05 NOV 2022 Mise à jour 05.11.2022 à 17:01 par Lauriane Nembrot avec AFP
Le président camerounais Paul Biya achève sa 40e année passée à la tête du pays. À 89 ans, il doit cette longévité au contrôle total qu’il a su instaurer dans le pays au fil du temps. Affaibli depuis plusieurs années, son état de santé interroge. Vivement critiqué sur la scène nationale et internationale pour sa gestion autoritaire du pays, le doute persiste sur sa succession.
La vie politique de Paul Biya a de quoi en surprendre plus d’un. Qui pouvait imaginer le destin de ce fils d’agriculteurs, d’origine modeste et né dans un petit village au sud du Cameroun ? Au coude à coude avec son voisin de Guinée équatoriale Teodoro Obiang Nguema Mbasogo (plus de 43 ans au pouvoir), il se pourrait bien qu’il parvienne à battre les records de longévité des présidents africains.
Surnommé le "Sphinx" pour ses rarissimes apparitions publiques et son goût du secret, l’actuel chef d’État camerounais est notoirement connu pour son caractère intraitable. Et en 40 ans de règne absolu, Paul Biya a littéralement fait du Cameroun sa chose.
À ses débuts, il promettait de placer son mandat sous le signe du "Renouveau". Mais dans ce vaste pays d'Afrique centrale, deux générations de Camerounais ont depuis vu le jour sous la présidence de Paul Biya. Aujourd'hui, certains au Cameroun voudraient voir s'achever cet infini mandat, tout en redoutant l'instabilité qui s'en suivrait.
Ahidjo l’introduit en politique
Ancien séminariste catholique et étudiant à Sciences-Po Paris, il entre en politique dans les années 1970. Paul Biya gravit les échelons sous son prédécesseur et mentor, Ahmadou Ahidjo. Sous sa mandature, le jeune Biya fait ses armes et occupe tous les postes au sein du gouvernement. Il devient Premier ministre de 1975 à 1982.
Le 6 novembre 1982, il est élu président du Cameroun après la démission surprise d'Ahidjo. Dès son arrivée au pouvoir, il nomme et congédie lui-même aux postes-clés pour assurer son maintien. Seul candidat, il est élu avec 100% des suffrages en 1984, réélu en 1988 également sous la bannière du parti unique, puis cinq fois encore, malgré l'instauration du multipartisme en 1990.
Pour asseoir son autorité, Paul Biya s'appuie sur un parti-État, le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC). Un parti qu'il a lui-même créé en 1985, trois ans après son accession au pouvoir.
Violente répression vis-à-vis de l’opposition
Paul Biya règne d'une main de fer sur son pays confronté ces dernières années à d'importants défis économiques et sociaux - 26% de la population vit dans l'extrême pauvreté selon l'ONU et la corruption est endémique jusqu'au sommet de l'État - mais aussi sécuritaires. Récemment sermonné ou blâmé par l'ONU, des ONG internationales et des capitales occidentales, dont Paris, pour les atteintes répétées aux droits humains par les forces de sécurité et la justice selon elles, Paul Biya ne fait pas grand cas de ces critiques.
Ces dernières années, Paul Biya a lancé ses forces de sécurité dans une implacable répression de toute opposition, politique ou armée. Ce qui a valu au président de 89 ans, autrefois écouté et actif dans la diplomatie du continent et au-delà, d'inhabituelles critiques de l'ONU et de capitales occidentales. Pour ces mêmes raisons, un certain refroidissement entre Yaoundé et Paris.
Paul Biya a mis en pratique l'adage “diviser pour régner” pour rester au sommet d'un système sans que puissent s'organiser - et encore moins se coaliser - les forces qui auraient pu lui disputer son pouvoir. Stéphane Akoa, politologue camerounais.
Le président Biya a également fait violemment taire toute opposition politique depuis 2018, faisant arrêter - et condamner - des centaines de manifestants pacifiques, dont son rival malheureux à la présidentielle, Maurice Kamto, emprisonné neuf mois sans procès en 2019 et libéré seulement après d'intenses pressions internationales, notamment de la France. "Paul Biya a mis en pratique l'adage “diviser pour régner” pour rester au sommet d'un système sans que puissent s'organiser - et encore moins se coaliser - les forces qui auraient pu lui disputer son pouvoir", résume le politologue camerounais Stéphane Akoa.
Un conflit larvé au Cameroun anglophone
Mais la mandature de Paul Biya reste aussi marquée par un conflit intercommunautaire. Dans l'ouest du pays, une partie de la minorité anglophone s'estime ostracisée par la majorité francophone du pays. Le chef de l'État a toujours refusé toute concession notable. Il a dépêché massivement policiers et soldats d'élite pour réprimer très violemment une rébellion elle-même très meurtrière.
