17/06/2010 à 07h:25 Par François
Soudan
Depuis la fin de mai, dans la plus
grande discrétion, le Fonds monétaire international a suspendu ses décaissements aux États membres de la Cemac. Motif :
des dysfonctionnements dans la gouvernance de la Banque centrale.
Qui paie commande. L’adage, aussi
vieux que la monnaie fiduciaire, pourrait figurer en tête du communiqué final de la réunion extraordinaire des six chefs des États membres de la Commission de la Communauté économique et
monétaire de l’Afrique centrale (Cemac), qui s’est tenue le 6 juin à Brazzaville.
L’opinion n’en a rien su, mais
c’est en vertu de cet aphorisme que le président du pays le plus riche de la région, l’Équato-Guinéen Teodoro Obiang Nguema, appuyé en cela de façon décisive par son homologue congolais, Denis
Sassou Nguesso, hôte du sommet et patron en exercice de la Cemac, est parvenu à sauver la tête de son compatriote Lucas
Abaga Nchama, nommé il y a à peine six mois au poste stratégique de gouverneur de la Beac, la Banque centrale commune aux six États de la région (Cameroun, Centrafrique, Congo, Gabon,
Guinée équatoriale, Tchad). Si rien d’autre qu’une petite phrase pudique sur la persistance de « dysfonctionnements au sein de l’institut d’émission » n’a transpiré du long huis clos, le nouveau gouverneur, lui, a bien senti passer le vent du boulet.
Au cours de la réunion
préparatoire du sommet des chefs, cinq ministres des Finances sur six avaient en effet évoqué sa démission comme seule voie de sortie à la crise feutrée, mais lourde de conséquences, qui oppose
une Beac encore fragilisée par le scandale,
en 2009, du Bureau extérieur de Paris, au monstre froid de Washington qu’est le Fonds monétaire international (FMI).
L’information est encore
confidentielle, mais elle explique à elle seule la fronde de Brazzaville et l’atmosphère tendue des débats du sommet. Le FMI a décidé, à la fin de mai, de suspendre tous ses décaissements en
faveur des pays membres de la Cemac. Cette sentence figure quasi telle quelle dans une longue lettre datée du 28 mai 2010, signée d’Antoinette Sayeh, la directrice du département Afrique du Fonds, envoyée aux six ministres des
Finances de la région – et dont J.A. a obtenu copie (voir ci-dessus). Motif :
le non-respect par la Beac du plan de « retour à la crédibilité » conclu à la fin de décembre 2009 avec le FMI.
L’ancienne ministre des Finances
du Liberia y relève notamment l’absence de documents justificatifs « pour des opérations totalisant près de 5 milliards d’euros », le déficit de contrôle par le siège de la Beac des « opérations
de change engagées par les directions nationales » et « le risque d’un nouveau problème majeur en matière de sauvegarde ». Conclusion :
« Étant donné les montants en jeu, les services du FMI ne peuvent recommander au conseil d’administration d’approuver de nouveaux décaissements à travers la Beac. […] Il est nécessaire et urgent
de redoubler d’efforts afin que la Beac soit un dépositaire sûr et crédible des réserves des pays membres de la Cemac. »
Rapports
exécrables
Premières victimes collatérales de
ce bras de fer :
le Congo et la Centrafrique, dont les revues par le FMI (sortes d’examens de passage débouchant sur de nouveaux versements), initialement prévues pour la fin de mai, ont été reportées sine die.
Ce qui est plutôt ennuyeux pour les autorités de Brazzaville, qui devaient voir confirmés les progrès accomplis dans l’exécution de leur programme, avec annulation de dettes à la clé, et
carrément inquiétant pour celles de Bangui, qui, à l’approche de l’élection présidentielle, comptaient sur un décaissement immédiat de plus de 10 milliards de F CFA (15,2 millions d’euros). Le
Gabon, le Tchad et le Cameroun, sous programme FMI à des degrés divers, sont également concernés. Seule la Guinée équatoriale, qui n’entretient pas de relations avec le Fonds, est épargnée.
Principal contributeur aux caisses de la Beac, ce pays est aussi celui… du gouverneur Abaga Nchama.
Un gouverneur « maison » (il est issu
du centre de formation de la Beac) que ses collègues accusent d’être directement à l’origine de ce grave blocage. À les en croire, ses relations seraient tendues avec la directrice
Afrique du Fonds et mauvaises avec le cabinet d’audit camerounais CAC, chargé de l’inspection de tous les transferts de la Beac.
À Brazzaville, Lucas Abaga Nchama
s’est défendu, en dénonçant notamment la mauvaise volonté à son égard de certains hauts responsables de la gouvernance de la Banque, dont il a d’ailleurs obtenu le départ. Il
est vrai que ses rapports personnels avec eux étaient exécrables, ainsi qu’en témoigne un échange de lettres, dont J.A. s’est procuré copie, entre le contrôleur général Théodore Dabanga (ancien
ministre des Finances de la Centrafrique) et le gouverneur, en date des 17 et 25 mai dernier.
