Qui dit santé dit capacité de retrouver son état normal,
physique ou moral, après être tombé malade. Cette capacité ne dépend pas seulement de la résistance physique, mais aussi de la prévention, des infrastructures sanitaires et des soins de santé
administrés au patient.
D’après l'organisation Mondiale de la Santé (OMS) : « Jouir du meilleur état de santé est un objectif et un droit fondamental
pour tout être humain ». Mais le constat est dramatique quand on établit le parallèle entre cette recommandation et les efforts mis en œuvre par nos dirigeants. Les centrafricains
comptent sur leur force physiologique pour rester en vie. Mais cette force a ses limites, à partir desquelles les médicaments et les soins deviennent absolument nécessaires. Or les centrafricains
sont privés de ce droit minimum à la vie. Ils crèvent en masse comme des dominos qui tombent les uns les autres. Puisque Bozizé et son
régime les privent du droit à la santé, pourquoi ne prennent-ils pas un décret pour aussi, les priver du droit de tomber malade ?
Depuis trois jours seulement, j’ai commencé le deuil de mon neveu emporté, par le paludisme, quand une autre
mauvaise nouvelle m’arrive de Bangui. Cette fois-ci, c’est ma cousine qui meurt de méningite et son
petit garçon de fièvre typhoïde. Incapable de contrôler mes sens, j’ai éclaté en sanglot dans le métro, sans même fermer mon portable, à la surprise des autres voyageurs. Pendant tout le trajet,
je ne peux retenir mes larmes et m’empêcher de penser aux autres centrafricains qui meurent comme des mouches faute de soins et de médicaments, et
dans l’indifférence totale de la part des autorités.
J’ai donc fait trois transferts de fonds à Bangui, en l’espace d’une
semaine.
Le centrafricain apparaît, désormais, comme une espèce menacée, en voie de disparition.
Il meurt pour un simple mal de tête, une petite fièvre, un petit traumatisme dû à un accident. Ne parlons pas des maladies chroniques comme le diabète et l’hypertension, les cancers, les
affections respiratoires et les cas d’insuffisance rénale qui sont de plus en plus fréquents et/où les malades sont condamnés à rester en mauvaise santé ou à mourir prématurément par manque de
médicaments ou de diagnostic para clinique, plus fiable. Le SIDA, pourtant réputé incurable et terrifiant fait proportionnellement moins de victimes que la tuberculose, les parasitoses
intestinales, les maladies respiratoires et diarrhéiques faciles à dépister et à soigner.
Les raisons sont simples et multiples:
d’abord, la pénurie chronique de médicaments dans les officines (les centres de santé ne possédaient que 55% de médicaments essentiels, les postes de
santé 38% et les hôpitaux 47%). A certains moments, les centres de santé et les hôpitaux sont obligés de faire recours aux médicaments de la rue pour soigner certains patients. Ensuite, les
médicaments shalina, bon marché mais ne sont pas efficaces et enfin les équipements médicaux vétustes, et régulièrement en panne. Il n’y a pas que les clichés de radiologie qui peuvent manquer
mais les appareils de radiologie, eux-mêmes, ne fonctionnent plus. Pour un pays, indépendant depuis plus de 50 ans, celui-ci ne dispose pas de IRM ni d’appareil de dialyse ni de scanner. En
Centrafrique l’appareil d’échographie est le seul équipement disponible et par contre, le simple tensiomètre manque dans certains hôpitaux comme celui de l’Amitié. Les inégalités devant la
maladie et la mort n’ont fait que croître. Il faut être un baron ou un proche du régime pour prétendre à une évacuation sanitaire à destination du Maroc ou du Cameroun voire de la France pour des
soins de qualité. Le pays est aussi confronté à une pénurie de médecins puisqu’on en compte qu’un seul pour 25 000 habitants. En un mot, le système de santé est fantomatique et sinistré, il
n’existe que de nom.
Les détournements de fonds comme de médicaments se multiplient. Même les médicaments
destinés aux malades du SIDA ne sont pas épargnés. Les produits détournés se retrouvent dans les officines privés et les profits vont à quelques privilégiés du régime. L’Etat est complètement
défaillant. Seules les ONG, en l’occurrence Médecins sans frontières (MSF), restent les derniers recours des centrafricains.
