L’illégitimité permanente par un coup d’état constitutionnel; nécessité
d'un accord politique pour sauver la Centrafrique.
« Le peuple est au principe de la démocratie. Il est le fondement de la légitimité
politique, il se fait entendre à l’occasion des élections intermédiaires et tranche souverainement au terme des mandats nationaux. » Lionel Jospin.
15 mars 2003 / 11 juin 2010, Sept bonnes années consécutives, deux mois et 27 jours.
Nous voici enfin au terme légal d’un régime inclassable, tant et tant les institutions de la république ont été malmenées et bafouées. Un régime qui a commencé dès le début par inquiéter les plus
avertis d’entres-nous à travers les premiers actes qu’il avait eu à poser. Puis, groggy par les lourdes charges et les réalités il s’en est allé à vau-l’eau jusqu’au bout de sa logique en donnant
malheureusement raison à nos inquiétudes.
Une fois de plus, la cour constitutionnelle, au mépris de ses missions qui sont entre-autres celles d’assurer un état de droit, de vérifier la conformité des lois et les représentants de la nation, réunis au sein d’une assemblée nationale monocolore sont passés par des manœuvres illégales pour se compromettre. Elles ont
validé contre la constitution une prorogation de mandat sans aucune condition. Ce, au mépris des dispositions prises par les constituants pour verrouiller la loi fondamentale. En faisant cela,
ces deux grandes institutions de la république, n’ont-elles pas failli aux missions pour lesquelles elles ont été créées ? En prorogeant le mandat du président de la république sans
condition malgré l’article 108 de la constitution, n’ont-elles pas donné un blanc seing à un régime qui est le premier responsable de la situation dans laquelle se trouve notre pays ? Le
principe de la démocratie que nous voulons construire ne repose t-il pas sur le peuple ? Ce peuple que nous méprisons et qui confère par son
seul vote la légitimité politique. Dès lors que la cour constitutionnelle n’a pas su assurer et vérifier la conformité des lois, ne s’est t’elle pas disqualifiée ? Ne devient t’elle pas de
ce fait une institution illégale ? Ne rend t’elle pas ainsi l’acte de prorogation du mandat du général-président illégale, par conséquent le régime lui-même illégitime à partir du 11 juin
2010 ?
Les représentants de la nation qui ont voté comme un seul homme la prorogation du
mandat du président de la République ainsi que les leurs, n’ont-ils pas trahi la confiance que le bon et généreux peuple de Centrafrique leur a donnée pour le représenter ? Ils ont donné un
blanc seing au régime comme si de rien n’était. N’aurait-il pas fallu proroger le mandat de celui-ci avec des garanties et des conditions avec
l’assurance d’aboutir sur un accord politique comme le demande l’opposition ? Dans ces conditions, les prérogatives du chef de l’état ont-elles encore un sens ? Pourquoi un président
qui n’est qu’exceptionnellement reconduit dans une situation exceptionnelle continuerait t-il a bénéficié des mêmes prérogatives qu’auparavant ?
Exactement comme si nous étions dans une situation normale, alors que le régime en place est le premier responsable de cette crise politique. Il a fait preuve d’une incompétence notoire en
démontrant au plus sceptiques qu’il était incapable d’organiser dans les délais prévus des élections libres, justes et transparentes.
La défaillance à tous les niveaux d’un régime inclassable
Indiscutablement en se basant sur les seuls critères objectifs de la bonne
gouvernance, le régime du général-président Bozizé a failli. Une défaillance avérée à tous les niveaux malgré les multiples aides et autres facilités octroyées ici et là par la FMI, la banque
mondiale, la francophonie, la France, les Etats-Unis, la Chine, les organisations financières régionales. Ce, aux grands mépris des conditionnalités imposées naguère aux autres régimes que notre
pays a connu. Toutes ces aides obtenues sans condition et avec une facilité déconcertante ont fait du régime du général-président, le régime qui a reçu le plus d’aides au développement depuis les
années 1980. Outre ces multiples soutiens internationaux et pendant toutes ses sept longues années, le régime a fait preuve d’un autoritarisme exacerbé comme lors du dialogue politique inclusif
pendant lequel il avait pris des décisions unilatérales envers et contre tous. Il a jouit sans partage aussi bien du pouvoir exécutif, du pouvoir législatif que de l’autorité judiciaire.
Autrement dit, tous les éléments déterminants qui sont l’argent, la force, la justice, le soutien de la communauté internationale étaient à la disposition du régime. Des éléments qui sont réunis
pour la manifestation effective d’une bonne gouvernance. Hélas ! Encore hélas ! Sept années plus tard notre pays continue sa descente
abyssale dans les profondeurs de la mauvaise gouvernance, du sous développement. La faute appartient bien sûr à toute l’opposition, aux leaders d’opinions, aux syndicats, aux journalistes qui ont
le tort d’accomplir leur mission de contre-pouvoirs ou encore aux simples citoyens qui manifestent leurs inquiétudes pour l’avenir du pays, de leurs enfants. Ils ne peuvent êtres que des jaloux
du régime, des ennemis du peuple qui sont au service de l’étranger.
Aussi, il serait temps de faire un état des lieux du régime afin de rappeler à ceux
qui brandissent victorieusement le paiement des fameux « 2sims »de modérer leur triomphalisme.
Panorama d’un régime incompétent
En sept années de règne sans partage, le régime du général-président a failli sur
plusieurs plans.
