Cette réflexion que nous voulons partager est celle d’un observateur avisé des processus électoraux en Afrique, mais puisera la quintessence de ses propos dans l’expérience centrafricaine, qui du reste et dans une certaine mesure, est similaire à la plupart des autres pays de la région.
Quand il ya quelques années, l’une des grandes figures politiques françaises clamait que « la démocratie est un luxe pour les Africains », ses propos soulevèrent à l’époque un tollé général et d’aucuns y ont perçu des relents racistes.
Mais en scrutant le chemin parcouru depuis, les faits semblent donner raison à cet homme et on serait tenté de les considérer comme prémonitoires.
Aujourd’hui nombreux sont les Africains, du moins ceux qui sont soucieux du devenir de leur pays qui s’interrogent, parfois se culpabilisent.
Car, comment expliquer, que ce grand espoir dont les peuples nourrissaient, à juste titre, se transforme en un véritable cauchemar.
Comment expliquer que plus de trente ans après, les centrafricains fassent l’apologie d’un régime qui, en son temps, était voué aux gémonies et qui avait atteint l’apogée de la bêtise humaine, car érigé en empire.
Oui c’est qu’i y a véritablement problème.
Mais disséquons les différentes étapes afin d’extirper les principales causes et éventuellement formuler quelques pistes de réflexion.
Après la chute du mur de Berlin et la célèbre déclaration historique de la Baule de F. Mitterrand instituant « une prime à la démocratie », et surtout devant la misère où les peuples croupissaient, un peu partout en Afrique francophone, s’est répandue comme une traînée de poudre un vaste mouvement de contestations populaires.
Des voix s’élevèrent un peu partout pour réclamer :
Le multipartisme ;
Des élections libres et transparentes ;
Des conférences nationales souveraines………
Ces différents mouvements ont abouti à ce qu’on pourrait appeler « une nouvelle ère » pour ces pays ; même si l’issue finale n’était pas de même facture.
En effet, la volonté populaire a eu raison de certains régimes, c’est par exemple le cas de la RCA, alors que d’autres, nonobstant l’ouverture démocratique, ont réussi à se maintenir au pouvoir.
Dans le premier cas le peuple n’avait de cesse à crier victoire tandis que dans le second, il digérait un goût amer de défaite.
Mais dans les deux cas, cette première décennie d’expérience démocratique aura été une grande déception pour tous les peuples.
En effet, les nouveaux arrivants finirent par montrer qu’ils n’étaient que des assoiffés de pouvoir en faisant, en matière de gouvernance, pire que leurs prédécesseurs ; tandis que les anciens barons accrochés au pouvoir perpétuaient le même mode de gestion d’antan.
En clair, les aspirations profondes des larges populaires étaient leur dernier souci.
C’est ainsi qu’on allait assister à un désintérêt total du peuple aux différents processus électoraux, les taux de participation aux consultations électorales n’excédant guère les 30%.
Les mêmes cause produisant les mêmes effets, de vives tensions éclatèrent un peu partout dans ces pays à telle enseigne que certains comme la RCA ont vu le processus démocratique interrompu par un coup d’Etat, dans d’autres pays, les régimes ont pu contenir les contestations.
Les élections n’intéressaient plus la majorité sauf dans des cas exceptionnels où le désir du peuple de voir le changement reprenait le dessus : Gabon, Togo…..
Pourquoi cette désaffection populaire quant à l’exercice du devoir citoyen que constitue le vote ?
Si l’on peut avancer, sans certainement se tromper, qu’elle est liée à la non appropriation encore moins à l’internalisation des principes fondamentaux qui régissent les élections par tous les acteurs au processus, il convient d’intégrer toute la dimension socioculturelle qui n’est pas toujours en phase avec les exigences démocratiques.
