vendredi 6 novembre 2009
Brice R Mbodiam
La lecture du rapport rendu public en fin de semaine dernière sur le site de la
Banque des Etats d'Afrique centrale (BEAC) est simplement nauséabonde, de même qu'elle inspire de la pitié.
Pitié pour l'ensemble d'une zone CEMAC réputée pauvre malgré les richesses qui sont les siennes, mais dont la voracité de certains de ses enfants pourtant grassement payés par les contribuables
des six Etats de la CEMAC les a conduits à taper dans la caisse de la banque centrale. Donnant ainsi à une institution qui n'inspirait jusqu'ici que respect, l'image d'un repaire de bandits,
lesquels peuvent être désormais assimilés, sans exagération aucune, aux coupeurs de routes du Nord Cameroun ou encore aux rebelles qui violent femmes et enfants sur la route de la
Centrafrique.
Le rapport de la Banque centrale inspire également de la pitié, il a fallu que
le FMI frappe du poing sur la table pour que les tripatouillages au bureau extérieur de la BEAC soient rendus publics. Une fois de plus, l'on est là dans la situation de l'esclave dont le destin
dépend du bon vouloir du maître. Alors que pour éviter ce statut d'assujetti, mais surtout dans un souci de transparence, une communication de crise aurait pu être organisée autour de ce scandale
dès les premières révélations de la presse, pour éviter que les employés de la tour de verre du quartier Elig-Essono qui abrite le siège de la BEAC perdent de leur superbe.
Mais en lieu et place des explications dues à tous les citoyens de la CEMAC dont l'argent des impôts a été détourné, on a eu droit à un One Man Show du gouverneur, qui à travers une sortie
médiatique dans le quotidien gouvernemental a plutôt revêtu le manteau non seulement de donneur de leçon à une presse avide de sensationnel, mais aussi de défenseur de la Gabonité, puisque nombre
de ses compatriotes étaient au banc des accusés dans ce scandale.
De ce point de vue, Ali BONGO, qui a décidé de rappeler son compatriote à Libreville pour son remplacement futur, est certainement meilleur défenseur de la Gabonité que Philibert ANDZEMBE. Car,
sa décision de couper les têtes de tous les Gabonais impliqués dans le scandale du Bep (Bureau Extérieur de Paris) sauve quelque peu la réputation du Gabon, dont les ressortissants au sein de la
banque centrale passent désormais pour être des adeptes de Al Capone.
Mais par dessus tout, la réaction du président Gabonais doit être considérée non pas comme la gesticulation d'un mal élu qui cherche des excipients pour se faire accepter, comme le pense une
certaine opinion ; mais plutôt comme une rupture avec ces égoïsmes nationaux qui, jusqu'ici, prenaient toujours le pas sur la compétence, l'efficience, voire la simple morale au sein des
institutions communautaires.
Vu sous cet angle, le tocsin sonné par Ali Ben BONGO se veut interpellateur à
l'endroit des autres chefs d'Etat de la CEMAC : Paul BIYA, Idriss DÉDY, François BOZIZÉ, Denis SASSOU NGUESSO… doivent chacun couper les têtes de leurs compatriotes qui ont trempé dans cette
combine ; laquelle, entre 2004 et 2008, a fait perdre à la banque centrale 16 milliards de Fcfa.
Que pour l'histoire, tous les acteurs et complices, actifs ou passifs, payent le
prix de cette dérive qui entachera à jamais les annales de la BEAC. C'est la raison pour laquelle l'on peut s'étonner que plusieurs mois après l'éclatement du scandale du Bep (Bureau Extérieur de
Paris), un seul acteur (Armand Brice NDZAMBA), fut-il le principal accusé, soit derrière les barreaux. Et que les autres soient toujours libres de leurs mouvements.
