Doit-on confondre « vacance du pouvoir » et « vacuité des pouvoirs publics » en droit constitutionnel ?
Contribution d’un ancien ‘’DG de l’ENAM’’ à la compréhension non seulement des supputations doctrinales, mais aussi des tentatives de récupération politiciennes des risques de vacance du pouvoir, éventuellement occasionnés par la pandémie du coronavirus en Centrafrique.
Bref, le mécanisme de vacance de pouvoir étant brièvement présenté et illustré par des exemples tirés de l’histoire politique et constitutionnelle aussi bien de la France que de notre très cher et beau pays la RCA, qu’en est-il cependant du concept de « vacuité des pouvoirs publics » ?
- La vacuité des pouvoirs publics, un concept constitutionnel nécessitant la proclamation de la force majeure et favorisant un recours à des pouvoirs exceptionnels
En ce qui concerne la vacuité des pouvoirs publics, il importe de suivre attentivement les explications un peu kilométriques, mais assez édifiantes de Mme Elise BOZ-ACQUIN : « parfois, écrit cette constitutionnaliste, l’ordre juridique, aussi perfectible et organisé soit-il, et tout en étant toujours en quête d’anticipation, ne peut se prémunir de l’inaction de ceux-là mêmes qui sont chargés de son effectivité, à savoir les organes de l’Etat. C’est-à-dire ceux-là mêmes qui sont chargés d’appliquer ce droit posé. Une éventuelle vacuité de leur part ferait que le respect de l’ordonnancement juridique serait dévoyé. Le respect de l’ordre juridique étant in fine entre les mains de ceux auxquels il est confié : les organes qui agissent au nom et pour le compte de l’Etat. S’agissant cette fois du cas précis de la vacuité des pouvoir publics,le droit romain de l’ère républicaine avait instauré la procédure du Senatus consultum ultimum. En effet, poursuit Mme BOZ-ACQUIN, il y avait des cas où le fonctionnement régulier des pouvoirs publics pouvait être altéré alors que les magistrats réguliers étaient en fonction : il s’agissait précisément soit de l’inaction soit de leur empêchement.
La vacuité résulte ainsi de l’inaction d’un magistrat ou de son empêchement. Une vacuité se traduit par une absence d’exercice des attributions légalement dévolues qui débouche sur une vacance de fait du magistrat. Une vacuité pouvant aller jusqu’à porter atteinte à l’intégrité de l’Etat romain, en cas de menaces pesant sur la Cité, telle une guerre civile ou une guerre étrangère. Dans ce cas de figure, le Sénat pouvait adopter un Senatus Consultum ultimum (SCU), c’est-à-dire un avis ou une résolution proclamant la force majeure. L’intervention du Sénat, qui se fait sous forme de SCU permet de faire face à un cas de force majeure sans recourir au processus de l’Interrègne.
