Dans sa lettre ouverte du 20 mars 1990 désormais historique dont le contenu n’est pas démodé mais plutôt d’une brûlante actualité car pourrait aussi concerner de nos
jours François Bozizé, François Guéret s’adressait à l’époque au président André Kolingba en ces termes : « Au lieu d’être l’homme de tous les Centrafricains, vous vous êtes identifié à un clan tribal. Vous avez fait de la République centrafricaine une entreprise
personnelle et familiale. Votre style et vos méthodes de gouvernement s’appellent : discrimination tribale, injustice, détournement de deniers publics par vos parents et autres cousins,
pillage des biens de l’Etat, pillage de l’économie nationale, corruption et fraude généralisée à tous les niveaux, détournements à des fins personnelles de l’aide étrangère (…) Vous vous êtes
transformé en négociant de diamants, en négociant d’or (…) Chaque ethnie se replie sur elle-même, compte ses membres, mesure ses forces et se prépare fébrilement dans le silence à l’action
violente pour vous renverser ».
Cet extrait de la Lettre ouverte de François Guéret qui sonne comme un véritable réquisitoire, la profession de magistrat de l’auteur n’y est sans doute pas pour
rien, peut tenir lieu de bilan des douze années de gouvernance du président André Kolingba. C’est pour rafraîchir la mémoire des Centrafricains et de nos fidèles lecteurs que la rédaction revient
sur le bilan de son régime que certains esprits chagrins, partisans et passionnés, tentent abusivement d’embellir après la disparition du général.
La Rédaction
Brève analyse de la situation de la RCA
de 1981 à 1993
En mars 1981, l'ancien ministre de Bokassa, David Dacko, fut élu de justesse président de la République avec le soutien du gouvernement français, ce qui provoqua de vives réactions des partisans
d'Ange Patassé, lui aussi ancien ministre du tyran, mais qui avait choisi le soutien des Libyens. Patassé
devait trouver refuge à l'ambassade de France après une tentative de coup d'État contre le général Kolingba, qui avait pris le pouvoir le 1er
septembre 1981.
Deux événements majeurs ont marqué la vie politique de la République
centrafricaine (2,4 millions d'habitants) en 1983. Le comité militaire de redressement national (CMRN) présidé par le général Kolingba - au pouvoir
depuis le 1er septembre 1981 - a accentué la répression contre ses adversaires pour raffermir son pouvoir ; c'est ainsi que le Pr Goumba, emprisonné
en 1982, a été condamné en avril 1983 (libéré en septembre, il était de nouveau arrêté début 1984 à la suite de manifestations scolaires et universitaires hostiles au régime). En
novembre-décembre 1983, l'ex-empereur Bokassa et certains de ses amis français ont organisé une tentative de retour à Bangui du monarque déchu. Cette
aventure ayant tourné court, Bokassa est renvoyé de Côte-d'Ivoire, où il avait trouvé refuge depuis 1979 ; il s'est installé dans la région parisienne
le 4 décembre.
Le régime du général Kolingba a
continué - comme ses prédécesseurs - d'être porté à bout de bras par la France (1 000 soldats de l'"opération
Barracuda" étaient encore stationnés dans le pays à l'été 1984). Les exportations centrafricaines ont connu un double mouvement en 1983: d'une part une légère amélioration dans
l'exportation de diamants, de coton et de café ; d'autre part une diminution des exportations de bois. Pour encourager la production agricole, le CMRN a pris des mesures d'incitation à la
production: primes de rendement, amélioration du prix d'achat au paysan (le prix d'achat du coton au paysan est ainsi passé de 60 à 80 francs CFA par kg). L'endettement croissant de la
Centrafrique a poussé le gouvernement à négocier un réaménagement de la dette publique avec le Club de Paris en juillet 1983.
En République centrafricaine (2,5 millions d'habitants), les ex-officiers
Gaston Ouedane (ancien ministre de la Fonction publique) et Jérôme Allam (ancien secrétaire d'État au
commerce), arrêtés le 3 mars 1982, ont été condamnés le 27 juillet 1984 par le Tribunal spécial de Bangui à dix ans de prison pour "atteinte à la sûreté de l'État". En décembre de la même année, après la visite de François Mitterrand à
Bangui, le général André Kolingba, chef de l'État centrafricain, a annoncé la libération de cinquante-trois détenus politiques, dont Abel Goumba, président du Front patriotique oubanguien. Il a également déclaré qu'en 1975 la Centrafrique devrait revenir à une vie constitutionnelle normale,
intention confirmée en janvier 1985 avec la précision qu'une nouvelle Constitution serait soumise prochainement à l'approbation du peuple.
