Mgr Nzapalainga : « La solution en Centrafrique ne peut passer que par le
dialogue »
http://www.la-croix.com 28/12/12 - 14 H 51
ENTRETIEN. Alors que l’offensive rebelle marque des points dans le nord et désormais le centre du pays,
Mgr Dieudonné Nzapalainga, archevêque de Bangui, appelle les différentes parties à « se mettre autour d’une même table ».
Quelles sont les racines du conflit actuel, opposant les rebelles du Séléka au président François Bozizé ?
Notre pays a connu toute une série de dialogues politiques : « conférence
nationale », « grand débat national », « dialogue politique inclusif »… À l’issue de ces processus, des accords ont été signés,
des résolutions prises, des promesses faites. Or le plus souvent, elles n’ont pas
été respectées. Lorsque les signataires retournent dans leur camp, des gens de la base estiment que ce qui a été signé ne les engage pas. Il s’ensuit même des scissions au sein des
partis.
Par exemple, il avait été décidé que ceux qui, dans la brousse, déposaient les armes, pourraient entrer dans l’armée ou se
voir proposer une aide pour se réinsérer, voire un travail. Or les choses traînent. Il semble que le gouvernement ait utilisé les crédits à autre chose. Il faudrait une évaluation de ce qui a été
fait, de ce qui n’a pas été fait, en déterminer les raisons, et désigner les responsables, de part et d’autre. Mais nous restons actuellement dans le non-dit. Faute de cet état des lieux précis,
les deux camps s’accusent mutuellement et en bloc. Le non-respect de la parole donnée engendre des frustrations, la violence, la rébellion, la guerre et la destruction.
Quelle est la position de l’Église catholique ?
Je suis très souvent interrogé par les médias, mes messages de l’Avent et de Noël ont été diffusés à la radio : j’y ai évoqué les maux de la
Centrafrique et redit que la solution ne pouvait passer que par le dialogue. La mission de l’Église consiste à apporter au monde la paix du Christ. Elle est appelée à faire montre de vigilance et
faire office de sentinelle pour notre époque.
Certains viennent même me voir pour demander à l’Église de jouer le rôle de tierce personne dans les discussions entre
gouvernement et rebelles. Mais nous ne pouvons jouer ce rôle à l’heure actuelle, faute de contact avec ces derniers. Peut-être mes frères évêques du nord du pays en ont-ils mais je ne parviens
pas à les joindre : toutes les lignes téléphoniques sont coupées.
Un dialogue est-il encore possible entre le gouvernement et le Séléka ?
Il n’y a pas d’autre alternative. Une famille, un quartier, une ville ou un pays qui n’envisage pas le dialogue dans la
gestion de ses différends ou dans la répartition des biens communs n’est pas loin de sombrer dans une spirale de la violence aux conséquences très destructrices. Le peuple centrafricain est
composé de plusieurs couches dont les attentes ne sont pas homogènes mais il n’en demeure pas moins qu’il partage une attente plus fondamentale : celle de la paix, comme cadre d’une économie
prospère, du développement, du bien-être, de la santé, de l’éducation…
Dans un pays confronté au népotisme, au clanisme, au régionalisme et à la concentration des richesses de tout un peuple entre
les mains d’une minorité, une autre aspiration connexe se fait sentir : la justice. Il ne s’agit pas de promouvoir un égalitarisme mais de rendre à chacun son dû et de se préoccuper des plus
faibles. Nous attendons que la justice soit rendue selon les dispositions du droit pour mettre un terme au règne des grands qui écrasent les petits.
Le conflit est-il aussi religieux, entre rebelles « musulmans » et Centrafricains
« chrétiens » ?
Non, il s’agit là d’analyses simplistes et rapides. J’entends dire ici ou là que parmi les rebelles, qui viennent du Nord,
certains portent des turbans… Je n’ai aucune preuve de cela. Selon moi, le conflit est bien davantage lié à l’injustice et au non-respect de la parole donnée.
RECUEILLI PAR ANNE-BÉNÉDICTE HOFFNER
La Centrafrique, un vrai casse-tête pour la France
28/12/2012
Le bourbier centrafricain pourrait être, paradoxalement, le laboratoire de la nouvelle politique africaine de la
France. Quels sont les choix qui s'offrent au président François Hollande?
Depuis l’époque de Bokassa (qui a dirigé le pays de 1966 à 1979), en République centrafricaine (RCA), le temps semble s’être arrêté.