D’ailleurs, renchérie Mme BOZ-ACQUIN, l’absence d’exercice des magistratures régulières est soulignée par T. Mommsen en mettant l’accent sur le fait que la vacance légale – Interregnum- n’est aucunement requise. Le Professeur Saint-Bonnet estime, pour sa part, que le Senatus Consultum ultimum est une violation de la Constitution-et qui en tant que tel, ne rentre pas dans le cadre de l’état d’exception. Selon T. Mommsen, il s’agit simplement d’une dérogation pour pallier l’inaction des magistrats supérieurs en adressant une invitation à agir. »[42]
Appliquer au cas centrafricain, la crise sanitaire du coronavirus qui constitue incontestablement une menace pesant sur la Cité centrafricaine, pourrait à long terme empêcher les autorités de ce pays de s’acquitter convenablement de leurs obligations constitutionnelles, notamment celle d’organiser les élections dans le délai constitutionnel. Pour utiliser un vocabulaire à la mode, aussi longtemps que sévira la pandémie du coronavirus, bien entendu avec ses multiples conséquences sur le plan national et international, les pouvoirs publics centrafricains seront « confinés » dans l’inaction ou dans une expectative légitime[43] (art. 8, al.4 de la Constitution de 2016). En raison des mesures de confinement, l’Autorité nationale des élections (ANE), par exemple, ne peut poursuivre comme il se doit les formalités antérieures ou préalables au déroulement des élections groupées prévues pour le 27 décembre 2020 (cartographie, enrôlement, recensement de la population, inscription sur les listes électorales, acquisition du matériel électoral…) Et la question soulevée par l’ancien Ministre Adrien POUSSOU garde toute sa pertinence, notamment celle de savoir si la non-organisation de l’élection présidentielle dans le délai constitutionnel pouvait être considérée comme un « empêchement définitif » et ouvrir ainsi la vacance du pouvoir. A cet égard, il convient de dissiper une confusion épistémologique créée par les rédacteurs de la Constitution du 30 mars 2016 et reprise par notre jeune collègue ÉRENON dans son article. « Au-delà du 30 mars 2021, écrit en effet ce jeune collègue, et en l’absence d’organisation à bonne date de l’élection présidentielle, le mandat de l’actuel Président de la République, Chef de l’Etat expirerait. D’un point de vue constitutionnel, il s’agirait d’un cas d’empêchement définitif (article 47 al.2 de la Constitution du 30 mars 2016). »
A l’instar du professeur Michel TROPER, au sujet de la critique d’un ensemble de ses articles sur la « théorie réaliste de l’interprétation »[44] par OTTO Pfersmann, l’interprétation que notre jeune collègue ÉRENON donne des dispositions de l’article 47 al. 2 suscite immédiatement la réplique ci-après : étant donné qu’à l’article 47 al. 3, le Comité spécial statue « après avis distinct et motivé de trois Médecins, et comprenant obligatoirement le médecin personnel du Président de la République », à notre avis, il s’agit incontestablement d’un empêchement pour cause de maladie, exactement comme en droit romain. Cet empêchement imprévisible[45], lequel peut intervenir brusquement en cours de mandat, n’a strictement rien à voir avec la cessation des fonctions du Président de la République le 30 mars 2021, date déjà prévisible (art.35 al.2 sur la durée du mandat présidentiel). De plus, puisque nous ne sommes que dans des hypothèses, si le Président de la République en exercice est autorisé à légiférer à compter du 29 mars 2021 par ordonnance, serait-il définitivement empêché d’exercer ses fonctions à partir du 30 mars 2021 ? Cependant, pour anticiper sur une éventuelle vacance du pouvoir à compter exactement du mercredi 31 mars 2021 vers zéro (0) heure, faudrait-il proroger le mandat du Président de la République ainsi que celui des membres de la représentation nationale ?
Tout en faisant fi de la « Lettre ouverte »[46] publiée par le porte-parole du Groupe de travail de la société civile et tout en s’agrippant fortissimo à l’article 156 de la Constitution du 30 mars 2016, certains représentants du peuple centrafricain se proposent de réviser les dispositions des articles 35 et 68 de notre loi fondamentale aux fins d’une prorogation, comme en 2010 sous l’ancien président François BOZIZÉ, des mandats du Président de la République et des Honorables députés pour cas de force majeure. Une telle démarche appelle, de la part d’un constitutionnaliste de haut niveau, deux observations d’ordre juridique.
