Qu’est-ce que la démocratie ? Mythe ou réalité ? Est-elle possible en Afrique et plus particulièrement en République Centrafricaine ? Telles sont les questions que nous nous posons souvent et auxquelles nous n’avons malheureusement pas de réponses pertinentes et surtout rassurantes. Aujourd’hui, tout le monde ou presque se réclame de la démocratie. Cependant personne n’est d’accord sur ce qu’elle devrait être.
Il est de bon ton par les temps qui courent en République Centrafricaine de faire un petit rappel de cette institution qu’est la démocratie afin que l’on sache bien de quoi il est question et que même si certains veulent faire une démocratie « adaptée ou locale », ou bien une démocratie « relative », ou encore une « démocratie sur mesure », qu’ils ne s’éloignent pas trop de son sens initial au risque que cela ne prenne la forme d’une autre institution qui ne dit pas son nom.
Cet article n’est pas un cours magistral. Il se veut juste un concentré de l’essentiel de ce que veut dire démocratie, du B.A.BA que l'on doit savoir. Le lecteur sera amené à répondre à cette question : La république centrafricaine est-elle une démocratie ? Si la réponse est NON, comment envisager alors notre démocratisation effective ? Nous avons plusieurs modèles : soit opter pour le modèle espagnole, américain, français, soit adopter le modèle sud-africain, ghanéen ou alors procéder comme nous l’a démontré le récent printemps arabe. Quoiqu’il en soit, il n’existe pas qu’une seule façon de réussir un processus de démocratisation. La réflexion est ouverte.
BREF HISTORIQUE
Du grec demos = peuple et kratein = pouvoir ou autorité, la démocratie est le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple. Autrement dit, la démocratie est le régime politique dans lequel le pouvoir est détenu ou contrôlé par le peuple (principe de souveraineté), sans qu'il y ait de distinctions dues à la naissance, la richesse, la compétence... (Principe d'égalité). En règle générale, les démocraties sont indirectes ou représentatives, le pouvoir s'exerçant par l'intermédiaire de représentants désignés lors d'élections au suffrage universel. Pourtant, rares sont les régimes qui se sont parfaitement pliés à cette exigence. La démocratie grecque a instauré une démocratie directe dans laquelle les citoyens rassemblés sur l’agora décidaient directement des affaires de la cité. C’est ce qu’on appelle une démocratie directe. Aujourd’hui, seule la Suisse s’en approche par la pratique régulière des « votations », c'est à dire des référendums d’initiative populaire.
Ensuite la démocratie représentative s’impose à partir de la fin du XVIIIe siècle aux Etats Unis et en Europe. Elle repose sur l’élection des représentants. Elle a été associée par la suite à d’autres exigences : l’extension du suffrage universel à tous les adultes, y compris les femmes, l’exigence de contre-pouvoirs, dont la presse, la protection effective de la liberté d’opinion, l’alternance politique, etc.
Depuis les années 1980, diverses expériences ont eu lieu en France mais aussi dans d’autres pays en Europe, en Amérique Latine etc. Il s’agit de démocratie participative ou locale. Ces expériences visent à associer des citoyens ordinaires à la délibération et aux décisions des politiques et des experts.
A la fin du XXe siècle, l’usage du mot démocratie a débordé le champ politique. Aujourd’hui on parle de démocratie des organisations ou des institutions. La démocratie à l’école prend en compte les droits des élèves et accorde une représentation aux parents dans les conseils. Dans la famille, elle consacre l’égalité des membres, père-mère, parents-enfants et accorde un droit de parole pour chacun. Dans l’entreprise, elle institue l’expression et la consultation des salariés.
ETAT DES LIEUX
Sur le plan quantitatif, depuis quelques années, la démocratie semble en panne. Dans les sociétés mêmes qui l’ont inventée, nombre d’intellectuels prophétisent son enterrement (Il faut lire les ouvrages comme Contre-démocratie, Hiver de la démocratie, Post démocratie etc.). Dans les pays où la démocratie est inexistante ou émergente, elle ne fait plus rêver comme auparavant. Le consensus de Pékin, expression qui résume le modèle chinois de développement alliant libéralisme économique et autoritarisme politique, apparaît comme une alternative redoutablement séduisante au consensus de Washington alliant libéralisation économique et démocratisation. Alors la démocratie est-elle dépassée ?