Tous les régimes successifs, y compris celui croulant de François Bozizé, ont réussi l’exploit d’installer
le peuple centrafricain dans le régime de la déceptivité permanente.
Pourtant, ce pays regorge d’immenses ressources (or, diamant, pétrole, bois, coton) qui n’ont guère profité à son peuple,
plongé dans une misère indescriptible.
A l’heure où, une fois de plus, dans sa tragique histoire, la voix des armes semble plus audible que celle du dialogue
politique, le peuple centrafricain ignore tout de ce qui se trame sur sa tête, entre Paris, Ndjaména et Bangui.
Exaspérés, démunis, impuissants, une partie des Centrafricains réclament à cor et à cri
l’intervention militaire de la France pour arrêter la ballade de santé d’une rébellion disposant de soutiens extérieurs, encore indéchiffrables. Qui se cache derrière ces
rebelles?
«La démocratie ne se négocie pas»
Quoi qu’il en soit, François Hollande dont l’expérience africaine semble vierge, est attendu au tournant avec cette patate chaude
centrafricaine. Le bourbier centrafricain sera-t-il, paradoxalement, le laboratoire de la nouvelle politique africaine de Hollande? Il n’a pas le choix.
Souvenons-nous que lors du 14e sommet de la Francophonie, à Kinshasa, il avait affirmé, face à la presse, qu’il sera exigeant avec l’Afrique parce que, disait-il,
il aimait l’Afrique. Comme pour dire, qui aime bien châtie bien. Et il ajoutait d’un ton ferme:
«La démocratie ne se négocie pas.»
Certes, on connaît la sensibilité des militants et sympathisants socialistes français sur la question des droits de l’Homme
et de la démocratie. Et l’on sait également la mauvaise conscience qui agite la gauche française, après les errements et le doute moral de la politique mitterrandienne au
Rwanda. Mais, Hollande a l’avantage d’être un homme neuf.
Contrairement à Nicolas Sarkozy qui avait ce don inné de crisper et de susciter
des passions inutiles, Hollande jouit d’une image favorable sur le continent.
Cependant, en matière de politique africaine, en France, gauche et droite n’ont jamais brillé par leur créativité et leur
imagination. Mais droite et gauche prônent, depuis la présidence de Chirac, une refondation de la politique africaine de la France.
La présence militaire de la France
S’agissant de son dispositif militaire sur le continent, notamment
dans les pays dits du champ ou «pré carré», la France a engagé avec eux des processus de renégociation de ses accords de défense et de sécurité.
Rappelons tout de même que cette renégociation est plus subie que voulue côté français. Sans les contraintes budgétaires
pesant sur son économie nationale, la France n’aurait jamais procédé à de tels réaménagements.
Officiellement, la France de Hollande dit non à toute intervention pour sauver le régime aux abois de Bozizé. Aux Centrafricains de régler leurs comptes entre eux. Difficile de le croire et de le suivre quand on sait
historiquement que la Centrafrique a toujours été l’arrière-cour de Paris; avec Bangui, on peut parler de relations particulières, spéciales.
Comment Hollande compte-t-il concilier les valeurs de démocratie et de droits de l’Homme avec la défense des intérêts
économiques et stratégiques à Bangui? Se reniera-t-il? Va-t-il se salir les mains dans les eaux troubles de la politique africaine?
Une chose est sûre, quoi qu’il décide, il doit savoir que l’Afrique a changé et change, que la France est condamnée elle-même
à changer, et son regard, et sa politique africaine. Il est temps qu’on en finisse avec ce que l’historien congolais Elikia M’Bokolo appelle «ses nostalgies colonialistes attardées, ses pesanteurs rampantes de néocolonialisme, ses réseaux honteux de la
Françafrique».
Assurer sa propre sécurité
Mais, qu’elle intervienne ou pas en Centrafrique, la France n’a pas à répondre à cette question fondamentale à la place des Africains: la
moindre situation d’injustice justifie-t-elle le recours aux armes? Et que vaut l’honneur national sans une armée nationale?
Cinquante ans après «les indépendances», il est choquant de voir des Africains appeler à des interventions étrangères
militaires pour régler des différends entre eux. Comme s’ils n’avaient jamais été préparés, dès «les indépendances», à payer
le prix fort pour assurer leur propre défense et leur sécurité.