Primo, si l’article 156 de la Constitution de 2016 confère à l’Assemblée nationale l’exercice de « la totalité du Pouvoir Législatif », en attendant la mise en place du Sénat, cet article ne confère pas pour autant à l’Assemblée nationale la totalité du « pouvoir constituant ». A écouter les initiateurs de la proposition de révision de certaines dispositions de la Constitution de 2016, l’on a effectivement comme impression que dans leur subconscient, pour reprendre le Professeur Emmanuel Sur, « le pouvoir constituant n’existe pas »[47]. Or, et c’est ici le lieu de le faire remarquer, les constitutionnalistes font bel et bien une distinction entre « Pouvoir législatif » et « Pouvoir constituant »[48]. Les rédacteurs de la Constitution centrafricaine du 30 mars 2016 ne se sont pas abstenus d’y incorporer cette distinction : on la retrouve d’une part au « Titre IV » de la Constitution consacré exclusivement au « Pouvoir Législatif » et, d’autre part, un peu plus loin, au « Titre XV », notamment l’article 152, al.1 qui traite du « Pouvoir constituant dérivé ». Le pouvoir législatif est le pouvoir de voter des lois, en l’occurrence les lois ordinaires et les lois organiques qu’il ne faut nullement confondre avec la Constitution, œuvre du pouvoir constituant. C’est ce qui ressort d’ailleurs explicitement des dispositions de l’article 63 dernier alinéa de la Constitution du 30 mars 2016 : « Le Parlement légifère et contrôle l’action du Gouvernement ». Tel qu’il est clairement rédigé, on n’a point besoin d’être Maître de Conférences à l’Université de Bangui pour comprendre les dispositions de cet article. En effet, comme cela saute à l’œil, aucune allusion n’est faite ici ni à l’élaboration, ni à la révision ou modification de la Constitution. Il convient de préciser que conformément à la hiérarchie des normes élaborée par le juriste autrichien Hans Kelsen, la Constitution se situe au sommet de l’ordonnancement juridique. A ce titre, cette Grundnorm (norme fondamentale) ne peut être formellement adoptée et révisée ou modifiée que par « une autorité spéciale et par une procédure spéciale » (pouvoir constituant originaire et pouvoir constituant dérivé).
Secundo, si l’article 156 confère à l’Assemblée nationale « la totalité du Pouvoir Législatif », selon notre intime conviction, cet article ne désigne pas pour autant l’Assemblée nationale comme « Pouvoir constituant dérivé », appelé aussi par la doctrine « pouvoir constituant de révision »[49]. Par opposition au « pouvoir constituant originaire »[50], le « pouvoir constituant dérivé » est l’organe expressément désigné ou l’autorité « habilitée spécialement »[51] par le pouvoir constituant originaire à réviser ou modifier une Constitution déjà existante. Dans les deux cas de figure, il s’agit de « Pouvoir constituant » que l’on ne saurait confondre avec le « Pouvoir législatif ». Si les dispositions de l’article 156 étaient ainsi libellées : « En attendant la mise en place du Sénat, l’Assemblée Nationale exerce non seulement la totalité du Pouvoir législatif, mais aussi, et ce en cas de force majeure, une partie du pouvoir constituant », la démarche de certains députés centrafricains ne soulèverait aucune contestation. Parce que, nous l’avons déjà vu, le pouvoir constituant se décline en « pouvoir constituant originaire » et « pouvoir constituant dérivé ». Ce qui suppose que le second pouvoir constituant, à savoir le pouvoir constituant dérivé ou institué, peut être exercé par l’Assemblée nationale.
Or, aux termes de l’article 152 de la Constitution centrafricaine de 2016, l’organe désigné pour réviser la Constitution (« pouvoir constituant dérivé ») est le « Parlement réuni en Congrès », c’est-à-dire l’Assemblée nationale et le Sénat. Pour reprendre les professeurs Pierre AVRIL et Jean GICQUEL, « cette formation spéciale du Parlement qui réunit en collège unique les députés et les sénateurs en vue de procéder à l’approbation d’un projet de révision »[52] ou d’une proposition de révision constitue, à n’en point douter, un verrou organique incontournable, sinon insurmontable. Ce qui signifie en d’autres termes que, et contrairement à une interprétation aussi superficielle qu’erronée du 2è Vice-Président de l’Assemblée nationale, interprétation selon laquelle « en vertu de la Constitution centrafricaine, la révision constitutionnelle intervient lorsque le projet a été voté par l'Assemblée nationale à la majorité des trois quarts des membres »[53], en l’absence du Sénat, aucune procédure de révision ne peut aboutir. Ceci pour la simple et unique raison qu’aux termes de l’article 152, il n’a pas été clairement spécifié que dans le cadre de la procédure spéciale de révision de la Constitution, l’Assemblée nationale pouvait motu proprio se substituer ou s’ériger en Congrès, en l’absence du Sénat.
