Par Thomas Hofnung
Libération 19 février 2010
Hier soir, le vieux galonné, Mamadou
Tandja, semblait bien avoir perdu la main au Niger, pays où il a régné sans partage durant dix ans. Rondement mené par des officiers militaires, un coup d’Etat a mis hors course le président
de ce pays pauvre du Sahel. Plusieurs sources faisaient état de son transfert dans un camp militaire hors de la capitale, Niamey.
Mamadou Tandja, ou l’histoire d’une dérive autoritaire. Élu à la tête de cette ancienne colonie française en 1999 et réélu à la régulière cinq ans plus tard, ce militaire de
carrière, ancien ambassadeur et plusieurs fois ministre, a fini par n’en faire qu’à sa guise, se croyant indispensable à la bonne marche de son pays.
En 2007, face à une nouvelle rébellion touarègue dans le nord du pays, il a
choisi la répression tous azimuts, balayant les nombreux appels au dialogue, dont certains émanaient de son propre camp politique. Durant des mois, il s’est acharné contre un correspondant de
RFI, Moussa Kaka, coupable à ses yeux d’avoir eu des contacts avec les rebelles du MNJ (Mouvement des Nigériens pour la justice).
Soutenu par le colonel Kadhafi et
par Pékin, qui guigne l’uranium présent dans le sous-sol du Niger, accaparé par la France durant des décennies, Mamadou Tandja a fait habilement
monter les enchères, obligeant Areva à augmenter considérablement son prix d’achat. Mais le vieux colonel (71 ans) sait aussi se montrer pragmatique.
Début 2009, il octroie la concession de la mine géante d’Imouraren, dans le nord
désertique du pays, à l’entreprise française, histoire de s’attirer les bonnes grâces de Paris, alors qu’il envisage déjà de rester au pouvoir à la fin de son second et théoriquement dernier
mandat. Un tiers des centrales nucléaires d'EDF sont alimentées par du minerai extrait au Niger. Les Chinois, eux, n'ont pas tout perdu: ils se voient délivrer quantité de permis
d’exploration.
C’est alors que Tandja, peut-être intoxiqué par son entourage familial, qui profite des largesses du pouvoir, perd toute retenue. Après avoir étouffé
les rebelles touaregs, il décide de rester président coûte que coûte. Face à la levée de boucliers, il doit dissoudre l’Assemblée nationale et la Cour constitutionnelle, avant d’organiser un
référendum sur mesure l’été dernier. La communauté internationale condamne, mais laisse faire. Jusqu’ici, on pensait que ce militaire buté et rusé contrôlait tous les rouages de l’appareil
militaire nigérien. Les événements d’hier ont démontré le contraire.
Niger : la presse étrangère déplore un coup d'Etat "sans
surprise"
LEMONDE.FR | 19.02.10 | 12h58 • Mis à jour le 19.02.10 |
13h18
Vingt-quatre heures après la prise du pouvoir par des militaires dissidents, le sort
du président et de ses collaborateurs, capturés par les rebelles, reste incertain. L'issue de ce coup d'Etat, perpétré à la suite d'un référendum controversé autorisant le président Mamadou Tandja à rester au pouvoir pour une durée indéterminée, est tout aussi floue. La presse internationale
déplore un coup d'Etat "prévisible", fruit de l'ambition démesurée d'un président qui, sous prétexte de vouloir "terminer ses chantiers", n'a pas hésité à manipuler la Constitution nigérienne pour se maintenir au pouvoir au-delà de ce que lui permettait la
loi.
La presse africaine n'est pas tendre avec le président Tandja, l'homme qui "a semé le vent et récolté la tempête", et parle de "contre-coup d'Etat". Le journal burkinabé L'Observateur Paalga considère que "ce coup d'Etat est une demi-surprise car il était attendu par les opposants et redouté par Tandja lui-même." Selon l'éditorialiste, cette dérive du
président n'est autre que "le prix de l'entêtement d'un homme qui aurait pu sortir par la grande porte après ses deux mandats". Dans la même
veine, Le Pays regrette que Tandja ait "pris sur lui de tordre le coup à la légalité et à la légitimité constitutionnelles en perpétrant un coup d'Etat institutionnel", tout en rappelant
que la prise de pouvoir par la force est toujours le résultat d'une "malgouvernance politique, économique et sociale", dont l'Afrique ne
parvient pas à se débarrasser. Même son de cloche du côté du Potentiel, l'un des principaux quotidiens francophones de la République
démocratique du Congo, qui déplore "l'arrogance" de Tandja et son "mauvais calcul politique".