La République centrafricaine a pâti de la guerre qui sévit au Tchad ; en
novembre 1984, des "commandos rouges" tchadiens ont fait irruption sur son territoire. Le Haut
commissariat des Nations Unies pour les réfugiés a d'ailleurs annoncé qu'environ 30 000 réfugiés tchadiens se trouvaient en territoire centrafricain à la fin de 1984.
Au plan économique, le grand problème de ce petit pays est que la plupart des
indicateurs restent résolument au rouge: le déficit budgétaire a été de l'ordre de 11 milliards de francs CFA en 1984, contre 12 milliards en 1981 ; le déficit de la balance commerciale a atteint
9 milliards et celui de la balance des paiements, 42 milliards... En outre la dette extérieure représentait 36% de la production nationale en 1984. Sur le plan de l'agriculture, seul le coton
semble avoir bénéficié des mesures d'incitation à la production prises par le gouvernement en 1983 puisque sa production s'est accrue de 19%. Par contre la production caféière a régressé (de
22,5%), de même que la production de bois (-15,3% pour les sciages, -30,4% pour les contreplaqués...).
En Centrafrique, l'événement politique le plus important de l'année 1985 a été
la dissolution en septembre du Comité militaire de redressement national qui gouvernait le pays depuis l'accession au pouvoir en 1981 du général André
Kolingba, et la constitution d'un nouveau gouvernement comprenant des civils (treize civils et dix militaires), les militaires conservant l'essentiel des postes clés. Par ce geste, le général
Kolingba, devenu président de la République (tout en conservant les fonctions de chef de gouvernement et le portefeuille de ministre de la Défense), a
marqué sa volonté d'engager le pays dans le processus de démocratisation annoncé au début de l'année. En novembre, quatre-vingt-neuf prisonniers politiques ont été libérés à l'occasion de la fête
nationale.
Sur le plan économique et financier, en novembre 1985, les pays membres du Club
de Paris (groupe des pays créanciers), sensibles aux efforts d'assainissement entrepris par le gouvernement, notamment l'adoption d'un plan de redressement économique et financier appuyé par un
accord de confirmation du FMI, sont convenus de rééchelonner 10 millions de dollars de la dette extérieure publique ou garantie. L'encours de la dette publique extérieure s'élevait à 250 millions
de dollars en 1985 (soit 33% du PNB).
Les productions ont connu une évolution favorable en 1985: 50 000 tonnes de
coton (+36%), 10 000 tonnes de café (+50%), 350 000 carats de diamants (+10%), 140 000 tonnes d'arachides (+24%).
La balance commerciale a connu un déficit moindre qu'en 1984 (-24 milliards de
francs CFA contre -26). L'inflation est restée modérée (8%) et l'augmentation de 30% des crédits à l'économie semblait indiquer une certaine reprise des affaires.
En Centrafrique, l'actualité politique a dominé l'année 1986, avec le passage
progressif du régime militaire (en place depuis septembre 1981) à une forme presque civile de gouvernement, et avec le retour inopiné de l'ancien empereur Bokassa, le 23 octobre, suivi de son
procès à partir de décembre.
Dans le domaine institutionnel, une Constitution a été rédigée et ratifiée par
un référendum organisé le 21 novembre. Plus de 91% des votants l'ont approuvée et ont élu André Kolingba président pour six ans. Il dirigeait le pays
depuis 1981. Toutefois, dans la capitale, Bangui, 25% des suffrages ont été hostiles au chef de l'État.
La capitale avait été agitée fin mars-début avril 1986 par l'écrasement d'un
Jaguar français sur un quartier populaire proche de l'aéroport (trente-cinq morts) et par un attentat à l'explosif (sans victime). C'est à la même période qu'eut lieu une grève de
lycéens.
La nouvelle Constitution a établi un régime de type présidentiel. Le président
est élu pour six ans. Le Parlement, qui devait être installé en 1987, est formé de l'Assemblée nationale, dont les députés sont élus au suffrage universel direct pour cinq ans, et du Conseil
économique et social. Un parti unique, le Rassemblement démocratique centrafricain (RDC), a été créé à la fin de 1986. Le remaniement ministériel du 8 décembre a tiré les conclusions du
référendum. Sur sept ministres sortants, quatre étaient des militaires et l'aspect civil du pouvoir en a été ainsi renforcé. Toutefois, ces changements n'ont eu qu'une portée relative, et le
colonel Christophe Grélombé a conservé et même renforcé son influence au ministère de l'Intérieur et à l'administration du
territoire.