Honorable 2è Vice-Président de l’Assemblée nationale, pour invoquer une métaphore biblique, comment pouvez-vous « délier » par une loi ce qui a été hermétiquement « lié » par la Constitution ? En ce qui concerne la révision ou la modification de la Constitution, l’article 152 évoqué ci-dessus ne se réfère en aucune façon à « l’Assemblée nationale », comme vous le proclamer urbi et orbi. Avec votre permission cet article est énoncé ainsi qu’il suit : « La révision intervient lorsque le projet ou proposition présenté a été voté par le Parlement réuni en Congrès à la majorité des trois quarts (3/4) des membres qui le composent… » Où se trouve alors mentionné noir sur blanc « l’Assemblée nationale » dans cette disposition très claire et précise ? A notre avis, elle se trouve confinée à l’intérieur même du « Parlement », dans une union provisoirement platonique pour le meilleur et pour le pire avec le Sénat non encore mis en place.
Si en 2010, une telle démarche avait connu un heureux aboutissement, largement commenté[54] à l’époque par l’auteur de ces lignes, c’est tout simplement parce que, à l’instar de la boulé (le Parlement monocaméral grec) qui a achevé en novembre 2019 un long processus de révision constitutionnel[55], le Parlement de l’époque était monocaméral ou ne comportait qu’une seule chambre. Or dans la Constitution de 2016, les constituants centrafricains ont opté pour un bicaméralisme (deux chambres décomposées dans la tradition française en Assemblée nationale (chambre basse) et Sénat (chambre haute). La nature du parlement centrafricain ayant ainsi changé, l’Assemblée nationale ne peut actuellement procéder, toute seule, à une révision de la Constitution. Persévérer dans une telle démarche, pour reprendre respectivement les propos mêmes des porte-paroles de la coalition de l’opposition démocratique (COD 2020), c’est effectivement vouloir « tripatouiller »[56] la Constitution ou effectuer une « prorogation illégale »[57] du mandat des pouvoirs publics en Centrafrique. Du côté des doctrinaires de droit public, l’obstination des députés centrafricains à vouloir réviser coûte que coûte la Constitution pour proroger leur mandat, en l’absence du Sénat, est assimilable à un « excès de pouvoir législatif »[58]. Aussi, à l’instar d’un conseiller imaginaire « aux affaires constitutionnelles et institutionnelles »[59] du Palais de l’Elysée, convient-il d’attirer l’attention des initiateurs de la proposition de révision de la loi fondamentale sur les risques politiques pouvant résulter de leur initiative. Selon des sources autorisées[60], des officiers des Forces Armées centrafricaines (FACA) commencent déjà à réclamer le déclenchement de la procédure de destitution du président de l’Assemblée nationale, à compter du 20 avril 2020. Si des pas supplémentaires vers la modification de la Constitution continuent d’être accomplis par les députés[61], nous leur conseillons de ne pas fouler au pied les dispositions de l’article 23 de la Constitution énoncées ainsi qu’il suit : « Toute personne habitant le territoire national a le devoir de respecter, en toute circonstances, la Constitution, les lois et les règlements de la République ». En tant que représentant de la nation centrafricaine, les députés ne sont pas au-dessus de la Constitution. Au passage, dans sa « Proposition pour une sortie de crise », le président de l’ARECA a soulevé une question assez pertinente, mais à laquelle il n’a malheureusement apporté aucune réponse : « A l’impossibilité d’organiser les élections dont tout le monde s’accorde aujourd’hui, s’interroge-t-il, doit-on proroger le mandat des députés et du Chef de l’Etat en faisant sauter le verrou constitutionnel, auquel il faudra ajouter aussi le verrou de l’article 152, qui prohibe de telles situations en ses articles 35 al. 3 et 36 al.2 ? »[62]