Le reste de la presse, notamment anglo-saxonne, met en perspective ce coup
d'Etat avec la situation économique et géopolitique du pays. Le quotidien britannique Times rappelle que le pays est extrêmement riche en uranium, un matériau très convoité à l'heure où la production d'énergie nucléaire se renforce à travers le monde. Il
souligne également la position "stratégique" du Niger, une région dans laquelle "des
sympathisants d'Al-Qaida sont actifs", et le rôle crucial de l'ex-colonisateur français, qui "tente d'empêcher que la situation ne dégénère
comme en Guinée, une autre ancienne colonie d'Afrique de l'Ouest, où des militaires ont pris le pouvoir l'année dernière". Cet incident, "couplé à une crise constitutionnelle au Nigeria et à la transformation de la Guinée en paradis pour les trafiquants de drogue", pourrait déstabiliser
l'ensemble de la région, ajoute le Times.
La situation est d'autant plus préoccupante que les efforts internationaux pour
stabiliser la situation, notamment la décision de l'Union européenne de suspendre l'aide non humanitaire, n'ont pas abouti, dénonce le Wall Street Journal. Le quotidien économique décrit le Niger comme
"un des pays les plus pauvres d'Afrique, avec des famines fréquentes", dont les ressources en uranium sont principalement exploitées par
Areva, qui exerce "un monopole de facto". Le Niger essaie toutefois depuis quelques années d'ouvrir son industrie à des partenaires
extérieurs, par exemple en accordant des concessions à des sociétés chinoises. A ce sujet, le Financial Times précise qu'Areva a déclaré en 2009 vouloir investir
1,2 milliard d'euros dans une mine d'uranium, ce qui permettrait de doubler la production du pays. Le journal ajoute enfin que la Chine a signé en 2008 pour 5 milliards de dollars (3,7 milliards
d'euros) d'accords d'exploitation avec le Niger. Ce sont notamment ces investissements étrangers qui ont été invoqués par Mamadou Tandja pour
justifier son maintien au pouvoir, précise le FT.
Audrey Fournier
Niger: la junte se veut rassurante, le
président renversé "va bien"
NIAMEY (AFP) - vendredi 19 février 2010 - 22h25 - Vingt-quatre heures après le coup d'Etat qui a renversé le président Mamadou Tandja au
Niger, l'opposition appelle à une grande manifestation de soutien aux militaires putschistes, tandis que la communauté internationale souhaite le retour rapide de la
démocratie.
Le "Conseil suprême pour la restauration de la démocratie" (CSRD, junte), qui a pris le pouvoir jeudi dans des combats qui ont fait au moins trois morts, a
assuré vendredi avoir le contrôle de la situation et annoncé la création prochaine d'un "conseil
consultatif" pour travailler à l'avenir du pays.
Le porte-parole du CSRD, Goukoye
Abdoulkarim, a ajouté que le président déchu "était dans de très bonnes conditions, il est régulièrement
suivi par son médecin". Il n'a pas précisé combien de temps serait détenu M. Tandja.
La junte qui a dissous le gouvernement et suspendu la constitution adoptée en
août 2009 a rencontré vendredi les secrétaires généraux des ministères et s'apprête à relâcher des ministres, a ajouté son porte-parole.
"Nous leur avons donné des orientations par rapport aux actions urgentes pour assurer le fonctionnement de l'Etat", a-t-il précisé.
Niamey était calme vendredi matin, selon un correspondant de
l'AFP.
Quelques blindés et des véhicules tout terrain équipés de mitrailleuses étaient
déployés pour garder des lieux stratégiques comme la présidence, les ministères, des résidences officielles et l'état-major de l'armée.
Dans la ville de Dosso (ouest), des habitants, par centaines, ont défilé pour
"exprimer leur joie et leur soutien à la junte", a affirmé à l'AFP Mahamadou Boureima, un commerçant joint par téléphone.
Dans un communiqué lu sur des radios privées, la Coordination des forces
démocratiques pour la république (CFDR), une coalition d'opposition, a appelé à "participer massivement"
à une manifestation en soutien aux militaires putschistes devant le siège du Parlement samedi à Niamey.
Vaste pays du Sahel, le Niger est un des Etats les plus pauvres du monde, mais
c'est aussi le troisième producteur mondial d'uranium.
Dès vendredi, le parti du président nigérien déchu a reconnu la prise de pouvoir
de la junte, tandis que d'autres dirigeants politiques espéraient que l'éviction de M. Tandja déboucherait rapidement sur une démocratisation après
une grave crise politique en 2009.
Le parti de M. Tandja, le Mouvement
national pour la société de développement (MNSD), a déclaré que le putsch avait été une surprise, a dit espérer des soldats qu'ils soient "justes" et a invité ses partisans à être "sereins".
