Louisa Lombard
RFI samedi 05 janvier 2013
Louisa Lombard, chercheuse, spécialiste de la Centrafrique, où elle a effectué plusieurs
séjours depuis 2009, vient de publier une thèse d'anthropologie sur la région nord-est de la RCA intitulée «La souveraineté des razzias aux confins de la Centrafrique». Elle répond aux questions
de Sonia Rolley.
« La Seleka est une coalition composée de différents acteurs (les Rungas et les Goulas) qui ont des
histoires et des revendications différentes. Mais, pour la plupart des membres de la coalition, il y a un facteur important qui les unit, c'est le fait qu'ils ont tous une haine contre
Bozizé ».
RFI : Avez-vous été surprise par l’offensive rebelle de ces dernières semaines
?
Louisa Lombard : Non, je ne peux pas dire que j’ai été surprise par les événements récents. Quand j’ai été au nord-est du pays, j’ai fait des recherches avec des
rebelles du FPR (Front populaire pour le redressement). Ils m’ont dit que si le gouvernement ne respectait pas les promesses qui leur ont été faites au cours des dialogues dans les différents
accords de paix, ils allaient reprendre les armes, pour choquer le gouvernement et pour attirer l’attention de la communauté internationale sur leur situation.
Ce qu’on voit dans le pays, c’est qu’il y a eu une politique de promesses, où le gouvernement a fait des promesses envers des
rebelles différents, et ces promesses ont convaincu les rebelles de remettre leurs armes. Après, ces promesses n’ont pas été respectées. Donc, c’est une politique qui peut marcher pendant
quelques années, peut-être, mais ce n’est pas durable.
Ndélé, Sam Ouandja, Tiringoulou, ou Kaga Bandoro, ce sont vos terrains de recherche,
et ce sont aussi les premières villes prises par les rebelles. Peut-on véritablement dire qu’elles ont d’ailleurs été prises par les rebelles ?
Il faut un peu faire la différence entre les différentes villes, parce que dans la ville de Tiringoulou, par exemple, il n’y
a aucune présence gouvernementale. Il y a peut-être un professeur dans l’école primaire. Mais à part ça, il y a vraiment très, très, très peu de présence gouvernementale. C’était une ville du
groupe des rebelles du FPR. Donc, c’était déjà une ville rebelle.
À Samouandja, il y avait une présence militaire du gouvernement national, mais en même temps, c’était aussi une ville des
rebelles, déjà. Dans toutes ces villes, on peut dire qu’il y a une présence très, très, très faible du gouvernement.
Il est vrai que les rebelles sont venus dans les villes, mais en même temps, ce n’était pas une situation où il y avait une
présence gouvernementale très forte qu’il a fallu abattre. Le gouvernement national fait très peu pour cette région.
Vous écrivez, justement, que dans certaines régions de la Centrafrique, le courrier
n’a pas été distribué depuis le milieu des années soixante-dix. Comment circule-t-on dans cette zone des trois frontières ?
Les personnes circulent très, très difficilement dans cette région, parce qu’il n’y a presque pas de routes. Ce n’est pas par
hasard si cette rébellion que l’on voit maintenant a débuté au mois de décembre. C’est parce que c’est le début de la saison sèche. Et pendant la saison pluvieuse, qui varie du mois de juin
jusqu’au mois de novembre, à peu près, dans toute la région du nord-est, les routes de Bangui ne sont pas passables. Il est très, très difficile pour ces gens-là de circuler dans le pays pendant
la moitié de l’année. C’est une région vraiment oubliée par le gouvernement central. Il y a très peu de gens qui habitent dans la région, c’est vrai. Mais en même temps, ces gens-là ont été
abandonnés par le gouvernement.
C’est un problème aussi de géographie mais depuis l’époque de la colonisation, cette
zone est assez isolée du reste des pays voisins, que ce soit du Soudan, du Tchad ou de la Centrafrique. Vous avez d’ailleurs étudié les archives coloniales d’Aix-en-Provence. Et justement, vous
avez retrouvé un texte d’officiel militaire français, qui juste avant la fin de la colonisation, disait qu’il se méfiait de cette zone. Qu’elle était «mangeuse d’hommes», et qu’elle était,
finalement, très difficile à administrer. Donc, la difficulté
d'administrer cette zone ne relève peut-être pas
seulement de la faute de Bangui ?