Pour contourner singulièrement le verrou organique posé à l’article 152, il existe, de notre point de vue, deux parades. La première est de proposer au Président de la République, Chef de l’Etat de soumettre en l’état, et ce conformément aux dispositions de l’article 152 susmentionné, la proposition de la loi constitutionnelle à l’approbation directe du peuple centrafricain par voie de référendum. En l’état actuel des choses, seul le peuple centrafricain, auquel il faudra redonner confiance[63], en vertu de la doctrine constante et ancienne de la « double révision »[64] ou de la technique « de révision sur révision », peut proroger souverainement le mandat des pouvoirs publics, au sens restrictif (mandats du Président de la République et des Députés). La seconde serait de transformer la « proposition de loi » en « projet de loi » constitutionnelle pour permettre in fine au Président de la République de recourir aux dispositions de l’article 41 de la Constitution libellées ainsi qu’il suit : « Lorsque les circonstances l’exigent, le Président de la République peut soumettre au référendum, après avis du Conseil des ministres, celui du Bureau de l’Assemblée Nationale, celui du Bureau du Sénat et celui du Président de la Cour constitutionnelle tout projet de loi… » D’un point de vue juridique, une loi constitutionnelle peut, tout à fait, avoir un tel objet, comme en atteste la loi constitutionnelle française du 25 février 1875 intitulée « loi relative à l’organisation des pouvoirs publics »[65].
En 1962, le général de Gaulle avait procédé de la même manière, en utilisant l’équivalent de l’article 41 (article 11 de la Constitution française) pour obtenir l’élection au suffrage direct du président de la République française, qui avant 1962 était élu par un suffrage restreint, à savoir le parlement réuni en congrès à Versailles. Ainsi que le commente à suffisance Mme Séverine NICOT, Maître de conférences à l’Université Pierre-Mendès-France de Grenoble II, ce détournement de l’article 11 avait provoqué l’une des batailles politiques les plus animés de la Vè République française. En particulier, la thèse de l’inconstitutionnalité, presque unanimement soutenue par les formations politiques, avait donné lieu à l’accusation de « forfaiture », que le président du Sénat, Gaston Monnerville, porta contre le général de Gaulle au prétexte que l’utilisation détournée de l’article 11 constitue « une violation délibéré, voulue, réfléchie, outrageante de la Constitution »[66].
Ayant cerné à suffisance, avec des exemples précis, la distinction établie en droit romain entre les notions de « vacance du pouvoir » et de « vacuité des pouvoirs publics », et face à la menace de la pandémie du coronavirus qui risque d’avoir des répercussions néfastes sur le devenir institutionnel de la RCA à compter du 31 mars 2021, que faire pour pallier les risques de vacance du pouvoir en Centrafrique ? Contrairement à ceux qui rêvent d’une « nouvelle période de transition politique » ou d’une « prorogation du mandat » des pouvoirs publics en Centrafrique, il existe dans la loi fondamentale de notre pays des solutions juridiques qui n’ont strictement rien à voir avec les sentiers battus de 2010 à 2016. C’est ce que la présente étude se propose de mettre en exergue dans sa seconde partie.
II/ Les solutions juridiques pour pallier les risques de vacance du pouvoir éventuellement occasionné par la pandémie du coronavirus en Centrafrique
Dans un entretien accordé aux journalistes de la Radio Ndeke Luka, le 2è Vice-Président de l’Assemblée nationale est allé jusqu’à clamer haut et fort que « la Constitution du 30 mars 2016 ne prévoit nul part un mécanisme pouvant apporter des solutions en cas de force majeur. »[67] Ayant lu attentivement cette Constitution au même titre que tout le monde, il nous a été donné d’y décelé pourtant deux solutions. Si celles-ci venaient à être mises en œuvre, elles permettront naturellement aux uns de savourer, à la manière de LAMARTINE, « les rapides délices des plus beaux »[68] de leurs jours » et, à d’autres, de verser totalement dans le spleen ou la mélancolie, à l’image des albatros, « indolents compagnon de voyage »[69] de Charles BAUDELAIRE. Ainsi va évidemment la « vie politique » décrite[70] brillamment par le professeur Philippe BRAUD. Nous n’y sommes pour rien : la Constitution ne peut contenter tout le monde ou tous les hommes politiques à la fois.