L'ancien empereur n'a pas trouvé le soutien qu'il espérait en rentrant dans son
pays. Il a été arrêté à son arrivée. En juin 1987, au terme d'un procès de plusieurs mois, il a été condamné à mort. Le retour de Bokassa a engendré un malaise passager entre Paris et Bangui.
Mais la Centrafrique, atteinte dans son redressement économique par la baisse des cours du coton, dépend plus que jamais de l'aide extérieure.
L'actualité politique a été marquée en 1987 par la poursuite de la mise en place
d'institutions civiles, amorcée en 1986. Les 6 et 7 février 1987, aux assises du Rassemblement démocratique centrafricain (RDC, parti unique), le président André Kolingba a nommé Jean-Paul Ngoupande, ministre de l'Éducation nationale, comme secrétaire exécutif du Parti.
Aux élections législatives du 31 juillet 1987, 142 candidats se sont disputé les 52 sièges à pourvoir. Premier scrutin en République centrafricaine (RCA) depuis environ vingt ans, il a été sans
surprise: tous les sièges ont été remportés par le RDC. La participation (50% des électeurs) a cependant été moins forte qu'au référendum constitutionnel de novembre 1986
(91%).
Le remaniement ministériel du 3 décembre 1987 n'a pas touché les grands
ministères mais les portefeuilles de l'Éducation et de l'Enseignement ont été regroupés en un seul ministère, confié à Pierre Sammy Mackoy. Cette
nomination est intervenue alors qu'une certaine agitation régnait dans les lycées et à l'université de Bangui.
La visite en Centrafrique du ministre français de la Défense, André Giraud (14 janvier 1988), et celle du président Kolingba à Paris (15-18 février 1988) ont permis d'effacer
les difficultés liées à l'arrivée au pouvoir du général Kolingba (1981) et à son absence lors du sommet franco-africain d'Antibes en décembre 1987.
Paris a renouvelé son soutien à Bangui qui accepte la présence de 1 200 soldats français et de servir de base arrière pour la politique française au Tchad. Enfin, le président Kolingba a commué le 29 février 1988 la peine de mort prononcée en juin 1987 contre l'ex-empereur Bokassa en travaux forcés à perpétuité.
Au plan économique, le gouvernement a pris certaines mesures de libéralisation
et d'assainissement de la fonction publique. Mais les problèmes du secteur du coton, en dépit de la hausse des cours au début de 1987, et l'importante fraude douanière ont continué de marquer
négativement l'économie du pays.
Les efforts de redressement de l'économie centrafricaine ont été marqués, en mai
1988, par la signature d'un nouveau programme d'ajustement structurel avec la Banque mondiale et l'obtention, à la fin de l'année, d'un rééchelonnement à des conditions très favorables de la
dette publique du Club de Paris. En 1987, la dette totale du pays était évaluée par la Banque mondiale à 585 millions de dollars.
Les pays créanciers ont ainsi fait un effort particulier, en raison des réformes
accomplies par le gouvernement centrafricain (assainissement de la fonction publique et des entreprises publiques, rationalisation de la filière cotonnière).
Sur le plan politique, le processus de démocratisation s'est poursuivi avec la
tenue d'élections municipales au suffrage universel direct (mai 1988), alors que maires et adjoints étaient jusque-là nommés par le chef de l'État. Le septième anniversaire de l'arrivée au
pouvoir du général André Kolingba a été célébré le 1er septembre 1988 dans la discrétion, sans aucune déclaration officielle.
Lors de sa visite en RFA en novembre 1988, le chef de l'État a affirmé que les
progrès réalisés par son pays dans la voie de la démocratie devraient permettre une reprise des échanges commerciaux bilatéraux, en baisse ces dernières années.
Dans son message à la Nation prononcé à l'occasion du Nouvel An 1989, le général
Kolingba a invité les Centrafricains à défendre et à respecter les institutions du pays, mettant ainsi l'accent sur la nécessité d'une plus grande
stabilisation du régime.