En 2013, pour tous les pays africains, la question cruciale demeurera la même: quel régime politique faudrait-il instaurer
pour garantir durablement la paix civile? Les lamentations et les fantasmes sécuritaires de certains dirigeants du type
Bozizé ne répondent, en aucun cas, à cette question.
Selon le philosophe anglais Thomas Hobbes, chantre de la sécurité, la crainte qui plane sur toute
collectivité humaine, c’est la guerre civile. Or, en Afrique, même des élections dites libres et transparentes finissent par conduire à la guerre civile. Ce qui apporte un démenti cinglant à
l’optimisme libéral de Tocqueville suivant lequel seule la démocratie peut insuffler et répandre dans le tissu social de toute nation, la paix civile, cette sorte d’énergie de l’espoir.
La loi des armes
Il existe une théorie funeste qui continue à prédominer en terre africaine: sans les armes, on ne peut pas arriver au
pouvoir. Et pour éviter cette dialectique naïve de la poudre et du canon, il faut que la politique prenne le pas sur une
vision militarisée de l’ordre politique.
L’édification de sociétés africaines démocratiques peut et doit se faire avec les armées en tant qu’institutions
républicaines. Il ne sert à rien de diaboliser l’ordre militaire en tant que tel. Mais sans la démocratie républicaine, la politique ne s’affranchira jamais, en Afrique, du bruit des
armes.
D’ailleurs, l’expérience centrafricaine
actuelle a mis en lumière ce juste sentiment d’humiliation nationale de ce peuple, par rapport à la pesante
tutelle militaire tchadienne. Il faut rappeler aux Africains, surtout aux jeunes générations, qu’il n’y a pas d’amour de la patrie sans amour de la démocratie.
Bien comprise, cette idée peut permettre aux peuples africains d’accomplir leur propre historicité. Mais en attendant, il
faudra accepter d’en payer le prix.
Abdoulaye Barro (Le Pays)
Centrafrique: reprise des combats à Bambari entre rebelles et armée
BANGUI 28-12-2012 à 19h16 - 19h55 (AFP) - De violents combats ont eu lieu vendredi à Bambari (centre), ville
occupée depuis dimanche par la rébellion du Séléka qui a repris les armes le 10 décembre et s'approche dangereusement de Bangui, a-t-on appris de source militaire centrafricaine.
"Des éléments des Forces armées centrafricaines (Faca) ont attaqué Bambari pour essayer de la reprendre. Les
combats ont été particulièrement violents. On ne sait pas encore qui contrôle la ville", a indiqué cette source sans plus de précisions.
Selon une source humanitaire, "des témoins situés à 60 km de Bambari ont entendu des détonations et des armes
lourdes pendant plusieurs heures dans la journée".
La reprise des combats intervient alors que les pays d'Afrique Centrale ont entamé vendredi une médiation en Centrafrique
pour tenter d'obtenir un cessez-le-feu et des négociations entre le régime du président François Bozizé et la rébellion.
Parallèlement, les ministres des affaires étrangères de la Communauté économique des états d'Afrique centrale ont entamé une
rencontre à Libreville (Gabon) pour trouver une solution de sortie de crise.
Le Séléka, qui revendique le "respect" de divers accords de paix signés entre 2007 et 2011, a
conquis de nombreuses villes du nord et du centre de la Centrafrique à une vitesse fulgurante, s'emparant de plusieurs villes stratégiques telles que Bria et Bambari (centre) et récemment Kaga
Bandoro, au nord de Bangui.
Vendredi, des éléments du Séléka ont été signalés aux alentours de Damara, ville située à a peine 70 km de Bangui, que la
rébellion a pourtant affirmé ne pas vouloir attaquer.
Réunis le 21 décembre à N'Djamena, les chefs d'Etats de la CEEAC avaient appelé à des négociations "sans délai" à Libreville,
en donnant un ultimatum d'"une semaine" à la rébellion pour se retirer de ses positions, ultimatum arrivant à terme vendredi.
Le Séléka avait exprimé sa "satisfaction" devant la proposition de négociation, mais avait maintenu
ses positions et continué sa progression vers Bangui, se justifiant par "les provocations des Faca", "l'absence de cessez-le-feu" et le "manque de garanties".