Plus alarmant, courant Juin, le nouveau
directeur général (DG) de l'Unité de Cession de Médicaments (UCM), le Dr Gilles Ngaya lançait un appel de fonds sur radio Ndéké Luka, qu’
« un danger public et immédiat guète la population de la ville de Bangui et des régions, Plus de 250 médicaments les plus utilisés sur 350 en stock en rupture totale au niveau de
l'UCM. Cette carence plonge de nombreux hôpitaux de la RCA dans de sérieuses équations en cas des urgences et autres traitements,…. notre structure ne reçoit pas des
approvisionnements en médicaments depuis fort longtemps. La réserve est quasiment vide car depuis ma prise de fonction, le stock des médicaments était réduit à 100 au lieu de
350 »,
MSF rajoute que la RCA se trouve aujourd'hui dans un état d'urgence médicale
chronique:
– la RCA possède un taux de prévalence du VIH SIDA de 5,9% (Bangui a 10,7%), le taux le plus élevé de
l'Afrique Centrale. L'ONU SIDA estime à 110 000 adultes et 17 000 enfants, le nombre de personnes vivant avec le VIH SIDA dans le pays. Cependant, seulement 15 000 patients sont aujourd'hui sous
traitement ARV soit seulement 33,3% du nombre recommandé. Que deviendront alors les patients privés de médicaments ? Leur sort est
scellé.
– la RCA détient le 5ème taux de mortalité par maladies infectieuses et parasitaires le plus élevé au
monde, soit 754,9 pour 10 000 habitants en 2008;- la RCA détient la 2ème espérance de vie la plus faible du monde soit 48 ans, Le taux de mortalité du pays est globalement supérieur au
« seuil d'urgence ». Le paludisme et la tuberculose sont responsables d'un grand nombre de décès en RCA. La réalité doit être
effarante.
– la RCA compte 4 des quelques foyers restants de la maladie du sommeil en Afrique sub-saharienne. Nul
n'ignore que la maladie de sommeil est mortelle si elle n'est pas soignée. Et la RCA comptant en 2009 1054 cas signalés, se trouve en 2ème position de nombre de cas le plus élevé dans le monde.
Ce n’est pas la tasse de thé du gouvernement.
– le taux de couverture vaccinale de l'ordre de 30 à 35% est le plus faible de l'Afrique
subsaharienne. La RCA enregistre en 2011, plusieurs cas de maladies évitables par la vaccination dont la rougeole, la méningite, le tétanos néonatal, la coqueluche, la fièvre jaune et la
poliomyélite. Ce n’est pas surprenant avec l’insécurité généralisée et les détournements des matériels de conservation des
vaccins.
Sur une situation sanitaire aussi alarmante, vient se greffer une pénurie chronique de
médicaments. L’avenir est sombre pour la santé des centrafricains. Le calvaire actuel n’est que la partie émergée de l’iceberg, la situation sanitaire apocalyptique est à venir.
La question est de savoir si Bozizé et son gouvernement sont capables de modérer leur cupidité pour prendre conscience de la gravité de la situation. Car la descente aux enfers des
centrafricains n’est pas une fatalité mais le résultat d’une mauvaise gestion. Bozizé évite
soigneusement de s’occuper de ce département que l’on dit moins « juteux ». Pourtant, il n’est pas ignorant des détournements qui
s’y produisent. La santé des centrafricains n’a jamais été la préoccupation du régime de Bozizé. Pour preuve, le département a été sacrifié
sur l’autel des arrangements politiques. Il confie depuis 2008, le portefeuille de la Santé aux transfuges de l’opposition. Le département a été dirigé successivement par André Nalké Dorogo, 3eme Vice-Président du MLPC, puis Jean Michel Mandaba Secrétaire Général du même parti. Cela traduit le peu d’importance que
Bozizé attache à ce département. L’essentiel des financements extérieurs est géré par les ONG à l’exception du Fonds Mondial contre le SIDA
qui finance le CNLS pour l’achat des ARV et les produits réactifs pour le dépistage. Bozizé s’en fout. La contribution de l’Etat
centrafricain est insignifiante.
En plus, il ne faut pas se cacher derrière notre petit doigt, la corruption des hautes
autorités du département de la Santé et les malversations financières qui gangrènent l’UCM et le CNLS sont malheureusement à l’origine de nombreuses
ruptures intempestives de médicaments.