"L'armée n'a pas vocation à régler une telle crise, la matrice de la radicalisation des anglophones est politique et les autorités de Yaoundé ne l'ont pas compris", estime Aimé Raoul Sumo Tayo, chercheur en défense et sécurité. Les rebelles comme les forces de l'ordre sont régulièrement accusés par l'ONU et les ONG internationales de crimes contre les civils, principales victimes d'un conflit ayant déjà fait plus de 6.000 morts depuis 2017 et déplacé un million d'habitants, selon International Crisis Group (ICG).
D'autres violences sont récurrentes sur le sol camerounais. Dans la région d'Extrême-Nord, les djihadistes de Boko Haram et du groupe Etat islamique en Afrique de l'Ouest (Iswap) ont quitté leur berceau du Nigeria voisin ces dernières années pour mener de nombreuses attaques meurtrières.
Des apparitions de plus en plus rares
Aujourd’hui affaibli par les années de pouvoir, Paul Biya n'apparaît plus qu'à l'occasion de très rares discours télévisés, enregistrés et péniblement énoncés. Ou sur des photos et vidéos très "kitschs" de fêtes de famille, au côté de son omniprésente, influente et exubérante épouse, Chantal Biya. Son style tranche singulièrement avec l'austérité du "Sphinx". Une raréfaction qui s’explique aussi par une réélection très contestée en 2018.
Depuis son indépendance de la France proclamée le 1er janvier 1960, le Cameroun n’a connu que deux présidents de la République. Et au bout de quarante ans, nombre d'habitants de ce vaste pays d'Afrique centrale n’ont connu que Paul Biya au pouvoir. Durant les quatre dernières décennies, il a bâti et brisé les carrières des aspirants zélés comme des tartuffes. Parfois d'un coup de menton. Ce contrôle implacable, il l’exerce aussi bien en politique que dans son entourage familial. Au point que, même pour sa succession, les plus en vue n'osent jamais se découvrir.
Il suffit d'un petit coup de tête, et vous n'êtes plus rien du tout Paul Biya,
Président du Cameroun
Paul Biya n'a cure des opinions étrangères comme camerounaise. Il est régulièrement accusé par ses détracteurs de régner depuis une tour d'ivoire ou depuis son village natal de Mvomeka'a, dans le sud, où il passait l'essentiel de son temps ces dernières années quand il n'était pas à Genève. "Il suffit d'un petit coup de tête, et vous n'êtes plus rien du tout": en tançant ainsi un journaliste vedette de la télé publique qui l'interviewait en 1986, Paul Biya affichait déjà la couleur.
Accusé de corruption, mais indéboulonnable
Paul Biya a joué "de la violence et de la terreur, au gré de ses humeurs et des rumeurs, pour asservir ses collaborateurs et soumettre l'ensemble de la population", écrivait, en 2018 dans son livre "Cameroun, combat pour mon pays" Titus Edzoa. Ex-fidèle secrétaire général de la Présidence, il a été arrêté en 1997, pour corruption officiellement. L'homme, pourtant sans histoire, a été interpellé quand il s'est présenté à la présidentielle. Il a passé 17 ans en prison.
En verrouillant le commandement de son armée, confié aux plus proches, et en remettant la formation et l'encadrement des troupes d'élite et sa sécurité personnelle à des Israéliens, il a intimidé jusqu'au premier cercle. Le pays est classé 144e sur 180 dans l'indice de perception de la corruption 2021.
Depuis plusieurs années, sa santé est chancelante. Ses rares sorties à l'étranger ne l'emmènent plus qu'en soins ou en villégiature dans un très luxueux hôtel de Genève, où l'opposition l'accuse de dépenser des fortunes entouré d'une abondante cour. En 2018, un consortium international de journalistes d'investigation, l'Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP), évaluait à quatre années et demi la durée cumulée de ses "séjours privés" à l'étranger en 35 ans, brocardant un "président itinérant", pour un total de 65 millions de dollars.
"Guerre des clans"
Toutefois parler de sa succession est tabou, même pour les plus proches, personne n'ayant jamais osé sortir du bois ni esquissé, du moins publiquement, la moindre intention.
Parmi les candidats putatifs à la succession, Franck Biya, le fils du président, ou Louis-Paul Motazé, le ministre des Finances, sont régulièrement cités. Le premier bénéficiant du soutien de différents groupes baptisés les "franckistes", ou "fébistes", qui aspirent à le voir remplacer son père.
Autre prétendant : le secrétaire général de la présidence (SGPR), Ferdinand Ngoh Ngoh, réputé proche de la très influente Première dame Chantal Biya, qui exerce de facto par délégation une bonne partie du pouvoir exécutif et a placé ses pions au sommet de l'administration.
En cas d'empêchement du président, c'est le président du Sénat, Marcel Niat Njifenji, 88 ans, dont l'état de santé préoccupe au moins autant que celui de Paul Biya, qui assurerait l'intérim.