En janvier 1989, la République centrafricaine (RCA), comme sept autres pays
africains, a renoué ses relations diplomatiques avec Israël, rompues depuis 1973. Elle les a suspendues avec le Soudan qui avait interdit le survol de son territoire à l'avion du chef d'État
centrafricain, le général André Kolingba, alors qu'il se rendait en visite officielle en Israël, en mai 1989. Cette décision a été accompagnée de la
fermeture des frontières entre les deux États. Les relations entre la RCA et le Soudan étaient étroites et de nombreux Soudanais résident en Centrafrique. La visite en Israël du général A. Kolingba a néanmoins eu lieu en juillet 1989. Cet incident s'est terminé avec le rétablissement des relations diplomatiques avec Khartoum en septembre
1989.
Sur le plan économique, la restructuration de la fonction publique a été lancée
avec comme objectif la diminution de 10% des effectifs (2 000 postes sur un total de 20 000). Des aides au départ volontaire de fonctionnaires ont été instaurées afin d'encourager leur
reconversion dans la création de PME. Le budget pour 1990 s'est élevé à 103,3 milliards de francs CFA, contre 100 milliards l'année précédente. La santé et l'éducation ont bénéficié d'une hausse
de 10% de leurs dotations. L'aide extérieure et l'annulation par la France de la dette publique devaient permettre de couvrir le déficit budgétaire.
Sur le plan politique, une session extraordinaire du Rassemblement démocratique
centrafricain (RDC, parti unique), réunie en mai 1990, a rejeté l'idée du multipartisme mais a décidé une révision de la Constitution en vue de la nomination d'un Premier ministre. Un remaniement
du gouvernement, le 5 juin 1990, a créé le poste de ministre d'État chargé de la coordination de l'équipe ministérielle. D'autre part, les professeurs de l'université de Bangui ont été en grève
du 20 avril 1990 au 16 mai. Ils réclamaient le rétablissement d'indemnités supprimées par le gouvernement ainsi que des primes de logement.
Selon la boutade la plus courante à Bangui, "pour l'instant seules les lettres sont ouvertes en Centrafrique". Quant au régime du général André Kolingba, il est resté fermé à toute demande de démocratisation, même si le président a déclaré, en mars 1991, qu'il n'était pas "irréductible au multipartisme".
Au sujet de sa plaque tournante militaire au coeur de l'Afrique, où sont
"prépositionnés" un millier de ses légionnaires, la France a également montré peu d'empressement réformiste. Au Quai d'Orsay (ministère des Affaires étrangères), la Centrafrique est toujours le
seul État "suivi" par un colonel...
Soutenue à coups de rallonges budgétaires par la France, l'ex-métropole
coloniale, "Bangui-la-bureaucrate" a vécu coupée du reste du pays, réduite à un hinterland
d'autosubsistance et de trafic de diamants. Le 20 mars 1990, l'opposant François Guéret, sorti de la tristement célèbre prison de Ngaragba en décembre
1986, a adressé une première "lettre ouverte au Président". Des reproches de "gabegie" et de "favoritisme" ont été repris, en des termes moins vifs, le 15 mai 1990, dans une seconde "lettre ouverte", cosignée par près de mille personnalités. Résultat: bon nombre d'entre elles ont été rayées de la fonction publique et un procès a été
intenté contre Me Nicolas Tiangaye pour "faute
professionnelle".
Le 13 octobre 1990, la colère populaire a explosé dans les rues de Bangui, après
l'intervention brutale des forces de l'ordre lors d'un meeting tenu par le Comité de coordination pour la convocation d'une conférence nationale. Après deux jours d'émeutes, le calme a été
rétabli. Provisoirement.
La République centrafricaine ne vit plus officiellement en régime de parti
unique, mais depuis qu'il a exprimé, le 31 août 1991, son accord pour l'organisation d'un grand débat national, le général André Kolingba, le chef de
l'État, n'a cessé de retarder les échéances. Il a reçu en septembre 1991 les représentants de l'opposition, qui est notamment animée par Abel Goumba
et regroupée dans le Comité de coordination pour la convocation d'une conférence nationale (CCCCN); il a nommé en octobre un médiateur entre les pouvoirs publics et les partis politiques et
annoncé le retour aux libertés syndicales pour le 1er novembre. Elles avaient été suspendues le 6 juillet 1991 par un décret du Premier ministre, confronté à une longue grève du secteur public
(d'avril à juillet) et du secteur privé (juin), et à des opérations "villes mortes", à l'initiative de l'Union syndicale des travailleurs centrafricains et de la Coordination des élèves et
étudiants.