Relativement critiques du putsch, l'Union africaine (UA), la France, l'Union
européenne, l'Afrique du Sud, notamment, ont réclamé une transition démocratique.
L'Union africaine a suspendu le Niger à la suite du coup d'Etat et demandé le
retour à la situation constitutionnelle d'avant août 2009.
Agé de 71 ans, le président Tandja,
après dix ans d'un pouvoir relativement pacifique, avait dissous en 2009 le Parlement et la Cour constitutionnelle et obtenu une prolongation de son mandat de trois ans à l'issue d'un référendum
controversé en août.
Le ministre sénégalais des Affaires étrangères, Madické Niang, est arrivé vendredi et une délégation de la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cédéao) est attendue.
Les Etats-Unis ont appelé à "un retour rapide à la démocratie".
Paris, qui a "condamné" la prise du pouvoir "par des voies non
constitutionnelles", "espère" des élections libres "dans les prochains mois".
La France a des intérêts importants au Niger, notamment dans l'extraction de
l'uranium. Elle compte quelque 1.500 ressortissants dans ce pays.
Le secrétaire d'Etat français à la Coopération Alain
Joyandet a estimé qu'il n'y avait "aucune raison de craindre" une remise en cause du partenariat
entre l'Etat nigérien et le groupe nucléaire Areva.
Le coup
d'Etat pourrait favoriser la démocratie au Niger
Reuters 19 février 2010 Richard Valdmanis
Le putsch militaire contre le président
nigérien Mamadou Tandja a suscité, sans surprise, la réprobation internationale, mais, paradoxalement, son éviction pourrait favoriser le retour à la démocratie dans l'ex-colonie française riche
en uranium.
Les tensions politiques
s'avivaient au Niger depuis que cet ancien colonel de 72 ans élu en 1999, qui aurait dû quitter le pouvoir en décembre au terme de son second quinquennat, avait fait modifier la Constitution pour
se maintenir au pouvoir.
Ce "coup d'Etat constitutionnel" opéré au nom de la volonté du peuple avait de facto reporté d'au moins trois ans un scrutin présidentiel prévu cette année.
Les militaires qui l'ont écarté se réclament d'un Conseil militaire "pour le rétablissement de la
démocratie" (CSRD).
Leur putsch a été condamné par la France et l'Union africaine a annoncé son
intention de suspendre le Niger mais, pour certains analystes, "c'est un cas où on peut se demander s'il n'existe
pas des bons coups d'Etat".
Si la communauté internationale s'est gardée d'avaliser le coup de force des
militaires contre le palais présidentiel, qui a fait quelques morts jeudi à Niamey, elle en a profité pour évoquer l'avenir politique d'un pays dont les richesses ont attiré des milliards de
dollars d'investissements étrangers.
La France a rappelé ainsi sa condamnation de "toute prise de pouvoir par des voies non constitutionnelles", tout en engageant "tous les acteurs nigériens, y compris les forces armées, à trouver par le dialogue et dans les meilleurs délais une
solution à la crise constitutionnelle".
"DOUX-AMER"
Washington a adopté une position comparable. "Nous ne défendons nullement, en aucune manière et sous aucune forme, une violence de cette nature, mais nous estimons
clairement que ceci souligne la nécessité pour le Niger d'aller vers les élections et la formation d'un nouveau gouvernement", a dit le département d'Etat.
La junte militaire a suspendu la Constitution et dissous toutes les institutions
nigériennes. On ignore si le CSRD va chercher à consolider son pouvoir ou s'il va tenter de s'attirer les bonnes grâces de la communauté internationale en empruntant le chemin du retour à un
régime démocratique civil.
"Pour le moment, nous en sommes au point de départ", a déclaré le chef de la junte, Salou Djibo, en annonçant vendredi la création d'un "conseil
consultatif" pour discuter de l'avenir du pays. Il n'a pas fait allusion à un calendrier électoral.
Sa prochaine initiative est guettée avec attention par la communauté
internationale, qui note que, selon des sources militaires, deux membres important du CSRD avaient déjà joué un rôle clé dans le coup d'Etat de 1999, qui avait ouvert la voie à l'élection libre
et honnête de Tandja.
De plus, l'armée du Niger est considérée comme disciplinée et, donc, plus
susceptible de restituer le pouvoir aux civils que d'autres régimes militaires d'Afrique de l'Ouest comme la Guinée, où le capitaine Moussa Dadis
Camara a pris le pouvoir en décembre 2008.
"C'est doux-amer. C'est ennuyeux d'avoir un coup d'Etat, mais si c'est une étape à court terme vers des élections, c'est acceptable", estime un analyste.
Marc Delteil pour le service français