Crise CEMAC : Les dessous cachés de l’affaire
Ntsimi
YAOUNDÉ - 05 Avril 2012 © Alphonse Sinkam L'Actu
L'interdiction faite au Président de la Commission de la Cemac de reposer les pieds sur le sol centrafricain, dévoile
chaque jour, ses mystérieuses connexions.
Arrivé le mercredi 21 mars 2012 à l'aéroport de Bangui M'poko par vol régulier de la compagnie Ethiopian airlines,
dit-on pour toucher son salaire, Antoine Ntsimi, président de la Commission de la Communauté économique et monétaire d'Afrique Centrale
(Cemac), avait été contraint par le protocole d'Etat centrafricain, de reprendre l'avion pour Addis-Abeba, sur ordre du président de la République, François Bozize.
Inutile de préciser que ce fâcheux incident a depuis lors, donné lieu à un intense ballet diplomatique entre Yaoundé et
Bangui. Les pairs de la Cemac étant soucieux de régler ce couac diplomatique au mieux des intérêts, bien compris des Etats intéressés et de la Sous-Région.
A l'heure où des tractations diplomatiques se déroulent entre les capitales concernées par la résolution de cette crise, le voile se déchire peu à peu sur les ressorts de ce qui peut être
désormais considéré comme un conflit personnel entre le Camerounais Antoine Ntsimi et le Centrafricain François Yangouma Bozize, Chef de l'Etat. Selon nos informations, le ministre Secrétaire général de la présidence de la République centrafricaine, qui
avait été reçu en mi-journée du 1er avril par le Chef de l'Etat Camerounais Paul Biya, était porteur d'un pli où étaient listés les griefs
portés par Bozize contre Antoine Ntsimi notamment, les faits constitutifs à son
«immixtion manifeste dans les affaires intérieures centrafricaines».
Une Camerounaise dans le coup
Des informations, recoupées à bonne source, indiquent par ailleurs que la décision d'expulser le président de la
Commission de la Cemac du sol centrafricain, avait été arrêtée en décembre 2011, un an après la fin officieuse de son mandat intervenue en janvier 2010, après le sommet des Chefs d'Etat à Bangui.
Sommet qui avait décidé du principe des postes tournants au sein de la Cemac. La bonne occasion est arrivée ce 21 mars, enjolivée par ce que les autorités centrafricaines qualifient de personnage
«ordurier, violent, insolent et grossier».
Sitôt les autorités de Bangui informées qu'il se trouvait dans l'avion éthiopien, un dispositif a été mis en place pour
l'humilier. Au cas où il aurait résisté à son refoulement, les menottes que tenaient ostensiblement devant lui le Commissaire de l'aéroport, auraient servi.
L'instrumentalisation de son expulsion aurait été orchestrée par le ministre d'Etat Centrafricain des Finances, le
colonel Sylvain Ndoutingai et celui de la Justice, Firmin Findiro. Ce dernier, dont l'épouse d'origine camerounaise, Léocaldie Findiro, et de la même ethnie
(éton) que le truculent Antoine Ntsimi, aurait donné de précieux «tuyaux» sur l'homme de la Lekié. Selon notre source, le ministre
Centrafricain des Affaires étrangères, Antoine Gambi, aurait été tenu à l'écart du
dossier «Ntsimi», parce que n'appréciant pas la «manière» avec laquelle cette affaire a été montée.
Des informations en notre possession font état du fait qu'Antoine
Ntsimi, que les Centrafricains appellent «Monsieur 30%», n'aurait pas la main large
pour ses hôtes, y compris le président Bozize. Pourtant, il serait à la tête d'une fortune considérable, amassée selon eux, lors de la
dévaluation du franc Cfa en 1994, alors qu'il était ministre Camerounais des Finances.
