Par Patricia HUON dans Marianne N° 820 du 5 au 11 janvier 2013.
Depuis la fin de l’apartheid, il y a vingt ans, l’ANC règne sur le pays.
Certains de ses dirigeants, jadis révolutionnaires, se sont beaucoup enrichis. Affairisme et bling-bling dominent, alors que les inégalités sociales restent criantes.
Vilkakazi Street, au cœur de Soweto, est devenue un mini-Disneyland de la lutte
antiapartheid. C’est ici, dans de modestes maisons, que vivaient l’archevêque Desmund Tutu et Nelson Mandela, avant son emprisonnement à Robben Island. En 1976,
c’est dans ce quartier que démarrèrent des émeutes sanglantes qui se propagèrent dans tout le pays. Aujourd’hui, restaurateurs, vendeurs de souvenirs, artistes de rue, essaient de tirer profit de
l’afflux de touristes venus se faire prendre en photo devant la maison du premier président noir sud-africain, transformée en musée. Le week-end, une nouvelle classe moyenne qui a migré vers les
banlieues aisées du nord de Johannesburg revient y afficher son aisance, sono à fond, au volant de grosses voitures de sport. Dix-huit ans après les premières élections démocratiques, Soweto a
changé, certains quartiers se sont embourgeoisés.
A l’image de l’ancien ghetto, les « combattants de la liberté »,
qui siègent aujourd’hui au gouvernement surfent sur la vague consumériste qui a déferlé sur l’Afrique du Sud. Les années de privation expliquent certainement le goût du luxe de ceux que la
population a surnommé les « gros chats ». Mais leurs excès et les scandales de corruption successifs attestent aussi que le Congrès national africain (ANC), le parti né dans
les townships, a vendu son âme au veau d’or. « La culture bling-bling s’est emparée de l’ANC. On a vu s’installer, à tous les niveaux de pouvoir, une génération dont le style de
vie n’a plus grand-chose à voir avec les engagements politiques du parti de la libération », regrette l’analyste politique Leslie Diokeni.
Le 18 décembre dernier, Jacob Zuma a été reconduit à la tête du
parti avec près de 75% des suffrages exprimés par les 4000 délégués du congrès électif de l’ANC qui se tenait à Mangaung (anciennement Bloemfontein, au centre du pays). Elu pour la première fois
en 2007, il portait alors les espoirs des laissés-pour-compte de la nouvelle Afrique du Sud. Fils d’une servante, n’ayant jamais fréquenté les bancs de l’université, cet homme du peuple apparaît
comme le contraire de son prédécesseur, l’intellectuel Thabo Mbeki. Jacob Zuma se présente comme plus à l’écoute des revendications des pauvres et,
paradoxalement, moins corrompu. Pourtant, avant son accession à la magistrature suprême, il avait déjà été éclaboussé par une affaire de pots-de-vin, versés par le géant français de l’armement
Thales. Malgré les preuves, malgré la condamnation de son conseiller financier pour ces mêmes faits, le parquet a finalement abandonné les poursuites contre Jacob Zuma.
Mais, à peine les ministres de son gouvernement installés dans leurs bureaux, les
scandales ont éclaté. Accusations de corruption, gaspillage de l’argent public… Alors qu’environ 40% de la population sud-africaine vit avec moins de 2 dollars par jour, qu’un quart de la
population active est au chômage, les cadres du parti dépensent sans compter, organisent des soirées extravagantes et font bâtir de nouvelles maisons à l’aide de financements pas toujours
transparents. « l’afflux d’argent est tellement important que celui-ci a désormais plus de pouvoir que l’idéologie et la conscience politique », reconnaît le secrétaire général
du parti, Gwede Mantashe. « L’ANC doit faire comprendre aux ministres que la seule chose qui leur appartient est leur salaire », ajoutait-il avant la
conférence du parti.
Nouvelle petite élite dorée
Mais, en matière d’argent, l’ANC est plutôt mal placé pour donner l’exemple !