À Dabanga, qui l’interrogeait, en
termes secs, sur son propre rôle au sein de la Beac, Abaga Nchama répondait, après avoir relevé le caractère selon lui « injurieux » de cette missive :
« Vous voudrez bien à l’avenir éviter ce type de correspondance que je juge parfaitement déplacée. » Ambiance…
En attendant que la Banque
centrale retrouve enfin sa sérénité – et sa crédibilité –, les chefs d’État réunis à Brazzaville ont décidé d’envoyer à Washington le président de la Commission de la Cemac (laquelle a
en quelque sorte mis sous sa tutelle la gouvernance de la Beac), le Camerounais Antoine Ntsimi, pour renouer les fils avec le FMI. Et négocier avec l’intraitable Antoinette Sayeh, laquelle se
dit, dans sa lettre du 28 mai, « consciente des problèmes ainsi créés » et « déterminée à [les] aider, ainsi que la direction de la Beac, à résoudre ces problèmes ». Reste que le Fonds n’a pas
d’états d’âme, et qu’il ne reste au Congo et à la Centrafrique, qui ont consenti pour cela de lourds efforts – notamment le relèvement drastique des prix du carburant – qu’à pleurer sur leurs
droits de tirage perdus. En guise de compensation et devant l’insistance de ses pairs (particulièrement Déby et Biya), Denis Sassou Nguesso a récupéré le pilotage du dossier stratégique des
réformes de la Banque centrale, géré depuis 2006 par son homologue équato-guinéen. Un joli lot de consolation, en somme.
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INTERNATIONAL MONETARY FUND
WASHINGTON DC. 20431
Le 28 mai 2010
Monsieur Albert Besse
Président du Comité Ministériel
CEMAC
Bangui, République centrafricaine
Monsieur le Président,
Comme vous en avez sans aucun doute été averti, la Direction du FMI a décidé de reporter l’examen par le Conseil d’Administration des revues pour la République
centrafricaine et la République du Congo qui devaient avoir lieu cette semaine. Je vous écris pour vous expliquer la raison de cette décision.
Comme vous le savez, et comme M. Plant l’a réaffirmé dans sa lettre datée du 21 mai 2010, la Direction du FMI avait approuvé antérieurement la conclusion des revues
pour les pays membres de la CEMAC jusqu’à fin mai 2010 conformément à notre politique existante concernant les problèmes en matière de sauvegarde à la BEAC (voir ma lettre en date du 11 novembre
2009 à M. Essimi Menye, Président du Comité Ministériel de la CEMAC). Cependant, conformément à cette approche, l’accord de la Direction pouvait être
réexaminé si de nouvelles informations importantes relatives aux problèmes en matière de sauvegarde venaient à être révélées. Malheureusement, force est de constater que tel est bien le
cas.
En fin de semaine dernière, les services du FMI au siège ont reçu un exemplaire du rapport préliminaire sur l’audit spécial des pratiques comptables et budgétaires
de la BEAC. Si nous n’avons pas encore eu le temps d’examiner en détail ce long rapport, il y a, d’après les conclusions préliminaires de l’audit, de sérieuses raisons de craindre l’apparition
d’un nouveau risque en matière en matière de sauvegarde. En effet, selon le projet de rapport, le siège de la BEAC ne contrôle pas les opérations de change engagées par les directions nationales.
En outre, pour des opérations totalisant près de 5 milliards d’euros, les auditeurs n’ont pu trouver des documents justificatifs.
Cette observation est préliminaire et nécessite une enquête plus approfondie. Hier, nous avons reçu une lettre du Gouverneur Abaga Nchama qui fournit deux
précisions, mais d’autres questions doivent encore être éclaircies. Au minimum, le rapport d’audit préliminaire laisse entrevoir le risque d’un nouveau en matière de sauvegarde, et, étant donné
les montants en jeu, les services du FMI ne peuvent recommander au Conseil d’Administration d’approuver de nouveau décaissements à travers la BEAC jusqu’à ce que cette question soit éclaircie.
C’est pourquoi nous avons dû reporter l’examen par le Conseil d’administration des revues pour la République centrafricaine et la République du Congo.
Nous sommes conscients des problèmes ainsi créés, et nous nous employons à trouver un moyen de procéder à ces revues. De manière plus fondamentale, cependant, les
conclusions préliminaires de cet audit soulignent de nouveau qu’il est nécessaire, et urgent, de redoubler d’efforts afin que la BEAC soit un dépositaire sûr et crédible des réserves des pays
membres de la CEMAC.
Je tiens à vous assurer que nous restons déterminés à vous aider, ainsi que la Direction de la BEAC, à résoudre ces problèmes.
Veuillez agréer, Monsieur le Président, l’expression de ma haute considération.
Antoinette M. Sayeh
Directrice
Département Afrique
Cc : S.E. M. Gata Ngoulou
Ministre des Finances et du Budget du Tchad
S.E. M. Gilbert Ondongo
Ministre des Finances, du Budget et du Portefeuille public de la République du Congo
S.E. M. Melchor Essono Edjo
Ministre des Finances et du Budget de Guinée Equatoriale
S.E. M. Magloire Ngambia
Ministre de l’Economie, du Commerce, de l’Industrie et du Tourisme du Gabon
S.E. M. Essimi Menye
Ministre des Finances du Cameroun
M. Lucas Abaga Nchama, Gouverneur de la BEAC
M. Laurent Rutayisire, Administrateur pour les pays de la CEMAC, FMI