obenga : C’est très bien de continuer les relations culturelles et intellectuelles entre les deux rives du fleuve Congo, entre Kinshasa et Brazzaville, entre le Congo démocratique et le
Congo-Brazzaville. Je crois que chaque génération a les mêmes ambitions. Vous savez que, pendant la colonisation, l’Afrique équatoriale française (AEF) avait une revue qui s’appelait Liaison. Et
le directeur général de cette revue à Brazzaville était Paul Lomami Tchibamba, un romancier du Congo-Kinshasa, avec son roman « Ngando ».
Moi, je me trouvais encore à Brazzaville au lycée Savorgnan De
Brazza. Ensuite, avec les indépendances, les cercles culturels de Poto-Poto, de Bacongo seront animés aussi par les autres amis de l’autre côté du fleuve. Nous nous appelions aussi « Bana Béa »
(Brazzaville). De l’autre côté, les habitants de Kinshasa s’appelaient « Bana Kin ». Il y avait des amitiés, des conflits, des jeux, etc. Et il faut dire que tous les grands musiciens de
Brazzaville, sans exception, ont été formés à Kinshasa. Jean-Serge Essous était même chef d’orchestre à l’OK Jazz. Il a dirigé ensuite les Bantous de la capitale. Donc, il y a toujours eu ces
liens-là. Il en est de même dans le domaine de football.
Celui qu’on a appelé Omela Trouet, grand footballeur de
Kinshasa, jouait ici à Brazzaville. Notre grand joueur Mambeke, Boucher de la plaine, dans le Bacongo, c’était Fumanchi, le professeur Masengo, etc. Il y avait tout le temps de l’amitié, des
rivalités, des ambitions communes partagées, jusqu’à nos jours. Ce que la génération actuelle fait n’est qu’une continuité. Moi-même, j’ai enseigné à l’Université de Lubumbashi. J’ai tenu
plusieurs conférences universitaires à Kinshasa, soit dans les salles de cinéma, soit dans les auditoires de l’Université de Kinshasa. Feu le cardinal de Kinshasa, Albert Joseph Malula assistait
à mes conférences. Donc, il y a toujours eu ces liens entre les deux capitales.
Vous ne parlez que des rapports culturels …
Théophile Obenga : Cela à tous les niveaux : commercial, culturel, intellectuel, religieux, spirituel (le Kimbanguisme a
commencé à Kinshasa et aujourd’hui, un grand mouvement existe ici à Brazzaville depuis longtemps. De tout temps, il y a eu, bien avant la colonisation, le pays Bateke à Brazzaville comme à
Kinshasa ainsi que des noms qui se ressemblaient. Lorsque Grand Kallé chantait Indépendance cha cha, c’était l’indépendance de toute l’Afrique centrale. On a fêté Lumumba autant à Brazzaville
qu’à Kinshasa. C’était un même pays, un même espoir. Je me rappelle que, quand j’étais ministre des Affaires étrangères, j’ai rencontré le roi des Belges à Bruxelles. Il m’avait dit que les
Brazzavillois avaient accueilli les Belges lors des troubles qui avaient émaillé l’indépendance. Je lui ai dit que c’est un même pays. Quand les Belges sont maltraités à Kinshasa, ils viennent à
Brazzaville. Et quand les Français le sont à Brazzaville, ils vont à Kinshasa. Quand il pleut à Kinshasa, il pleut à Brazzaville. C’est bien que les jeunes continuent cette tradition. Le fleuve,
en fait, ne sépare pas, mais il unit.
Vous passez au plan international comme l’héritier de Cheik Anta Diop. Aujourd’hui, avec tous vos travaux, avez-vous
l’impression que les hommes politiques ont pris conscience de l’unité de l’Afrique ?