Ainsi sous l’angle social, on peut relever un peu partout en Afrique, après deux décennies d’expérience d’élections multipartites :
Le facteur ethnique et régionaliste prend le pas sur le concept « nation » nécessaire à l’unité de tout un peuple. C’est ainsi que les différents candidats (parti au pouvoir ou opposition) ont toujours fait le plein de voix dans leur région respective ou dans des circonscriptions où leur ethnie est majoritaire. L’heureux élu est celui qui arrive, généralement, largement en tête d’abord dans sa région et éventuellement dans certaines régions, sinon toujours second dans les régions où sont « les grosses pointures » natifs desdites régions. D’où un fort élan ethnique ou régionaliste qui sous-tend les élections en Afrique ;
Par ailleurs, quand on observe les élections législatives ou locales, on se rend compte que très souvent une circonscription donnée est constituée des membres d’un même clan ou d’une même ethnie, qui de tout temps, ont vécu dans une parfaite harmonie. Pour peu que deux ou trois membres de famille différente présentent leur candidature ; Celle-ci se traduit nécessairement par une fracture au sein du clan et/ou de l’ethnie, mettant ainsi en péril la cohésion de toute une communauté. Doit on, au nom d’une « démocratie mal maîtrisée » sacrifier le fondement de la société avec comme conséquence l’éclatement de la nation ?
Il convient aussi de relever que dans certains pays, dont la RCA, durant la législature ou pendant les périodes de campagne on remarque une recrudescence de décès soit des députés titulaires soit des candidats. Ce qui généralement entraîne une bataille rangée entre la famille du de cujus et celle des suppléants ou des autres postulants. Phénomène qui a comme conséquence de saper aussi la cohésion sociale. Des esprits cartésiens trouveront cette assertion d’obscurantiste, mais le but de cette réflexion est de relever tous les tabous qui sont de nature à écorcher sévèrement l’implantation de la démocratie dans nos pays ;
La mise en place des commissions électorales découlait du manque de confiance que les différents acteurs plaçaient dans les départements ministériels en charge des opérations électorales. Après deux décennies d’expérience pluraliste, les commissions électorales, quand bien même composées des représentants de toutes les parties prenantes au processus, sont partout « décriées ».. en Afrique. La question qui vient à l’esprit est celle de savoir quelle structure inventée à nouveau ?
Sous l’angle social
Comme relevé ci-haut, les différents acteurs de quelque bord où ils se trouvent dès l’accession au pouvoir essaient par tous les moyens de « tailler » les textes à leur mesure :
Ceux qui sollicitent le suffrage populaire mettent en place toute une armada de stratégie pour absolument gagner les élections. Celle-ci passe par la main mise sur les structures en charge de la gestion des élections, la manipulation du fichier électoral, l’achat des consciences des électeurs…….. ;
Très rarement la notion de « défaite » est intégrée dans leur approche à telle enseigne qu’on en arrive à des slogans du type « on gagne ou on gagne » qui peut laisser pantois tout observateur avisé ;
Les projets de société et/ou les professions de foi sont très souvent des « copier/coller » alignant une litanie de promesses qui ne sont généralement pas en phase avec les réalités encore moins les potentialités du pays ;
Quant à l’électorat, étant à majorité analphabète, privilégie généralement dans son choix l’ethnie, la région, les subsides récoltés lors de la campagne et n’accorde aucune espèce d’importance aux projets de société et/ou à la profession de foi des candidats ;
D’ailleurs on observe de plus en plus, de nombreux jeunes et moins jeunes allant dans tous les meetings des différents candidats en quête d’hypothétiques pécules et autres tee-shirt. Et le jour du scrutin, la plupart reste terrer chez eux. N’a-t-on pas entendu en RCA, « On mange, on boit, mais on ne vote pas »
Sur le plan financier
L’organisation des élections est un acte de souveraineté au niveau d’un Etat et à ce titre il lui appartient de l’assumer totalement. Or d’une manière générale et eu égard à la situation de trésorerie de la plupart des Etats, le processus électoral a souvent été financé par les partenaires extérieurs.