1° Au niveau de la politique intérieure. Le régime s’est évertué au lendemain des
élections de 2005 par un non respect très significatif de la constitution qui ne s’imposait pas alors que toute l’opposition a accepté et reconnu le régime. La constitution a été bafouée à
plusieurs égards et d’une manière méprisante aussitôt après les élections de 2005 : un cumul de fonction dans le gouvernement, de nombreux
cas de manquement au serment prêté, un bâillonnement de la presse privée, une entrave à la liberté d’association, un mépris des travailleurs et
syndicats, des crimes et assassinats politiques jusque là restés impunis, des crimes économiques, une insécurité sur toute l’étendue du territoire (accentuée par une logique de va-t-en guerre de
la part du régime), un non respect des recommandations du dialogue politique inclusif (Cette attitude a fini par susciter d’autres frustrations légitimes au sein de l’opposition démocratique et
la radicalisation des positions), une incapacité à organiser dans les délais prévus les élections présidentielles et législatives, un coup d’état constitutionnel avec la complicité de la cour
constitutionnelle (au lieu d’un accord politique d’où fuite en avant du régime).
2° Au niveau de la gestion publique. Nos compatriotes ont assisté écœurés à
d’innombrables nominations arbitraires et complaisantes dans l’armée et la fonction publique, un affairisme et clientélisme scandaleux (collaboration avec des hommes qui sont poursuivi par la
justice internationale), un clanisme outrageux, une utilisation inconsidérée des aides à d’autres fins personnelles, des barrières routières illégales dans le pays qui entravent la liberté
d’aller et de venir ( interdiction de sortir du pays et confiscation de passeport d’hommes politiques) et enfin notre pays, la république centrafricaine est classée 179 sur 182 des pays pauvres
(indice de développement humain).
3° Au niveau de la politique extérieure. Une diplomatie hasardeuse, dangereuse,
populiste et incohérente qui privilégie plutôt l’axe Iran/Venezuela que celui des démocraties occidentales Europe/USA, Une Coopération avec des
réseaux parallèles pour se fournir en armes et matériels de guerre. Une inexistence notoire en terme « de poids politique » dans la Cemac et encore moins au niveau international.
Le paiement des « 2sims » n’est pas un acte de générosité mais un droit
pour les salariés
Face à ce bilan désastreux et irresponsable, les rares caciques du régime brandissent
triomphalement le double paiement de salaires, les fameux « 2sims ». Voilà que le salaire, ce minimum vital pour de nombreuses familles centrafricaines qui est un droit absolu est
présenté comme la manifestation d’une quelconque générosité du régime en place. Le régime omet volontairement de préciser à nos compatriotes qui l’ignorent que la continuité de l’état veuille
dire quelque chose. Quoi de plus normal et de légal que de payer à terme les salaires pour un gouvernement. Fussent-ils des arriérés de salaires des régimes précédents. Il est vrai que la
continuité de l’état, cette notion est complètement étrangère à nos gouvernants. Voilà que le paiement de salaires qui représente le fruit de
l’effort et de la sueur de nos salariés est évoqué dans toutes les situations qui compromettent le régime pour justifier toutes les extravagances et autres flagrants manquements de celui-ci.
Autrement dis, je vous paie les salaires et j’ai le droit de disposer du pays et de vous comme bon me semble. Le KNK qui prône les valeurs de travail par conséquent du mérite par le travail
peut-il se vanter de verser seulement et seulement les salaires ? Des salaires assurés par l’argent de la générosité des pays donateurs et des emprunts fortement taxés. Une victoire toute relative sur les salaires au goût amer si nos compatriotes venaient à comprendre que ces salaires sont payés avec de l’argent des
aides détournés de leurs objectifs initiaux, des emprunts d’argents qui sont contractés ici et là malheureusement à un taux très élevé. Des intérêts élevés dont les conséquences à moyen et à
court terme ne pourront êtres que plus destructeurs. Un cadeau empoissonné que nous laisserons d’une manière lâche à nos enfants le soin de rembourser.
A-t-on le droit de payer les salaires avec les aides rien que les aides octroyées
généreusement à notre pays et qui sont destinées normalement à résoudre des problèmes autres que ceux des salaires ?
A-t-on le droit de payer les salaires avec de l’argent emprunté ? Qui paiera ces
intérêts qui sont colossaux ? Nos enfants ou nos petits enfants ?
Accord politique pour sauver la Centrafrique
En définitive, nous retiendrons que la situation dans notre pays est exceptionnelle
et très préoccupante. Le régime du général Bozizé ne peut plus continuer à jouer à ce jeu dangereux et réclamer une légalité qu’il n’a plus. Toute l’opposition, la communauté internationale,
nombres de ses collaborateurs et des citoyens responsables ont proposé et soutenu exceptionnellement l’idée de proroger son mandat afin de préparer des élections justes et transparentes. La
situation du pays nous l’imposait. Cela ne constitue ni une caution ni une faiblesse à la politique irresponsable menée depuis le 15 mars 2003 par le général Bozizé et encore moins une victoire
de celui-ci sur la classe politique de l’opposition. Ce n’est que la manifestation de la volonté d’une certaine prise de conscience pour éviter à notre pays d’emprunter une voix sans issue. Le
général Bozizé doit comprendre cela.
A situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles. Le régime a failli sur plusieurs
plans après sept années de règne absolu. Il s’est montré incapable d’organiser les élections dans les délais prévus. Du moment où la cour constitutionnelle et l’assemblée nationale n’ont pas joué
leur rôle, elles se sont compromises et disqualifiées. Il ne fait aucun doute que la prorogation du mandat sans condition du général-président devient de facto un acte illégal et annonce le
caractère illégitime du régime. Seul un accord politique digne de ce nom pourra sauver notre pays, la République centrafricaine.
Franck SARAGBA
« De l’esprit fini kodé »