Théophile Obenga : On croit que ceux qui
parlent de l’Union africaine, ce sont eux qui font son unité. Les chefs d’Etat, aujourd’hui, croient que l’Union africaine, c’est leur affaire. Tant mieux. Mais en fait, c’est depuis le 19ème
siècle qu’on parle de cette affaire-là. Marcus Garvey, un Jamaïcain, est le créateur du panafricanisme. Il y a les Blee Dem, Dubois et autres. C’est une longue tradition. Ils ont organisé le
congrès panafricain. Ensuite, il y a les Blaise N’Diaye, Kwame Nkrumah, avec les Jomo Kenyatta et Julius Nyerere, Kenneth Kaunda qui leur ont emboîté le pas. Puis, a suivi la génération de Cheick
Anta Diop jusqu’à Lumumba, Luis Cabral et Thomas Sankara.
Lumumba, présent au Sommet d’Accra, nous a ramené le
panafricanisme en Afrique centrale. De tout temps, ces idées de renaissance africaine, de panafricanisme, d’union africaine, de solidarité, de destin commun ont toujours drainé la politique
africaine. Parfois, très rapidement. Parfois, très lentement. Des fois, on fait semblant d’oublier. De toute façon, si nous lisons le monde aujourd’hui, la Chine a déjà plus d’un milliard
d’habitants. Un pays très puissant. D’ici 20 ou 30 ans, la Chine sera peut-être la première puissance du monde, au point de vue économique. Le Japon est une puissance. Il en est de même de
l’Inde. L’Europe va se construire avec l’union. Les Européens veulent même détacher les pays africains de la Méditerranée, en constituant l’Union méditerranéenne.
Les pays de l’Amérique latine tels que la Colombie avec Hugo
Chavez, l’Argentine, l’Uruguay, le Paraguay, le Brésil veulent faire leur marché commun, leur unité économique. Les Etats-Unis veulent faire un grand ensemble avec le Canada et le Mexique.
Pouvons-nous tenir devant ces nouvelles masses continentales, cette géopolitique de la nouvelle mondialisation ? Nous ne pouvons pas tenir dans l’isolement actuel. On crée la CEDEAO (Communauté
économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest), la CEMAC (Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale), la SADC (Communauté de développement de l’Afrique australe), tout ça va
passer.
Ce panafricanisme demeure-t-il un rêve ?
Théophile Obenga : Non. En tout cas, nous arriverons, au cours
du siècle, même à la fin de celui-ci, à l’unité continentale de l’Afrique. Et nous arriverons à l’Etat fédéral panafricain. C’est ça le destin africain. Et nous avons les ressources matérielles
pour le faire. Nous sommes le continent le plus riche de la terre. Nous avons des intelligences, une population, etc. Nous avons tous les moyens. Tenez ! Qu’est-ce qui se passe ? Tout le monde se
développe avec les richesses africaines, en l’occurrence l’Europe et les pays asiatiques. Tandis que les pays africains s’appauvrissent. Ce qui est paradoxal. Il faut développer l’Afrique. Et ce
faisant, développer l’Humanité. L’Afrique, on ne s’en rend pas compte, est une puissance.
Donnez-vous donc raison au président libyen, Mouammar Kadhafi, qui veut que soient créés les Etats-Unis d’Afrique ?
Théophile Obenga : Oui. Mais Kadhafi n’est pas
le premier. Nkrumah en avait parlé. L’Afrique doit s’unir. Le président Kadhafi pousse ce destin-là que nous soutenons. Mais il faut de la méthode. Faisons des Etats fédérés avec un gouvernement
fédéral qui aura des représentants ministres. En ce moment-là, nous pèserons en tant qu’Etat dans la communauté internationale. C’est ça la démarche. Il faut réaliser l’unité politique, d’abord.
C’est l’unité gouvernementale de gestion. Comment voulez-vous gérer s’il n’y a pas de gouvernement. Il faut d’abord faire un Etat politique. Et la politique commande l’économie. Il faut connaître
l’orientation, l’idéologie, les ambitions.