Pierre Moussa, ministre d'Etat, ministre de l'Economie, du Plan,
de l'Aménagement du Territoire et de l'Intégration du Congo, reçu par Paul Biya dans le cadre de cette affaire, a fait un saut par Bangui
sur le chemin de retour dans son pays. Il s'est entendu dire par François Bozize que, «ce monsieur (Antoine Ntsimi, Ndlr) a déjà perçu toutes ses indemnités de départ, salaires et solde de tout compte. Je ne
vois pas ce qu'il vient encore faire à Bangui», a fulminé le Chef d'Etat Centrafricain. L'émissaire du président Denis Sassou
Nguesso semble être rentré bredouille à Brazzaville, le maître de Bangui campant sur sa position, voir «Bad Boy» débarrasser
définitivement le plancher.
Cemac :De nouvelles révélations sur l’affaire Antoine Ntsimi. Ces
révélations qui accablent plutôt Bozizé
YAOUNDÉ - 09 Avril 2012
© Michel Tefou La Météo
Selon de hauts fonctionnaires rencontres au siège de la Communauté économique et monétaire des Etats de l'Afrique
Centrale (Cemac) à Bangui, une affaire d'argent serait au centre de la brouille entre François Bozizé et Antoine Ntsimi.
Ainsi, selon des témoignages que nous avons pu obtenir au siège de la Cemac à Bangui, des hauts fonctionnaires de cette
structure qui ont requis l'anonymat, rien de tout ce qui est reproché à Antoine Ntsimi par le président centrafricain ne serait fondé. En
effet, l'origine de la brouille entre Antoine Ntsimi et François Bozizé remonte lors de la préparation du sommet de la Cemac qui s'est tenu à Bangui les 15, 16
et 17 janvier 2010.
A cette occasion, selon nos sources, le président centrafricain convoque Antoine Ntsimi dans son palais. En présence de ses collaborateurs, il réclame au président de la Commission de la Cemac une somme de 500 millions de FCFA
destinée, selon lui, à la rénovation du Palais de l'Assemblée nationale centrafricaine où les chefs d'Etat de la Cemac devaient être reçus. En outre, François Bozizé revendique 200 millions pour son épouse, aux fins des réceptions à organiser lors de ce sommet.
Le Président de la commission, qui a déjà, à cet instant, une réponse négative, se garde par courtoisie, disent les
fonctionnaires de la commission, de l'exprimer à François Bozizé. Il choisit de se donner deux semaines avant de lui expliquer qu'il ne peut
accéder à ses demandes. Son refus s'appuie sur les règles de la Cemac qui stipulent que chaque Etat qui accueille un sommet de cette organisation utilise ses fonds de souveraineté pour son
organisation.
Depuis lors, assure-t-on au siège de la Commission à Bangui, François Bozizé nourrirait «une haine profonde» à l'endroit d'Antoine Ntsimi. Cela se verra notamment à travers la presse centrafricaine qui va changer de ton à l'endroit du président de la Commission, l'accusant
de tous les maux. Comme ce premier stratagème ne suffit pas à ébranler Antoine Ntsimi, les Camerounais auraient été mis à contribution,
notamment les journalistes qui sont alors reçus à Bangui d'où ils en repartent plein de consignes et surtout de fric. Ce sont eux qui se chargeront de démolir leur compatriote après l'incident
savamment orchestré de l'aéroport de Bangui. Le mot est passé aux autres confrères qui répètent en chœur, «Antoine Ntsimi est arrogant et
irrévérencieux à l'endroit du Président centrafricain", "il se prend pour le 7e président de la zone Cemac», «son cortège se compose de plusieurs voitures qui déambulent dans
les rues de Bangui». A son tour, Jeune Afrique est mis à contribution et sort du chapeau les dépenses dispendieuses du président de la commission de la Cemac.
Un audit d'ici deux mois.
A Bangui, au siège de la Cemac, on estime que s'agissant de la posture de 7e président qui lui est accolé,
Antoine Ntsimi en a les attributions au regard des statuts de la Cemac. Ceux-ci, depuis le passage du secrétaire exécutif au président de la
Commission, lui garantissent «indépendance et droit d'injonction» vis-à-vis des Etats membres.