Le récent printemps arabe a démontré que la démocratie ne semble pas sur le point de disparaître. Ces soixante dernières années, le nombre des démocraties a été multiplié par plus de 4, passant de 20 en 1946 à 89 en 2008 sur 193 Etats. Selon l’organisation Freedom House, basée à Washington, qui mesure l’état des droits politiques et des libertés civiles dans le monde à travers une batterie d’indicateurs, 46% de la population mondiale vit dans un pays « libre » contre 25% il y a une quinzaine d’années.
Au niveau qualitatif, les exigences démocratiques continuent d’évoluer. Elles se renforcent sur les libertés fondamentales et s’étendent à de nouvelles sphères de la société: culture, famille, mœurs, éducation (A lire : Quelle démocratie voulons-nous ? Pièce pour un débat, La découverte, Paris, 2006). Ce qui paraissait un privilège il y a encore 20 ans (suffrage universel, règne de la loi, administration neutre, liberté de la presse etc.) est devenu aujourd’hui le minimum requis mais pas suffisant. De nouvelles aspirations arrivent : respect des minorités, fin des traitements de faveur des notables par rapport au citoyen ordinaire, traduction en justice des criminels d’Etat etc. A quoi reconnaît-on aujourd’hui une démocratie ?
LES 5 CRITERES DE LA DEMOCRATIE
De même qu’il n’existe pas une seule forme de la démocratie, de même n’y a-t-il pas non plus de critères officiels internationalement reconnus pour qualifier un régime démocratique. Cinq grands critères apparaissent toutefois étroitement associés :
· LA SOUVERAINETE DU PEUPLE
C’est la possibilité de pouvoir choisir les dirigeants exerçant le pouvoir par la tenue d’élections libres et transparentes.
· LA SEPARATION DES POUVOIRS
Cela consiste à séparer les différentes fonctions de l’Etat, afin de limiter l’arbitraire et d’empêcher les abus liés à l’exercice des missions souveraines. Ces différents pouvoirs sont :
Le pouvoir législatif dont la fonction consiste à discuter et voter des lois, voter le budget de l’Etat, contrôler le pouvoir exécutif.
Le pouvoir exécutif est chargé d’exécuter les lois, de définir les règles nécessaires à leur application et de gérer les affaires courantes de l’Etat.
Le pouvoir judiciaire a pour mission de contrôler l’application de la loi, de l’interpréter en examinant la concordance entre une situation concrète et la loi en elle-même, de sanctionner son non-respect. Il arbitre les litiges qui lui sont soumis relativement à l’application de la loi.
Le contrôle que chacun des trois pouvoirs exerce sur les autres est censé préserver les citoyens des atteintes à ses droits fondamentaux. Montesquieu semble soutenir cette idée quand il dit dans l’Esprit des lois que « Pour qu’on ne puisse pas abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ».
· L’EGALITE DEVANT LA LOI OU LE REGNE DE LA LOI
C’est l’existence d’un système judiciaire jugeant sur la loi. Chaque citoyen est soumis aux mêmes règles judiciaires, y compris ceux qui font la loi et ceux qui l’appliquent. Le riche et le pauvre sont égaux devant la loi.
· LA GARANTIE DES LIBERTES FONDAMENTALES
L’Etat doit garantir les libertés fondamentales des citoyens notamment la liberté de conscience, d’opinion, de la presse, de réunion. La plupart de ces droits se trouvent dans la déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ou encore dans la déclaration africaine des droits de l’homme et des peuples.
Il faut qu’il y’ait en face du régime au pouvoir une opposition politique organisée, libre qui peut s’exprimer.
L’indépendance de la presse ou des médias doit être garantie.
· L’ALTERNANCE DU POUVOIR
Le dernier critère qui permet de reconnaitre une démocratie c’est l’alternance du pouvoir. Critère a posteriori qui se vérifie une fois que le pays a connu au moins deux alternances. L’alternance a pour conséquence de renforcer la légitimité de la Constitution et l’adhésion des citoyens au régime politique.
Partant de ces cinq critères, pouvons-nous dire que la République Centrafricaine est-elle une démocratie ou cette démocratie reste-t-elle à conquérir ? Comment alors envisager cette conquête ? Quel sens et quelle forme les centrafricains veulent-ils donner à la démocratie dans leur pays ? Voici autant de questions auxquelles j’invite les compatriotes à réfléchir afin d’enrichir le débat sur le sujet. C'est aussi et peut-être l'une des voies de sortie pour que notre pays puisse prendre son envol.
Marcello IMAYAKA-MOHELLET
im_marcello@yahoo.fr