L’impression qui se dégage est celle qui constituerait à dire surtout aux partenaires occidentaux « comme c’est vous qui nous avez imposé la démocratie, financez la…. »
Tels sont, brièvement relevés, les facteurs bloquants d’une implantation véritable et par delà de la consolidation de la démocratie dans nos différents pays.
Tout en rappelant que les élections ne constituent qu’un des piliers de la démocratie, étant bien entendu que celles-ci doivent déboucher sur une bonne gouvernance politique, économique, sociale et culturelle sous-tendue par une réelle volonté patriotique doublée elle-même d’un sens élevé de l’intérêt général, nous osons formuler ci-dessous quelques pistes de solutions qui pourront être enrichies par des échanges et/ou des études plus approfondies.
Il convient tout d’abord de relever qu’on ne saurait exiger de nos pays de s’ériger, en deux décennies, au même niveau de la démocratie que ceux qui ont mis deux siècles, sans d’ailleurs parvenir à une démocratie parfaite si tant est qu’elle existe.
En tenant compte du constat dégagé ci-dessus et sans vouloir dépouillé le peuple de la seule arme dont il dispose pour sanctionner ou récompenser ceux qui, grâce à son choix, ont la lourde responsabilité de conduire sa destinée ; l’heure est certainement venue pour que, très sereinement et en toute responsabilité, l’on repense le système électoral dans nos pays.
Quand on se réfère à l’histoire de nombreux pays qui ont, aujourd’hui, adopté le suffrage universel direct, on remarque qu’ils sont passés par plusieurs étapes.
Sans vouloir réinventer la roue, l’une des pistes de solutions pour des élections apaisées serait le système des grands électeurs à adapter aux réalités sociologiques de chaque pays.
Ainsi, tout citoyen en âge de voter sera appelé à exercer son droit civique au niveau de la base à savoir le choix du chef de village ou de quartier.
Cette option a plusieurs avantages :
le choix de l’électeur est plus réfléchi et plus responsable. En effet comme mentionné plus haut, le citoyen lambda n’assoit généralement pas son choix, pour un candidat à la présidence, sur des bases objectives, d’ailleurs n’ayant jamais été en contact avec un chef d’Etat. Alors qu’il portera une attention particulière quant au choix de son chef de village ou de quartier.
Ce système a aussi l’avantage de faciliter la mise en place d’un fichier électoral fiable. Une structure locale moins coûteuse peut avoir en charge l’enrôlement des électeurs. Ce qui éviterait les inscriptions multiples et/ou irrégulières dans la mesure où généralement les habitants d’un quartier ou d’un village se connaissent presque tous.
Le coût d’un tel système est peu élevé, l’Etat pourrait donc assurer les charges sans recourir aux partenaires extérieurs.
La seconde phase du processus serait celui qui consisterait à ce que les chefs de quartier et de village élisent les membres du conseil municipal de leur arrondissement ou de leur commune.
L’avantage de ces deux étapes est que le choix porterait plus sur des personnes qui présenteraient le profil de leader, de référence et surtout de modèle pour leur électeur dans la mesure où il s’agit plus d’une gestion de proximité du village, du quartier, de l’arrondissement, de la commune.
La troisième étape consisterait à ce que le collège des chefs de quartier ou village d’une circonscription, tout comme les membres du conseil municipal de ladite circonscription aient la charge d’élire leur député.
Enfin, le parlement ainsi constitué aura la lourde charge d’élire le Président de la République.
Comme il a été dit plus haut cette piste jette les bases d’une réflexion qui gagnerait à être approfondie en tenant compte des réalités socioculturelles de chaque pays et bien évidemment des désidératas de chaque peuple qui est seul souverain.
Le débat valait la peine d’être risqué,
Dès lors il est ouvert…………
G. WAMOKOBOSSABI M.
Observateur International des Elections
Le 23 Juin 2011