L’extorsion de fonds à l’UCM occasionnant
la pénurie de glucosé : courant juillet 2010, les centres urbains de Bangui ont connu une pénurie
de sérum glucosé. De l’ensemble des médicaments que les centrafricains consomment, le soluté appelé communément sérum glucosé est le seul médicament fabriqué à Bangui par l’ASPHARCA, une société
chinoise, ainsi que des comprimés et des gélules. Le ministre de la Santé d’alors Mr André Nalké Dorogo et le DG de l’UCM de l’époque, le Dr Bassirou Silla ont été contraints de monter au
créneau sur Radio Ndeke Luka pour expliquer maladroitement cette situation dramatique. Ils ont justifié cette pénurie par une commande passée à l’extérieur qui tarde à arriver. En réalité,
c’était un membre du gouvernement en la personne de Côme Zoumara, accompagné d’un expatrié conseiller à la présidence , chargé de la
sécurité, qui après forte pression et intimidation et avec l’accord du Chef de département ont déchargé 75 millions de F CFA pour paraît-il passer la commande à un prix exceptionnel en Europe. Les produits n’ont jamais été livrés à l’UCM. Alors que l’achat chez
le fournisseur local notamment l’ASPHARMA ne reviendrait qu’à 15 millions de F CFA. Quelques jours après, les escrocs se sont lancés dans le
commerce illicite de diamants.
La faillite programmée de l’UCM avec la
concurrence déloyale de Shalina L’UCM a pour vocation de
vendre des médicaments génériques qui représentent la possibilité d’accès aux médicaments pour les populations et notamment les plus démunies. Le
médicament générique n’est pas un médicament au rabais ni banal mais une copie de l’original qui doit
être aussi efficace que le modèle original. Les médicaments encore sous brevet n’existent pas sous forme générique.
L’UCM importe ses médicaments génériques de la Chine, de l’Inde et de
l’Europe. L’Inde en a fait sa spécialité et devient ainsi 1er producteur et 1er exportateur mondial de génériques.
Courant 2010, les autorités centrafricaines ont autorisé Shalina, un fabricant indien de
médicaments génériques à fournir tous types de médicaments, allant des antibiotiques (amoxicilline, augmentin…) aux antiparasitaires et aux antituberculeux aux centrafricains. C’était une démarche louable et salutaire pour le peuple centrafricain, mais
l’autorisation a été octroyée à la société contre de « petits cadeaux ». Mme
Béatrice Epaye Ministre du Commerce, de l’époque, a effectué une visite de leurs installations à Bombay (Inde). Les frais de transport et de
séjour étaient à leur charge sans que cela n’émeuve personne. Le chef du département de la Santé, d’alors, Mr André Nalké Dorogo, a signé le
dossier d’autorisation de mise sur le marché, les yeux fermés. Il ne s’est même pas référer à l’avis
des experts de son département. Aucune étude clinique indispensable à toute autorisation de mise sur le marché n’a été menée. D’aucuns disent que futur candidat dans une circonscription de
Berbérati, il a du se constituer un trésor de guerre. Une source bien informée et crédible avance le chiffre de 2 millions de F CFA. Est-ce le prix de la vie des 4 millions de centrafricains ? Les autorités sanitaires ont donc laissé faire Shalina. Elles n’ont
pas défini de mesures législatives règlementaires strictes quant à la fabrication et la distribution en vue de protéger la santé publique. Shalina
n’a pas obligation de rendre compte sur la conception des molécules. En plus, elle n’a pas apporté de preuves de l’efficacité de ses médicaments. Les
médecins centrafricains ne prescrivent plus à leurs patients, les antibiotiques écoulés par Shalina qu’ils jugent inefficaces et dangereux pour leur santé.
L’intrusion cupide des autorités dans la
gestion de l’UCM
L’UCM connait depuis plusieurs mois, une crise aigue de trésorerie qui entraine une
paralysie totale de ses activités. Elle n’est plus en mesure d’acheter les médicaments pour approvisionner ses officines. D’où l’appel de fonds aux autorités du nouveau DG, le docteur
Gilles Ngaya sur RNL. Cette situation est grave et n’a rien de surprenant car l’UCM est après tout une société commerciale qui brasse des
milliards pour ses achats, donc elle ne peut qu’aiguiser forcément des appétits. La descente aux enfers de l’UCM a commencé au début de l’année 2012 lorsqu’une banque de la place lui a accordé un prêt, attirant ainsi
l’attention des prédateurs du régime Bozizé. Le DG sortant, le Dr Bassirou Silla
avait sollicité et obtenu un crédit d’un montant de 1,8 milliards de F CFA auprès de la Banque Sahélo Saharien (BISIC) pour renflouer les
caisses de la société. Les deux demi-dieux omniprésents et omniscients, aujourd’hui en disgrâces, Ndoutingai et Findiro, alertés par leur complice M. Orel Abdraman, DGA de la BISIC, ont aussitôt
décidé de procéder eux-mêmes aux achats des médicaments auprès des fournisseurs. En fait, ils veulent faire mains basses sur ces fonds. Devant le refus des autres membres du Conseil Spécial de Surveillance et de redressement des entreprises et offices publics (CSSREOP), les deux larrons ont crée de toutes pièces un scandale
financier éclaboussant les responsables de l’UCM. Ainsi, sans contrôle ni audit, le DG et trois de ses collaborateurs seront accusés de détournements d’une somme provisoirement arrêtée à
1,3 milliard de F CFA. Un Arrêté du Premier Ministre démettra le DG alors qu’il a été nommé par Décret présidentiel. Les trois collaborateurs du DG seront arrêtés quelques jours après, à la section de recherche et d’investigation (SRI). Au plus fort du scandale, le DG de l’UCM
mis aux parfums de l’imminence de son arrestation par la brigade économique de la SRI, a pris la poudre d’escampette. Avec la complicité active d’un de ses beaux frères, un élément de la garde
présidentielle, il a quitté nuitamment Bangui. Depuis lors, il est signalé à Douala où il en profite pour suivre ses soins médicaux. Tant pis si les
centrafricains meurent prématurément par manque de médicaments.