L’Enquête de Félix C. EBOLÉ BOLA: Les détourneurs au rapport
La Banque centrale, sous la pression du FMI (Fonds Monétaire International), vient de livrer des conclusions "non exhaustives" sur les malversations au Bep (Bureau Extérieur de Paris). Les lignes
qui suivent en constituent l'économie. En son temps, Philibert ANDZEMBE était resté dans les généralités, bien que disposant déjà de données accablantes et de première main.
Le gouverneur - "rappelé" par son pays, le Gabon - de la Banque des Etats de l'Afrique centrale (BEAC), dans son interview à Cameroon Tribune et que certains cadres de la maison continuent de
considérer comme "un gros ratage communicationnel", avait même redressé l'échine, traitant d'"écume de surface" et de "recherche de sensationnel" les révélations des médias sur le vaste scandale
financier touchant le Bureau extérieur de son institution à Paris (Bep).
Entre-temps, le Fonds monétaire international (FMI) est passé par là, obligeant l'auguste banque centrale à publier les résultats des enquêtes menées notamment par le cabinet Mazars et Théodore
DABANGA, directeur général du contrôle général.
C'est désormais chose faite depuis vendredi dernier. Ainsi contrainte et forcée
par le FMI, la banque des banques étale au grand jour les tripatouillages financiers de quelques cadres, le laxisme de ses dirigeants, et, surtout, la gigantesque machine à sous qu'elle était
devenue au fil des ans et dont le jackpot engraissait des particuliers.
Les conclusions des enquêtes menées auprès de BNP Paribas et de la Société
générale, ne sont "pas exhaustives" et ne peuvent, de ce fait, pas encore traduire l'ampleur des détournements.
A fonds perdus le mode opératoire allait de l'imitation des signatures des personnes habilitées aux doubles paiements (touchant les mises à disposition initiées par les agents de la Banque, aux
règlements des frais liés aux évacuations sanitaires en passant par des détournements des chèques établis à l'ordre du Trésor public et des organismes en charge des retraites (Union de
recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales, sans oublier des détournements de chéquiers et leur usage frauduleux, la falsification des relevés bancaires et le
"maquillage" des écritures comptables.
Théodore DABANGA, qui s'est penché
sur ce tonneau des Danaïdes, enfonce le clou : "Manifestement, la BEAC est encore très loin des standards internationaux en matière de contrôle et il devient urgent et prioritaire d'engager la
réforme du dispositif de contrôle au sein de la Banque."
Le Bureau Extérieur de Paris (Bep) a reçu, de janvier 2004 à mars 2009, des
approvisionnements de l'ordre de 36,174 milliards de Fcfa avec un pic en juillet 2007, où il a fait des demandes de renflouement de l'ordre de 1,4 milliard de francs. Des appels de fonds jugés
"démesurés par rapport aux besoins réels". Et, au stade actuel des investigations, le montant total des détournements, établis avec certitude, opérés au moyen de chèques, virements, retraits en
espèces et titres de transport, s'élève à 16.548.969.100 francs.
L'enquête pointe, pendant la période étudiée, "858 chèques et 6 virements
frauduleux au profit de 101 bénéficiaires, 1306 retraits en espèces frauduleux et 38 bénéficiaires de titres de transport aériens frauduleux".
Le montant estimé du préjudice de la BEAC s'élève à 18,5 milliards de francs
(total des suspens au niveau du Bureau Extérieur de Paris, et, selon les premières investigations sur la base des justificatifs partiellement fournis par BNP Paribas et la Société générale, les
détournements avérés se situent à 16,5 milliards de Fcfa (hormis les chèques suspects dont les images sont attendues).
La première banque citée a ainsi vu 2,377 milliards de Fcfa de dépôts se
volatiliser en 2008.
La deuxième, entre 2004 et 2007, a enregistré des opérations frauduleuses de l'ordre de 4,178 milliards Fcfa.Cet envoi massif de fonds, sans rapport avec ses besoins réels et sans contrôle de
leurs utilisations, aura suscité un tel appétit que les pilleurs du Bureau Extérieur de Paris "s'en sont donné à cœur joie".