Crise en Centrafrique: les pays d'Afrique Centrale entament une médiation
Libération 28 décembre 2012 à 17:26
Les pays d'Afrique Centrale ont entamé vendredi une médiation en Centrafrique pour tenter d'obtenir un cessez-le-feu et des
négociations entre le régime du président François Bozizé et la rébellion qui le menace.
La Communauté économique des Etats d'Afrique centrale (CEEAC) veut réunir les belligérants à une table de négociation début
janvier, probablement à Libreville au Gabon, a appris l'AFP auprès de la Force multinationale d'Afrique centrale, une force de pacification régionale présente dans le pays depuis 2008 et qui
compte quelques centaines d'hommes.
"L'objectif est d'arriver à des négociations le 10 janvier. La mission est arrivée hier (jeudi) soir à Bangui.
Elle a commencé les discussions avec le pouvoir ici à Bangui et a envoyé une délégation à Ndélé pour rencontrer les rebelles", a-t-on indiqué de même source.
Cette mission de médiation est dirigée par le général congolais (Brazzaville) Guy-Pierre Garcia,
secrétaire général adjoint de la CEEAC, et elle est composée de six personnes.
Parallèlement, les ministres des Affaires étrangères de la CEEAC devaient se rencontrer vendredi à Libreville pour discuter
de la crise centrafricaine, selon une source au ministère gabonais des Affaires étrangères.
A Bangui, la situation était calme vendredi, mais les Américains ont néanmoins décidé d'évacuer entièrement leur
ambassade.
"L'ambassade des Etats-Unis à Bangui a provisoirement suspendu ses opérations le 28 décembre en raison de la
situation sécuritaire (...). L'ambassadeur Wohlers et son équipe diplomatique ont quitté Bangui", a annoncé dans un communiqué le département d'Etat jeudi soir.
L'ambassade de France, caillassée par des jeunes il y a deux jours, faisait elle l'objet d'une protection importante de
l'armée française, tandis que des employés ramassaient les innombrables pierres jetées sur l'édifice le 26 décembre.
Jeudi, le président centrafricain avait publiquement appelé à l'aide la France et les Etats-Unis pour le soutenir contre
l'Alliance rebelle Séléka, qui en deux semaines s'est emparé de plusieurs villes clés et menace de le renverser.
Mais le même jour, le président français François Hollande a réfuté tout soutien au régime
centrafricain.
Sans être généralisé, un sentiment anti-français commençait à apparaître vendredi chez une partie de la population,
probablement instrumentalisé par des radicaux du régime.
"Vous, les Français vous en voulez à notre pétrole, à notre sous-sol. Mais un jour on va s'en prendre à vous, on
va en tuer un! Vous faire partir! ", a lancé un douanier à un journaliste de l'AFP, qui a été pris à partie à deux reprises par des Banguissois sur le même sujet. Plusieurs
témoignages de Français à Bangui vont dans le même sens.
Dans la matinée, une manifestation pour la paix a réuni dans la capitale environ 300 femmes, à l'initiative d'associations
proches du régime, qui cherche à faire pression sur la communauté internationale pour qu'elle intervienne.
"Notre pays est en danger. On veut la paix. On tue nos frères dans l'arrière-pays. Il faut que le Séléka cesse
les combats", a affirmé Estelle Loka, femme au foyer et mère de trois enfants.
"Il faut que la France nous défende. Certains sont mécontents de la France parce qu'ils ne nous défendent pas
alors que c'est notre parrain. Il faut que la France vienne au secours de la RCA (République centrafricaine)" a-t-elle poursuivi, assurant "ne pas avoir de problèmes
avec les Français".
Dans un discours, la présidente de l'organisation des femmes centrafricaine, Marguerite Kofio, a demandé au
nom des "femmes centrafricaines aux chefs d'Etat de la sous-région de veiller à ce que le mandat du président Bozizé aille jusqu'à son terme".
La coalition rebelle du Séléka a pris les armes le 10 décembre pour réclamer le respect d'accords de paix signés avec le
gouvernement entre 2007 et 2011, qui prévoyaient des programmes de désarmement, de démobilisation et de réinsertion.
La Centrafrique, pays enclavé de cinq millions d'habitants, parmi les plus pauvres de la planète, était engagé depuis 2007
dans un processus de paix après des années d'instabilité, de multiples rébellions, mutineries militaires et putschs qui ont ravagé son tissu économique et l'ont empêchée de tirer profit de ses
ressources naturelles.