Cependant, 2 questions me taraudent :
Primo : Comment, le Dr Gilles
Ngaya, un gbaya, parent à Bozizé puisse alors lancer un appel de fonds à l’Etat sur la radio privée Ndeke Luka, pour renflouer les
caisses de l’UCM ? N’est-il pas dit que « toute entreprise, même la plus difficile devient facile à celui qui a les oreilles du
prince » ?
Secundo: Le prêt de 1,8 milliard
de F CFA a-t-il pris quelle destination ?
Le voile sera levé et les responsabilités établies dans cette affaire lorsqu’un procès
en bonne et due forme sera organisé. A suivre…
Les malversations financières et la
corruption au CNLS à l’origine des suspensions des subventions avec des répercussions sur la disponibilité des médicaments (ARV, ACT…).
Les malversations sont malheureusement à l’origine de nombreuses ruptures intempestives
des précieuses molécules d’anti retro viraux (ARV) dont ne doivent pourtant pas manquer les nombreux malades du SIDA pour lesquels le Fonds mondial de lutte contre le SIDA, la tuberculose et le paludisme a dégagé une enveloppe de 40 millions de dollars US sur 5 ans.
En 2009, le pays a subi plusieurs mois de ruptures de médicaments tels que l’ARV et
l’ACT.
En 2010 (février à juillet) et en 2011
(avril à décembre), les subventions accordés par le Fonds mondial au CNLS ont été suspendues en raison d’une suspicion de corruption provoquant des
pénuries de médicaments contre le paludisme (ACT) et le SIDA (ARV). En 2011, pour des raisons humanitaires, le Fonds Mondial a suspendu le financement du CNLS pour l’achat des ARV et a décidé de
ne financer plus que les produits réactifs pour le dépistage.
En Juin 2011, le pays a également connu une rupture désastreuse de stock de tous les
médicaments antituberculeux. Ceux de 1ère ligne. Cette situation a été également résolue par le don unique
d’une œuvre caritative qui a permis un approvisionnement de 9 mois.
L’une des conséquences directes de ces ruptures intempestives est la résistance élevée
aux antituberculeux. Une étude récente démontre des taux extrêmement élevés de résistance aux médicaments de 1ère ligne jusqu’à 30% chez les adultes et 50% chez les enfants.
En Centrafrique, les auteurs et coupables de corruption et autres détournements, non
seulement ne sont nullement inquiétés mais continuent d’être protégés et d’exercer tranquillement leurs fonctions comme si de rien n’était avec la
passive complicité du régime Bozizé. Or au Mali et en Mauritanie, où le Fonds Mondial suite à des contrôles périodiques avait constaté des malversations financières portant sur des millions de
dollars, les auteurs de ces détournements ont été identifiés, épinglés et mis en prison.
Un quart de siècle après l’appel de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) visant à
garantir « la santé pour tous » en l’an 2000, le bilan en Centrafrique est
catastrophique. La population centrafricaine paie un trop lourd tribut aux désintérêts des autorités du pays.
L’idée selon laquelle l’accès aux soins de santé devrait être considéré comme une
obligation publique est à promouvoir auprès des autorités centrafricaines.
Il faudrait que les autorités comprennent
que la santé est un facteur de développement humain et qu’il est indispensable d’améliorer la santé de la population pour réduire la pauvreté.
La Rédaction