Les responsabilités du Bureau Extérieur de Paris sont donc établies de manière
irréfutable, mais les services concernés du siège (secrétariat général et direction de la comptabilité) de Yaoundé assument aussi une part de responsabilité sur ces graves manquements, les
fraudes n'ayant été rendues possibles que "grâce aux approvisionnements inconsidérés et sans restriction effectués par le siège en faveur du Bureau Extérieur de Paris".
"La mission, peut-on lire dans le rapport, a investigué uniquement sur les
suspens ou les écarts sur les rapprochements bancaires. Cependant, il y a lieu de relever que certaines opérations qui n'apparaissent pas en suspens de rapprochement parce qu'enregistrées aussi
bien par les banques commerciales que par la BEAC peuvent se révéler frauduleuses. La mission n'a pas eu le temps matériel de revoir toutes les pièces comptabilisées pour en apprécier la
moralité."
En tout, ce sont 101 personnes
(personnes physiques, entreprises diverses) qui sont bénéficiaires des chèques et virements frauduleux. Tout au long de leurs acrobaties financières et comptables, les responsables du Bureau
Extérieur de Paris auront fait preuve d'une "volonté manifeste de dissimuler ces opérations en retardant leur comptabilisation dans les livres (…) pendant des mois, voire des
années.
Certaines opérations d'approvisionnement étaient supprimées sur les faux relevés
bancaires afin de ne pas susciter la curiosité des responsables, de présenter une situation du compte qui dégage toujours un besoin de trésorerie et justifier ainsi les demandes
d'approvisionnement inconsidérées qui étaient faites".
Voracité sans contrôle Tout en haut de l'affiche des personnes indexées, l'on
retrouve le Gabonais Armand NDZAMBA. Cet homme aujourd'hui derrière les barreaux et ses sociétés connues auront, en l'état actuel des investigations, bénéficié de 317 chèques frauduleux
directement émis à leur profit.
Entre 2004 et 2008, son épouse et
lui, mais aussi ses sociétés, ont été recensés pour un montant de 4,096 milliards de Fcfa. Et comme si cela ne suffisait pas, "en plus des chèques frauduleux, des chèques émis régulièrement en
faveur des organismes de prestations sociales et du Trésor Public français ont été détournés pour le compte des sociétés lui appartenant".
Pour les enquêteurs, aucun doute ne subsiste sur le fait que les opérations
d'approvisionnement de fonds par le siège en faveur du Bureau Extérieur de Paris étaient très mal suivies, aussi bien par les services centraux que par le Bureau Extérieur de Paris
lui-même.
Le siège de la BEAC approvisionnait le compte de son agence
Parisienne auprès de la Société Générale et de la BNP Paribas, "sans se soucier des utilisations qui en étaient faites". De même, les fax ou les télécopies des demandes d'approvisionnement, "sans
que cela ne suscite la moindre réaction du siège", n'avaient pas les signatures autorisées. Philibert ANDZEMBE, qui relevait dans Cameroon Tribune que "seuls des représentants d'un État sont
indexés", pensant sans doute à des ressortissants de son pays, devra certainement relire ses manuels de patriotisme… Il y a bien plus.
Sans vouloir accabler un homme qui a certainement hérité d'une situation
compromise, l'on pourrait se demander comment le spécialiste de la haute finance qu'il est, parvenu à la tête du gouvernorat en juillet 2007 a-t-il pu, dès la fin de la même année, fait procéder
à la clôture du compte du Bureau Extérieur de Paris auprès de la Société Générale sans en avoir fait auditer les mouvements.
Cette question, et bien d'autres encore de la même veine, devraient constituer
le plat de résistance de la réunion des chefs d'Etat de la Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale (CEMAC), prévue ce mois en Centrafrique