07/12/2009 à 15h34 Libération
Le capitaine putschiste est toujours soigné au Maroc après la tentative d'assassinat dont il a été victime jeudi. En dépit des
déclarations rassurantes, on ne sait toujours pas si Moussa Dadis Camara pourra retrouver sa place à la tête de la junte militaire.
L'incertitude règne en Guinée,
quatre jours après la tentative d'assassinat sur Moussa Dadis Camara, le chef de la junte au pouvoir. Blessé à la tête par son aide de camp Aboubacar Sidiki Diakité, dit Toumba - en fuite depuis - «Dadis» est actuellement hospitalisé au Maroc. Son état
de santé fait toujours l'objet de nombreuses interrogations.
Alexandre Cécé Loua, le
ministre guinéen des Affaires étrangères, a affirmé sur RFI que le président autoproclamé de la Guinée était «hors de danger». Il
«reconnaît son entourage» mais «ne peut pas encore communiquer», «sur les conseils des
médecins». Auparavant, il avait précisé que Moussa Dadis Camara avait «subi une intervention
chirurgicale d'un traumatisme crânien et les suites opératoires sont très favorables, son état n'inspire pas d'inquiétude».
Pourtant, le ministre a été
incapable d'évoquer une date pour un éventuel retour du capitaine
putschiste en Guinée: «Je ne saurais vous le
dire, son état évolue sûrement, ce qui me fait dire qu'il pourra s'adresser à la nation, mais je ne peux pas vous dire maintenant à quel moment». Selon Alexandre Cécé Loua, les médecins n'ont pas évoqué «pas pour le moment» d'éventuelles
séquelles.
Atermoiements
En dépit de l'optimisme affiché, ces
déclarations représentent un infléchissement des proches de Dadis. Le ministre des Affaires étrangères s'était en effet montré plus rassurant dimanche: «Le chef de l'Etat se porte bien» et «dans les deux ou trois jours qui viennent, il pourrait
éventuellement adresser un petit message à la Nation», avait-il dit.
Signe des hésitations sur ce sujet,
le président burkinabé Blaise Compaoré, médiateur dans la crise guinéenne, avait indiqué vendredi que Dadis
Camara était «dans une situation qui est difficile, certes, mais qui n'est pas désespérée».
Ces atermoiements et l'éloignement
de Dadis de Conakry, la capitale, fragilisent sa position, déjà ébranlée par le massacre d'opposants guinéens
en septembre dernier. Si Dadis Camara a nié en être responsable, plusieurs
témoins ont accusé Toumba, chef des «Bérets rouges», d'avoir été présent ce jour-là. La brouille entre les deux hommes, autrefois proches, daterait de
cette date.
Chasse à l'homme
Jeudi, Toumba aurait alors tenté de tendre un «piège» au capitaine putschiste, en le faisant venir au camp militaire Koundara, dans le but de le tuer et de
«prendre le pouvoir». «Ils ont commencé presque tout de suite à tirer. Un des gardes du corps s'est jeté pour protéger le président, ils
l'ont tué (...) et le chauffeur aussi est mort», a ainsi expliqué le porte-parole du chef de la junte, Idrissa Chérif. Selon lui, le
capitaine Dadis Camara a «fait le mort» et Toumba a alors «annoncé au talkie walkie: "on a tué le président, le pouvoir est dans ma main, je suis le nouvel homme fort du pays"».
Pour l'heure, Toumba est toujours introuvable malgré la chasse à l'homme organisée. La junte a appelé samedi la population à «collaborer activement aux recherches» pour retrouver l'ancien aide de camp ainsi que ses «acolytes». Une «forte récompense» a été promise, ce qui n'a pas empêché Toumba de s'entretenir avec l'AFP, par
téléphone: «Je suis en lieu sûr. (...) J'ai une bonne partie des hommes avec moi. (...) Je suis en Guinée, libre de mes
mouvements».
Guerre de succession à
venir?
Un conflit ouvert entre différents
pans de l'armée pourrait donc éclater. A moins que la Guinée ne se trouve un nouvel homme fort en la personne du général Sékouba Konaté. Le numéro
trois de la junte, un des acteurs majeurs de la prise du pouvoir par
l'armée le 23 décembre 2008 au lendemain de la mort du «président-général» Lansana Conté, exerce le pouvoir «par intérim».
«C'est lui le numéro 2 de fait, il est rentré et tout le commandement était à l'aéroport pour son accueil. Il est pour le
départ de Toumba (que des témoins accusent d'être le responsable du massacre d'opposants le 28 septembre), il voulait arrêter Toumba, c'est l'homme fort du régime», a indiqué un observateur étranger à l'AFP.
Dans ce contexte, l'opposant guinéen
Cellou Dalein Diallo, victime de la répression le 28 septembre dernier et réfugié désormais à Paris, a affirmé que la journée de jeudi n'était
«qu'un simple règlement de compte entre deux personnes qui étaient complices». Cellou Dalein Diallo a souhaité que les «militaires patriotes»
«rouvrent le dialogue avec les Forces vives (oppositions, syndicats, société civile) et mettent en place un gouvernement de transition capable de conduire le pays vers des élections libres,
transparentes et crédibles».
Capitaine Moussa Dadis Camara, faux espoir, vrai potentat
Le chef de la junte, à la tête du pays depuis décembre, a pris goût au pouvoir.