Vous avez tout à fait raison. La géographie est très importante. Ça, il faut le dire, parce que, comme je l’ai mentionné
déjà, c’est une zone où il y a très peu de peuples, très peu de gens, et c’est une zone très, très vaste ! Toute cette région du nord-est est à peu près aussi grande que le Portugal. Cela donne
peut-être une idée de la difficulté d’administrer une zone qui est aussi grande que le Portugal, mais avec peut-être moins de 100 000 individus dans la zone, et avec une géographie extrêmement
difficile à pénétrer, une brousse très dense.
Quelle est, justement, la situation sécuritaire, dans cette région de la
Centrafrique, donc avant la crise, et quelles sont les évolutions marquantes que vous avez pu constater depuis le début de vos recherches ?
J’ai débuté les recherches dans la zone en 2009. On peut dire que pendant toute cette période, c’était un peu la crise. Dans
les années soixante-dix, par exemple, et même au début des années quatre-vingt, eux ce qu’ils craignaient, c’était les attaques des lions, des éléphants, et des autres animaux sauvages. À partir
des années quatre-vingt, il y a eu une circulation des armes, majeure, dans la zone, en liaison, selon les gens, avec les guerres au Tchad, par exemple, et aussi au Soudan. Et en même temps, les
gens disent qu’ils ont été abandonnés par le gouvernement à Bangui, que c’est devenu pire, depuis ces deux dernières décennies.
Quels types de groupes armés peut-on trouver dans cette région, qui d’ailleurs
compose un peu la Seleka d’aujourd’hui ?
On peut mentionner, par exemple, l’UFPA, qui se trouve à Tiringoulou et Samouandja, et dans d'autres villes au nord-est du
pays. Il y a aussi l'APRD, qui se trouve à Kaga Bandoro, et plusieurs autres villes qui se trouvent plus au nord-ouest du pays, donc de l’autre côté, un peu. Et il y a le CPJP aussi, qui était au
nord de Ndélé.
Ce sont les trois groupes qui sont les plus connus. Tous ces groupes sont un peu l’évolution des groupes locaux
d’autodéfense, qui existent un peu partout dans le pays.
Mais est-ce que les groupes rebelles, dont vous dites qu’ils étaient plus organisés,
administraient vraiment ces zones ? Remplaçaient-ils un petit peu le gouvernement ou pas du tout ?
Oui, ils ont remplacé un peu le gouvernement. Par exemple, à Tiringoulu, c’était une petite ville de peut-être 2 000
personnes. On y trouve des gendarmes, mais des gendarmes de l’UFPA. Et il y a d’autres fonctionnaires qui sont des fonctionnaires rebelles, qui ne reçoivent pas de salaire de la part du
gouvernement, mais ils ont pris ces positions.
Cette nouvelle rébellion est un peu aussi l’échec des accords de paix, signés par
les différents groupes armés et le gouvernement. Comment vous expliquez cet échec-là ?
L’une des raisons est que l'on n’a pas vraiment vu de bonne volonté de la part du gouvernement et aussi des autres leaders
des groupes armés, qui ont participé au comité de pilotage du DDR (Désarmement Démobilisation Réinsertion).
Mais en même temps, on peut dire que les attentes des rebelles n’ont pas été réalistes non plus. Eux s’attendaient à tous
recevoir des positions dans l’armée, ou bien des sommes d’argent vraiment énormes. Dès le début, on voyait qu’il y avait des problèmes majeurs.
Par exemple, le DDR a marché un peu au nord-ouest du pays, où on peut circuler un peu mieux et où la situation sécuritaire
est meilleure. Mais au nord-est du pays, d’où vient la rébellion Seleka, la situation sécuritaire était très difficile. Cela a fait que les personnes qui allaient diriger le programme DDR ne
pouvaient pas circuler comme ils le voulaient dans la région. Même s’il y avait eu plus de bonne volonté de la part du comité de pilotage, pour débuter ce programme au nord-est, il y avait aussi
des contraintes, pas seulement géographiques mais aussi sécuritaires, qui faisaient qu’ils n’étaient pas réalistes.
On va un peu parler, maintenant, de cette rébellion de la coalition Seleka. Qui la
compose, à la fois du côté des officiers et des hommes de troupe ?
Les hommes de troupe, ce sont des gens que j’ai connus quand j’ai fait des recherches dans la zone en 2009-2010. Et ce sont,
pour la plupart, des gens de la région. On a entendu aussi des rumeurs sur la présence de Tchadiens et de Soudanais, qui feraient partie de ces troupes, mais je n’ai pas pu vérifier si tel est le
cas.