Qu’on ait avant tout le royaume politique et tout le reste
viendra après. Voilà pourquoi les ensembles économiques ne marchent pas. La CEMAC ne marche pas bien parce qu’il y a ce vide, parce qu’il n’y a pas de contenu politique, idéologique. On ne fait
la critique de personne. Mais, c’est de petits projets économiques de ceci ou cela. Mais quelle est l’ambition, la vision, l’idéologie politique ? Parle-t-on de la protection du peuple africain
au sein de la CEMAC, de la libre circulation ? Quels sont les droits des peuples de la CEMAC ? Comment favoriser leur bien-être ? C’est ça, d’abord. Ce n’est pas protéger ce qui est très
passager. Voilà pourquoi ça ne marche pas, on traîne sur les visas. Les Européens n’ont pas commencé par le contrôle des visas. Ils ont débuté par réaliser l’Union européenne où l’on compte
aujourd’hui 27 pays membres. La CEMAC n’a pas l’idéologie de l’Unité africaine. Voilà pourquoi ça marche très lentement.
On se rend compte que la présence française en Afrique centrale handicape le processus de formation des Etats-Unis d’Afrique ?
Théophile
Obenga : Les intérêts français, européens ou américains profitent de la faiblesse politique du vide politique, du leadership. Chacun sauve ses intérêts. Nous sommes dans un monde des
loups. La mondialisation, c’est quoi ? C’est la lutte des intérêts au niveau planétaire. Alors, chacun défend ses intérêts. Si j’étais Français, j’allais défendre les intérêts de mon pays en
Afrique. A qui la faute, si les Africains ne défendent pas leurs intérêts ? Aujourd’hui, les Chinois ne viennent pas en Afrique parce qu’ils aiment ce continent mais pour leurs
intérêts.
C’est pour se développer qu’ils viennent chercher le pétrole,
l’uranium, l’or …. C’est normal. L’Inde, le Japon, la Russie, les pays européens feront la même chose. Il faut que l’Afrique apprenne à défendre ses intérêts. Et du coup, à coopérer, à dialoguer
avec les autres. Mais nous coopérons, nous dialoguons sans défendre nos intérêts. C’est-à-dire que le patriotisme africain fait défaut, en quelque sorte. Ce patriotisme dont faisaient preuve les
Lumumba. Ils n’avaient pas parlé d’économie et des trucs. Mais, d’abord, de la dignité africaine, du respect africain, des intérêts africains à sauvegarder. C’est ça qui va nous mobiliser pour
bâtir le pays. Et construire le pays pour défendre ses intérêts va nous faire respecter des autres. Quand ceux-ci nous respectent, on peut alors dialoguer librement et à égalité. Comme le déclare
la Déclaration universelle des droits de l’Homme, tous les hommes sont libres et égaux.
Nous croyons toujours que nous sommes inférieurs par rapport à l’homme blanc. Les Belges, qui connaissent la pagaille entre Flamands et Wallons, veulent avoir un regard moral sur les affaires du
Congo démocratique. Mais de quel droit ? Les Africains ont-ils un droit de regard sur les affaires de la Belgique, de la France, du Portugal ou de l’Espagne ? Ils arrêtent les gens comme ils
veulent.
Nous n’avons
jamais traduit en justice, à la Cour pénale internationale de La Haye, le Belge qui a assassiné Lumumba. Il en est de même du Portugais qui a tué Cabral et des assassins de Samora Machel,
Boganda, Sankara. Et la communauté internationale, formée de quatre pays (Les Etats-Unis, la France, la Grande-Bretagne et l’Allemagne) régente tout. Mais c’est de la
fiction.
Que doit pour cela faire l’Afrique ?
Théophile Obenga : Il faut que l’Afrique défende ses intérêts. Le jour que cela deviendra réalité, ils
viendront se mettre à genoux pour renégocier les contrats, les affaires. Quand nous dirons que le diamant de Mbuji-Mayi nous appartient et que nous le vendons à qui nous voulons, et qu’Anvers
n’est pas la capitale du diamant, et que c’est nous qui sommes la capitale du diamant.