Quant aux dépenses que Jeune Afrique dénonce, la réponse des fonctionnaires de la Cemac est sans équivoque
«Nous ne voyons pas de quoi parle ce journal. Ces documents sont-ils authentifiés? Ne sont-ils pas sortis de
leur contexte? S'agit-il d'un audit? S'agit-il des dépenses liées au budget de fonctionnement ou plutôt du gaspillage des ressources propres de l'institution? Rien de tout ce que cette mission
commandée de François Soudan et Philippe Meyer, qui ont souvent émargé auprès de la Cemac, raconte n'est fondé. Ils auraient été plus crédibles s'il s'agissait d'un audit, à l'image de l'audit
institutionnel annuel de la Cemac, prévu chaque année et dont celui de l'année 2011 va démarrer d'ici deux mois».
Au-delà du cas Ntsimi, nos sources soulignent aussi que les deux
Camerounais qui ont précédés l'actuel président de la Commission de la Cemac à Bangui ont rencontré des problèmes autrement plus graves sans que cela ne soit autant médiatisé. Thomas
Dakayi Kamga, secrétaire exécutif de la Cemac, n'a passé que deux années et demie dans ses fonctions, puis a été démis à l'unanimité des cinq autres Etats de la sous-région qui
l'accusaient d'inertie et d'incompétence. Il a été débouté par la Cour de justice communautaire à Ndjamena, après avoir saisi cette instance pour se plaindre de la manière dont il a été débarqué.
Pour ce qui est de Jean Nkuete, il a été déchargé de ses fonctions à la demande de l'Union Européenne qui lui reprochait d'avoir distrait 2 milliards de FCFA destinés au
Programme indicatif national (Pin), au point que l'Union européenne a menacé de mettre un terme à ce financement communautaire. Ainsi donc, la Cemac n'a jamais été un long fleuve tranquille pour
le Cameroun.
Dans les prochains jours, le siège de la Commission de la Cemac devrait être déplacé de Bangui pour Brazzaville. Selon
nos sources à la commission de la Cemac, ce n’est plus un projet. C’est devenu une urgence depuis quelques jours.
Brazzaville, la capitale congolaise accueillera dans les prochains jours le siège de la commission économique et
monétaire d’Afrique centrale. La décision n’attend plus que le sommet des chefs d’Etats de la Cemac, qui aura lieu bientôt pour être entérinée.
L'idée de délocaliser le siège de la Cemac a été initiée par les présidents camerounais et congolais. Selon des
responsables de premier plan de cette institution supra nationale, les autres chefs d'Etats, à savoir Ali Bongo Ondimba du Gabon,
Idriss Deby du Tchad et Obiang Nguema de la Guinée Equatoriale, ne seraient pas
opposés à cette délocalisation.
Une diplomatie discrète et efficace.
L'insécurité qui règne à Bangui en particulier, et en République centrafricaine en général a poussé certains hauts
responsables de la Cemac à s'interroger sur le maintien du siège de la Cemac dans ce pays. Et voilà que la goutte d'eau qui fait déborder le vase tombe le 21 mars dernier: l'acte d'agression (ou
l'incident, selon les convenances des uns et des autres), dont a été victime le président de la Commission de la Cemac, Antoine Ntsimi, et
la crainte de voir la récurrence ou l'accentuation de tels actes, est venue conforter l'idée de délocaliser le siège de la Cemac.
Au moment où Antoine Ntsimi est agressé par les forces de l'ordre
centrafricaines, sur ordre du président François Bozizé, Paul Biya, comme à son habitude, n'en a pas fait un problème bilatéral. Alors
qu'une partie de l'opinion n'a pas hésité à dire de lui qu'il est attentiste, que le Cameroun a une diplomatie de la peur et de la paresse, l'énigmatique Paul Biya a décidé de respecter les voies légales. Et surtout, il a décidé avec ses homologues de lever définitivement l'équivoque Bangui.