Par CHRISTOPHE AYAD 30/09/2009 à 00h00 Libération
C’est un Amin Dada en VF. Surgi de nulle part à la mort du président Lansana Conté, le capitaine Dadis Camara avait suscité des espoirs qui paraissent aujourd’hui au mieux démesurés,
voire totalement utopiques. En décembre 2008, lorsqu’un quarteron de jeunes militaires prend le pouvoir laissé vacant par la disparition de Conté, après une interminable agonie, la société
civile guinéenne, les partis politiques, les diplomates et même la presse internationale ont voulu croire que cet homme de troupe aux manières un peu brusques et au franc-parler déroutant serait
l’homme de la situation : celui qui aller «nettoyer la maison» après des décennies de corruption effrénée avant d’organiser, pour la
première fois, des élections libres. Depuis l’indépendance, seuls deux hommes avaient dirigé cette ancienne colonie française ombrageuse (au point de refuser la main tendue de De Gaulle
en 1958) : le marxiste Touré et le «général-paysan» Conté. Aujourd’hui, les Guinéens en viendraient presque à les regretter…
Tout avait bien commencé, dans une atmosphère sympathique de «happening» selon le mot d’un diplomate. Installé au camp militaire Alpha-Yaya-Diallo, le capitaine Moussa Dadis Camara fait fi du protocole : qui veut le voir n’a qu’à venir et patienter, parfois des jours entiers. Dès les premiers jours, des
narcotrafiquants sont arrêtés, interrogés au camp militaire. Mais très vite, on commence à s’inquiéter des foucades du militaire, notamment lorsqu’il fait diffuser à la télévision les aveux et
les excuses du fils de Lansana Conté, trafiquant notoire, le visage tuméfié et allongé sur un lit d’hôpital.
Ubu roi. Camara invente une nouvelle façon de gouverner : il se fait filmer en permanence par la Radio télévision guinéenne, qui diffuse quotidiennement ce Loft du pouvoir.
Les Guinéens appellent cela le «Dadis show» et c’est devenu un must sur YouTube. Fou rire assuré, du moins jusqu’au massacre de lundi. On l’y voit terroriser un businessman ukrainien,
enguirlander l’ambassadeur d’Allemagne, traiter son Premier ministre comme un vaurien, démettre en direct le directeur des douanes…
Ubu roi à Conakry.
Mais au-delà du folklore et des foucades, quelque chose a bien changé. Dadis Camara, qui avait promis qu’il ne se présenterait pas à l’élection
présidentielle, ni lui ni un autre membre de la junte, a goûté au fruit vénéneux du pouvoir. Encouragé par de pseudo-mouvements de jeunes et quelques caciques de l’ère Conté, Camara ne veut plus
y renoncer. Si lui continue de vivre à la dure parmi ses frères d’armes, dont il se méfie sans l’avouer, sa famille, installée dans une grande villa de la capitale, a découvert les joies de
l’opulence. Depuis son arrivée au pouvoir, Camara n’a cessé de recruter dans sa garde rapprochée des «forestiers», originaires, comme lui, de l’intérieur des terres. On le dit méfiant envers les
Peuls, les Malinkés et les Soussous. Ses interlocuteurs le voient changer de mois en mois. Il ne parle plus de rendre le pouvoir. On s’inquiète, au niveau du Groupe international de contact qui
accompagne la transition en Guinée, de le voir préciser qu’il ne se présenterait pas aux élections «en 2009». En septembre, le capitaine parachève la manœuvre, assez grossière il est
vrai. Le scrutin est décalé à janvier, pour cause de retards dans le processus d’enregistrement. Dans la foulée, il estime ne plus se sentir lié par sa promesse. La rupture est de plus consommée
avec les Forces vives, forum regroupant partis politiques, syndicats et organisations de la société civile, qui a refusé de valider sa candidature. Furieux, Dadis Camara menace de réactiver le comité d’audit créé dans les premiers jours du coup d’Etat et chargé d’enquêter sur les ex-Premiers ministres :
Sidya Touré, François Fall, Cellou Diallo et Lansana Kouyaté, tous candidats potentiels à la
présidentielle.
«Isolé». L’ivresse du pouvoir, l’appât du gain, le tribalisme ont tourné la tête du capitaine Camara. Mais ce dernier s’est aussi senti encouragé par la victoire du putschiste
mauritanien Mohamed Ould-Abdelaziz à la présidentielle de cet été. Pestiféré il y a un an, au moment de son coup de force, le général Abdelaziz a su amadouer les Occidentaux et charmer les Mauritaniens. «"Pourquoi pas moi ?" a pensé
Dadis, résume un diplomate français. Le cas mauritanien n’a rien à voir. Nous lui avons toujours tenu un langage clair en lui répétant qu’il
devait tenir ses engagements, sous peine de se retrouver isolé.» Le problème, c’est que le message n’a pas été uniforme, une fois de plus dans la politique africaine de la France. Il
y a seulement deux semaines, Patrick Balkany, député-maire UMP de Levallois-Perret et ami de Nicolas
Sarkozy, déclarait que le Quai d’Orsay était «à côté de la plaque» en Guinée-Conakry. Il a ainsi expliqué au numéro 2 de la junte,
Sékouba Konaté, en visite à Paris, que la candidature de Dadis Camara, «ne pose pas de problème»
puisqu’il est «un citoyen guinéen comme les autres». Dans la foulée, Konaté était reçu par Claude Guéant, secrétaire général de l’Elysée. Paris a rompu hier sa coopération militaire
avec Conakry. Trop tard ?