En ce moment-là, ils vont nous respecter. Ils viendront pour la
réconciliation, nouer des amitiés. Parce que dans le sous-sol européen, il n’y a rien. Donc, ils auront toujours besoin de nous. On ne leur doit rien du tout. Il y a des choses que je n’ose pas
dire. La Banque mondiale, par exemple, c’est l’institution la plus corrompue de la terre. Elle a donné de l’argent au président Mobutu en sachant l’usage qu’il faisait de cet argent. Mobutu mort,
il devient dictateur. Et le peuple congolais doit payer cet argent.
En dehors de puissances néo-coloniales, les institutions de Bretton Woods ne poursuivent-elles pas la
néo-colonisation ?
Théophile Obenga : Nous respectons les institutions internationales telles que la Banque mondiale et le
Fonds monétaire international. Ces institutions ont-elles été créées pour résoudre la misère africaine ? Est-ce que la philosophie des institutions de Bretton Woods vise le soulagement de la
misère africaine ? Elles n’ont pas été créées pour cela. Les Etats-Unis, aujourd’hui, ont un budget déficitaire. Pourquoi ils ne s’endettent pas auprès de la Banque mondiale, qui est à 5 minutes
de la Maison Blanche. Mais les Etats-Unis se sont tournés vers la Chine pour s’endetter. Pourquoi la France déficitaire dirige le Fonds monétaire international pour ne pas s’endetter auprès de la
Banque mondiale. Elle aussi est allée frapper à la porte des Chinois.
Et ils nous
demandent de nous rabattre à la Banque mondiale. Ces institutions respectables n’ont pas été créées pour nous. Nous devons simplement quitter la Banque mondiale parce qu’elle a apporté la
pauvreté en Afrique. Elle a élaboré, soi-disant, des programmes d’ajustement structurel. Le Ghana était le meilleur exemple. Mais il est dans la misère absolue aujourd’hui. Ces institutions
favorisent la culture de rente de coton au Mali. Elles sont contre les cultures vivrières. Si nous avons la crise alimentaire, c’est à cause de la Banque mondiale. Avec le FMI, elle est contre le
développement de l’Afrique. Il n’y a que celle-ci à ne pas le comprendre. Quel pays ont-elles développé dans le monde ? Ont-elles développé le Bangladesh ? Même le Maroc qui a quitté ces
institutions n’en
est pas mort. Elles n’ont développé aucun pays dans le monde avec des conseils, des subventions.
Les dettes contractées auprès de la Banque mondiale ne sont pas justes. Car l’argent qu’elles donnent à un chef de l’Etat africain va dans les poches des dirigeants en place. Et les experts de
ces institutions, les plus corrompus de la terre, le savent. L’ancien directeur du Fonds monétaire international, Paul Wolfowitz, payait sa maîtresse comme salariée de la Banque mondiale. Est-ce
que les Africains font cela ?
Les Africains sont-ils si naïfs, qu’ils acceptent n’importe quoi ?
Théophile Obenga : Oui. Nous sommes des naïfs.
Le cas de Wolfowitz est là. Les gouvernements français, belge, britannique … sont les plus corrompus. Ils sont dans la magouille. Les Italiens, n’en parlons pas. Ils achètent même des matches de
football. Vous avez déjà vu un président africain acheter à l’avance les matches de football ? La Juventus a été punie pour cela. Mais qui a acheté ce match ? C’est le premier ministre de
l’époque, Berlusconi, qui est revenu au pouvoir. Comme les africains sont naïfs, ils laissent faire. Pourtant, ils ont des experts en économie. La Chine s’est développée sans coopération.
L’Europe également. La France s’est développée en coopérant avec qui ? Des experts anglais ? Les capitaux anglais ont-ils développé la France ? Les experts hollandais ont-ils coopéré avec leurs
homologues belges pour développer la Belgique ? Est-ce que ce sont les Italiens qui développent l’Espagne ? Pourquoi les Africains acceptent-ils cette fameuse coopération ?