Le problème auquel font face les gens de la région, c’est que lorsqu'ils vont à Bangui, le pouvoir central les voit comme des
étrangers. Ils disent que ce ne sont pas des Centrafricains, que ce sont des Tchadiens ou des Soudanais. Alors que ce sont des gens qui sont nés en Centrafrique et qui sont des Centrafricains. Et
s’ils vont au Tchad ou bien au Soudan, ils sont de nouveau des étrangers et sont alors des Centrafricains. Ils se trouvent un peu, comme je l’ai dit, abandonnés, oubliés par les pouvoirs, dans
les différentes capitales de la région.
Pour les officiers, les porte-paroles, par exemple, ce sont des gens qui se trouvent en France, à Paris, et qui ont des liens
avec les grandes familles politiques de la Centrafrique.
La relation entre les porte-paroles et les troupes qui sont sur le terrain, est souvent difficile, dans la mesure où ceux qui
négocient pour le groupe n’ont pas été sur le terrain avec les hommes.
Ça, c’est aussi vrai pour la coalition Seleka aujourd’hui ?
D’après ce que je peux voir, oui, je pense que c’est vrai.
On parlait souvent, en tout cas, des affrontements intercommunautaires, entre les
Goulas et les Rungas. Dans cette rébellion Seleka il y a les deux communautés. Comment se passent les relations entre les deux ?
Les Goulas et les Rungas sont ces groupes ethniques qui habitent un peu côte à côte dans le nord-est du pays. Ce sont des
groupes qui ont eu des méfiances entre eux. Mais en même temps, ils ont aussi pu collaborer. Les confits entre les deux groupes ne sont pas des conflits de très, très longue durée.
Cela ne me surprend pas qu'ils aient décidé maintenant de collaborer pour montrer leur force au gouvernement. Parce que déjà
en 2010, on a entendu qu’il y avait peut-être la possibilité de collaboration entre ces groupes, parce qu’ils voyaient que les Goulas seuls ou bien les Rungas seuls, n’avaient pas assez de force
pour vraiment faire peur au gouvernement. Mais s’ils travaillaient ensemble, ils allaient peut-être réussir à faire un choc, comme ils disaient qu’ils voulaient faire.
Pour simplifier et pour schématiser, les Goulas sont plutôt UFDR et les Rungas
plutôt CPJP...
Oui.
Pensez-vous que la Seleka soit une coalition solide ?
Il y a des parties qui sont solides et peut-être d’autres parties qui sont un peut moins solides, parce qu’il y a des
facteurs différents, des histoires différentes, et des revendications différentes. Mais je pense que pour la plupart des membres de la coalition, il y a un facteur important qui les unit, c'est
la haine de Bozizé. Donc cette haine contre Bozizé les réunit tous, et rend la coalition plus solide qu’elle ne l’aurait été, s’il n’y avait pas ce ras-le-bol.
Comment pensez-vous que la crise actuelle puisse se résoudre ? Pensez-vous que cette
rébellion va aller jusqu’à Bangui ? Que des négociations sont vraiment possibles ?
Je pense que les négociations sont possibles. Mais les termes de la discussion doivent être sérieux. Il va falloir que le
président Bozizé fasse des concessions qui soient plus grandes que ce qu'il s’est montré capable le faire jusqu’à maintenant.
Mais est-ce que ce n’est pas aussi le cas des rebelles, puisque quand vous parliez
de l’échec de la politique de DDR, vous nous disiez que les rebelles avaient aussi, à l’époque, une vision un peu fantasmagorique de ce qu'ils pourraient obtenir de Bangui ? Est-ce qu’il n’y a
pas plus de réalisme à avoir, tant du côté du gouvernement que du côté des rebelles ?
Oui, c’est vrai. Les rebelles attendent de prendre le pouvoir, ou bien, s’ils ne le prennent pas, qu’ils reçoivent des sommes
d’argent et des positions dans le gouvernement. Et ça aussi, ce n’est pas très réaliste. Le dialogue va être un processus très sensible et très difficile aussi. Il n’y a pas de garantie que cela
va marcher.
Il y a des dynamiques dans le pays qui se sont mises en place depuis les dix dernières années, où les gens pensent que
prendre les armes est une façon de trouver des opportunités, de s’enrichir. Cela, ce n’est pas quelque chose qu’un dialogue puisse vraiment changer. Pour que cela change, il va falloir que le
mode de gouvernance à Bangui change énormément, et que cela devienne beaucoup plus transparent et inclusif. Ça, ce n’est pas quelque chose qu’un dialogue peut garantir et mettre en place. Mais
c’est quelque chose que l’on peut espérer pour le peuple centrafricain, qui a vraiment trop souffert ces dernières années.