Des manifestations pour l'amnistie générale et la convocation d'une conférence
nationale, qui ont fait plusieurs victimes à partir d'août 1991, ont rythmé une vie politique du pays apparemment bloquée. Pour le chef de l'État, peu sensible aux pressions de l'épiscopat,
"le peuple centrafricain ne doit pas suivre servilement les autres". Le 11 mai 1992, le général
Kolingba a signé un décret portant création d'une commission nationale préparatoire au "débat national", sans tenir compte du contenu des 72 jours de
négociations avec l'opposition.
Minée par les grèves, l'économie de la Centrafrique s'est dégradée: 50% à 80% de
la production de diamants commercialisée en fraude, déclin de l'exploitation forestière, du café et du coton. Semblant ignorer l'existence des forces démocratiques, la France, premier partenaire
commercial, a maintenu 1200 parachutistes dans les bases de Bangui et de Bouar. Elle a apporté plusieurs aides budgétaires exceptionnelles en 1991, pour le paiement des salaires, et le colonel
français Jean-Claude Mansion est resté à la tête de la garde présidentielle qu'il a dirigée pendant toutes les années quatre-vingt, contribuant à la
montée d'un réel sentiment anti-français dans le pays.
Le président centrafricain a finalement été victime de l'alternance au pouvoir
en... France. Deux mois après les législatives françaises qui, en mars 1993, ont consacré le retour de la droite au gouvernement, le général André
Kolingba a dû accepter, sous la contrainte, une échéance électorale maintes fois repoussée auparavant. Le premier scrutin présidentiel pluraliste en Centrafrique, après une tentative avortée
le 25 octobre 1992 en raison d'irrégularités notamment à Bangui, a été fixé au 22 août 1993 à la suite d'une intervention résolue, début juin, du nouveau ministre français de la Coopération,
Michel Roussin.
Créant un précédent dans l'histoire du "pré-carré" africain de la France,
celui-ci a imposé la nomination, à Bangui, d'un "représentant spécial de la France", Michel Lunven, pour la période transitoire vers la démocratie. Mettant fin à leur rivalité, il a ainsi renvoyé dos à dos - à Paris - l'ambassadeur Alain Pallu de Beaupuy, en poste durant un an seulement, et le "marabout
blanc" du président Kolingba, le colonel Jean-Claude Mantion, pendant treize ans chef de la
garde présidentielle et, selon l'opposition centrafricaine, "proconsul" de la France à
Bangui.
Hostile à la démocratisation du régime, André Kolingba n'a cessé d'y opposer sa résistance passive: acceptant du bout des lèvres le multipartisme, en avril 1991, il a d'abord retardé son application,
puis ramené à un "grand débat national" - boycotté par la Confédération des forces démocratiques (CFD)
du professeur Abel Goumba - la revendication d'une conférence nationale souveraine. Cependant, dans l'incapacité de rémunérer ses fonctionnaires,
voire son armée, il a finalement dû accepter les conditions attachées au versement du "loyer" que la France continue à payer pour sa plaque tournante militaire au coeur du continent où restent
"prépositionnés" 1500 légionnaires.
La situation économique a continué de se détériorer en 1993. Le Comptoir
national du diamant a dû cesser ses activités, tandis que le commerce informel et les importations frauduleuses continuaient de s'imposer, rendant inopérantes les tentatives des bailleurs de
fonds pour relancer des industries locales, tel le textile. L'évasion fiscale croissante a placé l'État dans l'impossibilité de payer les salaires des 19 000 fonctionnaires. Dans ce contexte, la
dévaluation du franc CFA, le 12 janvier 1994, a été accueillie avec scepticisme par le gouvernement qui ne pouvait y voir d'effet positif à court terme. Pourtant la Centrafrique assure son
autosuffisance alimentaire, sa population étant essentiellement rurale. Sa dette extérieure, relativement faible, lui a permis de garder le contact avec les organisations financières
internationales.
Les complications politiques et sociales liées à cette situation de crise ont
été étroitement suivies par la France qui accorde à cet État un intérêt stratégique tout particulier, du fait des deux bases militaires de Bangui et de Bouar où elle entretient une force de 1 200
hommes en alerte permanente, véritablement dissuasive dans la région car constituant un réservoir d'intervention à brève échéance.
Après avoir tout tenté pour proroger son mandat expiré en novembre 1992, le
président André Kolingba a dû se résoudre à accepter le verdict des urnes, le 22 août 1993: il n'est arrivé que quatrième (avec 12% des voix) à
l'issue du premier tour. Le ministère français des Affaires étrangères avait dû peser de tout son poids, suspendant immédiatement la coopération pour qu'il s'incline.
Source : extrait dans L'état du Monde 1981-1998 par Olivier Bain et Jean Marc Liotier