03 Octobre 2009
Par Blandine
Flipo Mediapart
Le 15 septembre dernier, à l’occasion de la journée internationale de la démocratie, s’est
tenue au Botswana une conférence parlementaire sur la démocratie en Afrique. Le choix de fêter cette journée dans ce petit pays d’Afrique australe n’était pas anodin. Le Botswana est souvent cité
en exemple pour son respect des institutions sur le continent. Il n’est pas le seul: le Bénin, et le Ghana, qui a récemment permis une alternance sans heurts (voir l’article que Mediapart lui avait consacré), font eux aussi honneur aux principes démocratiques.
Cependant, les parlementaires africains en visite au Botswana avaient sans
doute autre chose à faire que de s’en féliciter. Les événements en Guinée-Conakry survenus peu de temps après cette rencontre, les élections contestées au Gabon, le référendum abusif auquel s’est
livré le président nigérien Mamadou Tandja en août dernier ou le coup d’Etat en Mauritanie sont dans toutes les têtes. La démocratie, clairement, est malmenée sur le
continent.
En effet, si on fait le bilan, il n’y a pas de quoi se réjouir. La dérive
autoritaire semble toucher de nombreux pays, tout comme la tendance à la préservation du pouvoir autour d’un homme ou de sa famille. En Afrique de l’Ouest d’abord: si le Sénégal semble résister
tant bien que mal aux tentatives multiples de la part du président Abdoulaye Wade pour se maintenir – lui ou sa progéniture – au pouvoir, le président Mamadou Tandja a de son côté obtenu un
référendum lui permettant de s’asseoir sur la Constitution au Niger. Sans que la communauté internationale ne s’en offusque.
La Guinée-Bissau, fidèle à ses habitudes, a connu un coup d’Etat cette
année (le président Nino Viera a tout simplement été assassiné), tout comme la Mauritanie, qui a renversé son président élu. En Guinée-Conakry, la mort du dictateur Lansana Conté n’a pas chassé
les militaires du pouvoir. La sanglante répression du 28 septembre est là pour le rappeler. Les militaires sont également bien représentés aux côtés de Blaise Compaoré au Burkina-Faso, qui jouit
cependant d’une relative liberté de presse.
Toujours en Afrique de l’Ouest, la Côte d’Ivoire, censée organiser des
élections en novembre, est toujours au point mort. Le Nigeria fait face à une démocratie clientéliste complètement dévoyée. Il reste néanmoins quelques ilôts de résistance de la démocratie, comme
le Bénin, le Ghana et le Mali. Encore que du côté du Mali, quelques dérives quant aux droits de l’homme, sous couvert de lutte contre le terrorisme (Al-Qaida a resserré ses bases sur la
bande sahélienne), inquiètent un peu.
L’Afrique centrale ne peut s’enorgueillir d’être l’exemple même de la
démocratie elle non plus. Malgré les millions de dollars reçus pour la “bonne gouvernance”, la République démocratique du Congo peine à sortir de l’ornière de la violence. Le
Congo-Brazzaville dirigé par Denis Sassou-Nguesso, ainsi que la Guinée-Equatoriale d’Obiang Nguema, donnent dans les élections contestables depuis des décennies, sans que personne ne trouve à
redire. Le constat est à peu près le même concernant le Togo du fils Eyadema et le Cameroun du très contesté Paul Biya. Corruption, manipulations électorales… le constat est sans
appel.
La malédiction de l'“homme
africain”
Du côté de l'Afrique de l’Est, ce n'est pas mieux. Le Kenya, jadis montré en exemple, a connu une alternance très violente l’année passée. Le Burundi s’apprête à se
rendre aux urnes l’année prochaine dans un climat électrique. Le Rwanda, plus calme, est tenu d’une main de fer par Paul Kagame dans un style très militaire. La Tanzanie et l’Ouganda se débattent
dans la corruption généralisée. Dans la corne de l’Afrique, les dictateurs font la loi, sauf en Somalie, où règne uniquement le chaos.
Un tour d’horizon vers l’Afrique australe redonne un peu espoir avec le
Botswana ou, dans une certaine mesure, l’Afrique du Sud. Mais ce serait oublier le Zimbabwe. Dans ce pays semblent perdurer les habitudes du continent, à savoir le maintien au pouvoir grâce à
l’absorption des opposants. Enfin, on ne saurait terminer ce tour d'horizon sans évoquer l’Afrique du Nord, où la démocratie relève largement du fantasme.