La première solution est la possibilité d’organiser uniquement l’élection présidentielle dans le délai constitutionnelle de quarante-cinq (45) jours (A). Quant à la seconde solution, elle relève uniquement du libre arbitre du Président de la République, Chef de l’Etat, dont le mandat court encore. Il s’agit de la possibilité pour le Professeur Faustin Archange TOUADERA de recourir, en cas de nécessité, aux pouvoirs exceptionnels prévus aux articles 42 et 43 de la Constitution (B).
- La possibilité d’organiser uniquement l’élection présidentielle dans le délai constitutionnel de quarante-cinq (45) jours
Pour limiter la propagation de la pandémie du coronavirus en Centrafrique, la réaction des autorités de ce pays ne s’est pas fait entendre. Très tôt, des mesures barrières ont été prises, à tel enseigne que le pourcentage ou le taux de transmission du virus sur le territoire centrafricain est en ce moment maîtrisable. Selon des sources autorisées, sur les cent mille cas enregistrés dans le monde entier, la RCA n’a pas encore atteint le pic de l’épidémie : elle n’en est qu’à son onzième cas de contamination. Si les mesures de confinement sont renforcées dans les jours à venir, par la déclaration d’un état de siège par exemple, et avec l’adoption d’un comportement responsable du peuple centrafricain, on peut assister d’ici la fin du mois de décembre 2020 à un ralentissement des risques de propagation de cette pandémie en RCA.
Dans ces conditions et étant donné qu’aux dires d’un ancien président de l’Assemblée nationale française, d’obédience socialiste, « l’élection qui prime c’est la présidentielle »[71], thèse à laquelle les spécialistes du droit constitutionnel avaient massivement adhérée, l’ANE peut changer son fusil d’épaule en choisissant d’organiser uniquement l’élection présidentielle. Sous d’autres cieux, et notamment en France, cela ne relève aucunement pas « d’un miracle »[72], comme le pense le compatriote Aristide Briand REBOAS, résident à Saint-Pierre-des Corps. Lors de l’élaboration de la loi constitutionnelle du 2 octobre 2000 sur le quinquennat en France, M. François Bayrou avait qualifié de « dingo » le calendrier électoral de 2002 qui prévoyait l’organisation des législatives (mars 2002) avant celle de l’élection présidentielle. En préconisant l’inversion du calendrier électoral de 2002, le président de l’UDF reconnaissait - sans le dire expressément - la primauté de l’élection présidentielle sur les élections législatives. Cette thèse avait fini par triompher avec la promulgation de la loi organique du 15 mai 2001 qui prorogeait les pouvoirs de l’Assemblée nationale.
Pour en revenir au cas centrafricain, aux termes de l’article 36 dernier alinéa, « L’élection du nouveau Président de la République a lieu quarante-cinq (45) jours au moins et quatre-vingt-dix (90) jours au plus avant le terme du mandat du Président en exercice ». A la lecture de cette disposition, il existe donc un délai minimum et un délai maximum pour l’organisation de l’élection présidentielle. Si, en raison de la crise sanitaire actuelle, l’élection du nouveau président de la République ne peut se dérouler à partir du 27 décembre 2020, tout en sachant que le mois de février 2021 se termine le 28, l’élection présidentielle peut valablement être reportée au 14 février 2021. Pour abonder dans le même sens que notre « Juriste, Administrateur des élections »[73], le coronavirus est effectivement « un prétexte parfait pour justifier le report » non « des élections groupées » qui alourdiraient le processus électoral, mais uniquement de l’élection présidentielle. (suite....)