Il est temps que l’Africain libère un peu son imaginaire parce qu’il pense toujours qu’étant Noir, il est inférieur à l’homme blanc, il est sous-développé. Il faut que le développement vienne de
l’Europe …
Théophile Obenga : Vous avez touché le problème
essentiel. C’est-à-dire l’homme pris dans son état primitif dans la philosophie bantoue du père Tempels. Et tout ça, c’est l’art sauvage, primitif. On lui inculque le sentiment d’infériorité.
Donc, on cultive chez moi la peur de ma culture et de moi-même, l’adoration du modèle européen occidental. Dans ce complexe qu’on développe exprès, on ne peut rien faire. On ne prend pas son
destin en main. Il faut nous décomplexer mentalement. Après, on peut chercher les voies et moyens, avec la coopération que nous choisirons librement. On n’est pas contre la coopération, mais
qu’on ne nous impose rien du tout.
On est assez grand pour décider nous-mêmes de notre destin. Les
Occidentaux ont créé, notamment, la Banque mondiale et le FMI pour nous emprisonner. Parce que si l’Afrique se développe, l’Europe va changer car elle n’a rien. Tout le monde est
en République démocratique du Congo, y compris les Chinois. Ils ont pris d’assaut la province du Katanga, se ruant vers le cobalt. Heureusement que le gouverneur de cette province a doublé le
prix. Il devait même tripler, voire quadrupler. Les chinois vous envoient de la pacotille, avec des serrures qui ne tiennent pas. On nous envoie des assiettes pourries, des carreaux qui ne
tiennent pas … et on les accepte.
A supposer que le Nigeria, la République démocratique du Congo, l’Afrique du
Sud soient éveillés, debout, ces pays n’accepteraient pas n’importe quoi. C’est pour cette raison que je soutiens le président Mugabe. Je n’ai jamais toléré que les européens critiquent un chef
d’Etat africain. Nous devons régler nos problèmes nous-mêmes. Ils n’ont de leçons à donner à personne. Ils ne font pas mieux que nous. Ce sont des corrompus et des violateurs de la loi,
quotidiennement. Voyez comment ils traitent les Noirs qui vivent en Europe, les immigrés, les Sans papiers. Quand les Blancs critiquent Mugabe, c’est qu’il est bon. Le fait de reprendre les
terres pour les rentabiliser est bon. Ce sont des terres à nous. Les autres n’ont qu’à aller chez eux.
Vous avez fait appel à la jeunesse africaine. La recherche scientifique
serait-elle une utopie ?
Théophile Obenga : En Afrique subsaharienne, le nombre des jeunes dans la tranche d’âge de 15 à 35 ans est de 400 millions. Ils sont en chômage. Ils ne vont pas à l’école, parce qu’il n’y en a
pas. Ceux qui sont près des Canaries préfèrent se faire bouffer par l’Océan. Et la police aérienne et navale espagnole leur tire dessus à bout portant. C’est un crime. Et la Cour pénale de La
Haye ne dit rien. On dit qu’ils sont des naufragés sans nous montrer les cadavres parce qu’ils sont criblés de balles.
Ils montrent les soi-disant rescapés. Un crime dont l’Union
africaine ne parle pas. En outre, on va vers le Yémen, chez les Asiatiques qui sont aussi racistes. Donc, cette jeunesse-là, qui va diriger l’Afrique demain, doit bénéficier d’une éducation. Il
faut lui assurer le travail. Voilà pourquoi je propose qu’on conçoive une université africaine à notre manière. Au 21ème siècle. Si nous voulons, comme le dit Thabo Mbeki, que le 21ème siècle
soit celui de l’Afrique, de la renaissance africaine, je pense que cela doit fondamentalement commencer par l’éducation. Eduquer la jeunesse, la doter d’outils modernes. Sinon, elle ne saura pas
diriger l’Afrique.