Comment expliquer ces écueils démocratiques sur le continent africain ? Pour
répondre à cette question, il faut d’abord se débarrasser des explications commodes, voire simplistes, par exemple en se contentant de souligner une certaine “réalité africaine”,
ethnique, insoluble avec le principe démocratique synonyme de modernité. Le discours de Dakar, prononcé par le président Nicolas Sarkozy, est issu en droite ligne de cette pensée: l’homme
africain, ayant des difficultés à “entrer dans l’Histoire”, est par essence encore trop anti-moderne (sic). Trop ethnique, trop traditionnelle, l’Afrique est condamnée à rater
son rendez-vous avec la démocratie. Un raisonnement complètement faux.
«Il n'y a évidemment aucune incompatibilité génétique entre le
continent africain et la démocratie», répond René Otayek, directeur du Centre d’études d’Afrique noire (CEAN) à Bordeaux, référence en matière de recherche sur le domaine en France. Il tient
particulièrement à défaire quelques petits a priori bien ancrés, et l’un de ses préférés est la fameuse non-modernité de l’Afrique. «Si on fait le panorama de la démocratie dans le monde, il
existe deux régions du monde qui accusent un “retard”, c’est l’Afrique et, encore plus, le monde arabe, commence-t-il, avant d’ajouter: ce n’est pas en raison de l’absence de
modernité dans les sociétés africaines, mais bien par cette modernité que s’explique ce déficit démocratique.»
En effet, d’un point de vue historique, les Etats-nations en Afrique sont
extrêmement jeunes, et portent en eux un lourd passif autoritariste. Les sociétés africaines anciennes étaient fondées sur la domination d’un groupe, rappelle René Otayek. Ensuite, l’Etat
colonial s’est résumé moins à un pouvoir politique organisé qu’à la manifestation administrative d’une autre domination. La vague de démocratisation de la fin des années 90 n’a pas eu raison de
l’âpre combat pour le pouvoir que se livrent les élites africaines depuis les indépendances. Une construction éminemment moderne, dans laquelle s’inscrit la question de l’ethnicité, considérée, à
tort, comme expliquant les difficultés de la démocratie.
La démocratie, un sport de
combat
«L’Afrique n’a pas le monopole des revendications identitaires», considère René Otayek, rappelant au passage que les ethnies étaient largement des
«constructions coloniales» prévues pour mieux identifier les groupes. A cet égard, les guerres ethniques à l'africaine ne sauraient se différencier de ce qui s’est passé dans les Balkans
dans les années 90 également en Europe. Largement manipulée politiquement, l’ethnicité, «n’est en aucun cas un obstacle à la démocratie», dit le directeur du CEAN. Lequel s’insurge
contre certains intellectuels, occidentaux ou africains, qui s’en servent pour justifier le déficit démocratique de l'Afrique. Un raisonnement d’autant plus absurde, selon lui, que «la
plupart des Etats africains n’ont pas connu de problèmes ethniques ! Alors que des dérives autoritaires, si...».
En réalité, la plus simple explication du déficit démocratique en Afrique
pourrait se trouver dans ce qui constitue la démocratie elle-même. Etymologiquement, la démocratie signifie l’exercice de la souveraineté par le peuple. Cette souveraineté, si elle n’est pas
directe, est synonyme de combat pour l’obtenir. Or ce combat n’a jamais été aussi fort sur le continent noir.
«Ce qu’on appelle la société civile, considérée par les différentes ONG
comme garante de la démocratie, ne représente pas grand-chose, analyse René Otayek. Mais les remises en cause des pouvoirs, que ce soit via la presse, l’opposition, les syndicats, n’ont de cesse
de se multiplier.» Au Mali, au Sénégal, les gens n’ont pas hésité à s’en prendre à l’Etat lors des émeutes de la faim en 2008. Ali Bongo s’est largement fait chahuter au Gabon, pour avoir bourré
les urnes. Les différents peuples africains, s’ils tolèrent leurs “chefs”, ne leur donnent plus carte blanche. Les combats indépendantistes des années 90 ont laissé leur place aux revendications
directes envers l’Etat.
A cet égard, ce qui s’est passé le 28 septembre dernier en Guinée est tout
à fait révélateur de ce que vit, d’un point de vue politique, l’Afrique contemporaine. Dans un article daté du 29 septembre, le journal burkinabé Le Pays en fait une excellente synthèse. Avec ce carnage, le président Dadis Camara, au pouvoir depuis à
peine un an, annonce clairement la couleur: comme ses prédécesseurs, il entend conserver le pouvoir sans partage. En manifestant leur désaccord, et en bravant les militaires, les opposants ont
également signifié au Président que l’avenir politique du pays, et par là-même le sien, ne se fera pas sans les Guinéens. «Une nouvelle ère commence en Guinée», écrit Le Pays.
Une nouvelle ère certes, loin des guerres de pouvoir des années 80/90, mais qui, hélas, s’écrit elle aussi dans le sang.