Elle ne pourra pas non plus participer à la gouvernance du
monde, aux organismes qui dirigent le monde. Parce qu’elle n’aura pas été préparée. Que fait aujourd’hui les jeunes américains entre 15 et 35 ans ? Ils sont tous à l’université. Il en est de même
des jeunes européens. Et c’est des millions qui font le bac. Les Indiens font eux-mêmes leur bombe atomique. Ils n’ont pas besoin d’experts américains ou européens. La jeunesse chinoise prépare
l’avenir de la Chine.
Il me semble que vous évitez, par pudeur, de citer nommément des hommes politiques
au pouvoir sur qui pèse la responsabilité de cette débâcle...
Théophile Obenga : Tout est politique. Le
pouvoir politique sert à quoi ? Le pouvoir sert à protéger le peuple. Exemple : on sort de la deuxième guerre mondiale, en France, c’est la catastrophe. De Gaule arrive au pouvoir. Il a le
pouvoir d’Etat. Il crée la 5ème République avec une nouvelle Constitution pour régulariser le jeu politique. Après le bombardement d’Hiroshima et de Nagasaki, De Gaule a dit que le monde a
changé. Il a créé la puissance nucléaire française dissuasive, en commençant par des essais nucléaires au Sahara, puis plus tard, dans les Polynésies. Il a créé une école nationale
d’administration (ENA) pour que les Français puissent utiliser leur intelligence à la gestion du patrimoine national. Les anciens de cette école ont dans tous les domaines de la vie nationale
française. La France est dirigée par les Enarques.
Mais pourquoi les hommes d’affaires, les hommes politiques africains ne se décident-ils pas de faire changer les choses ?
Théophile Obenga : On ne fait pas la politique
sans idéologie. On est fils de paysans, parents pauvres. Brusquement, on accède au Trésor public. Il faut payer décemment les fonctionnaires, les agents de l’Etat, les ministres, les députés, les
sénateurs pour les mettre à l’aise. Il faut affecter d’autres sommes d’argent aux autres secteurs de la vie nationale. Il faut amener chaque individu, homme et femme, à libérer son humanité, son
intelligence. Avez-vous déjà entendu parler du développement de la Belgique, de la France, des Etats-Unis ? Non. C’est plutôt de la civilisation. Mais, en Afrique, on nous parle du développement,
du sous-développement, du développement durable qui sont des vocables sans aucun sens. Les autres profitent de notre ignorance pour nous exploiter.
En bref, nous devons bâtir la civilisation africaine moderne, là
où chacun d’entre nous peut exprimer, selon ses talents, son génie créateur. C’est ça le bien-être. Ce n’est pas faire des routes, construire des hôpitaux. Ces infrastructures servent à créer une
civilisation. Et les autres disent que nous sommes indignes de civilisation mais que nous sommes bons pour le développement. Mais …
Etes-vous hanté par le pessimisme ?
Théophile Obenga : Je suis très optimiste parce
que l’Afrique est le berceau de l’Humanité. Nous sommes les premiers êtres dans cette Humanité. Les premiers hommes à faire l’amour sur cette terre sont les Africains. Ils sont aussi les premiers
à voir quelqu’un naître, un homme mourir. Les premiers à voir la nature, à s’interroger sur celle-ci, sur le destin de l’Homme et sur le sens même de la vie. Ce sont les africains qui ont
philosophé d’abord, ont organisé la société jusqu’au stade de l’Homo Sapiens. Nous ne sommes pas en dehors de l’Histoire. Maintenant que les choses évoluent, l’Homme s’adapte à son environnement.
Il peut changer de peau, de couleur des yeux. L’Humanité ne peut pas se faire sans les Africains et l’Afrique. Nous avons été esclaves, colonisés, nous sommes encore là. Nous pouvons encore
régénérer le bonheur de l’Humanité.
Le Potentiel (R.D. Congo), Edition 4377 du Lundi 07 Juillet
2008
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