Selon l’hebdomadaire sud-africain d’investigation Mail et Guardian, le président du parti (et de la République), Jacob Zuma, lourdement endetté avant son élection à la tête de
l’ANC, aurait reçu plus de 800 000 euros d’une longue liste de généreux amis, parmi lesquels plusieurs hommes d’affaires. Il a par ailleurs entrepris des travaux de rénovation de son
complexe résidentiel, dans la province du Kwazulu-Natal, pour un montant de 21,5 millions d’euros, majoritairement payé par le contribuable. Ces dernières années, les membres de la large famille
Zuma se sont aussi lancés dans les affaires et se sont associés à plus de 200 sociétés. Dans un pays rongé par le népotisme, les proches du président ont largement profité du
Black Economic Empowerment (BEE). Ce programme de discrimination positive devait permettre à la majorité noire d’accéder au pouvoir économique après cinquante années d’apartheid. Mais, dans
les faits, le BEE- qui incite notamment les entreprises à intégrer parmi leurs actionnaires des personnes issues des communautés précédemment discriminées- n’a bénéficié qu’à une petite élite,
dont la majorité est liée à l’ANC.
Tokyo Sexwale, actuel ministre du logement, âgé de 59 ans, est l’un des symboles de ces révolutionnaires
devenus capitalistes. Enfant de Soweto, formé au maniement des armes en Union Soviétique, il a été incarcéré pendant 13 ans dans les geôles de l’apartheid avec Nelson Mandela. Après sa
libération, il se lance en politique puis dans les affaires, à la fin, des années 90, amassant rapidement une considérable fortune. Directeur d’un important fonds d’investissement, il a des
intérêts dans les mines, la santé, les banques, les assurances, l’immobilier, et pointe désormais parmi les personnalités les plus riches du pays. Le milliardaire se présente comme
un « self-made man ». S’il prétend « (détester) la corruption », il est accusé d’avoir profité de ses liens politiques pour décrocher des marchés
publics et bâtir son empire.
Pas de réelle opposition
Cyril Ramaphosa – promu nouveau vice-président du parti au détriment de Kgalema Motlanthe, qui
avait osé défier Zuma à la tête d’une coalition-est une autre grande figure de la lutte contre l’apartheid reconvertie en businessman. Ancien leader du Syndicat national des
mineurs (NUM), il avait été pressenti pour succéder à Nelson Mandela à la présidence du pays, en 1999. Evincé par Thabo Mbeki, il s’est alors retiré de la
politique pour se consacrer aux affaires. Avec un tel succès (il siège notamment aux conseils d’administration de la Standard Bank du brasseur SAB Miller, préside celui du géant de la téléphonie
MTN et possède la franchise sud-africaine de McDonald’s) que certains suggèrent que cette mise à l’écart aurait été compensée par de juteux contrats. Ironiquement, lui qui avait mené un mouvement
de grève massif dans les mines dans les années 80, fait aujourd’hui partie du conseil d’administration de Lonmin, troisième producteur mondial de platine. Une position qui lui a valu de vives
critiques cet été, après le massacre de Marikana, au cours duquel 35 mineurs grévistes employés par la société britannique ont été abattus par la police. L’ancien syndicaliste est soupçonné de ne
se soucier que de son enrichissement personnel au détriment du bien-être de ses concitoyens.
Sautant sur l’occasion pour tenter un retour sur la scène politique après avoir été
exclus de l’ANC en Avril. Julius Malema, ancien président de la ligue des jeunes et démagogue patenté, a alors vilipendé les Ramaphosa, Zuma et consorts, les
accusant « d’exploiter les travailleurs » et d’être responsables du drame du Marikana. Malema se veut le porte-parole des masses déçues par la présidence de
Zuma. Mais, lorsqu’il arrive dans sa Mercedes noire aux vitres teintées, montre Breitling au poignet et costume Armani sur le dos, il peut difficilement nier qu’il mène, lui
aussi, un grand train de vie. Ancien allié de Jacob Zuma, aujourd’hui devenu son plus virulent opposant. Malema a été inculpé en septembre de blanchiment d’argent et abus de
biens sociaux et se trouve actuellement en liberté sous caution. La justice l’accuse notamment d’avoir reçu plusieurs millions de rands dans une affaire impliquant des appels d’offres publics.
Une inculpation qui tombe à point pour museler cet encombrant dissident, juste avant la conférence de l’ANC.
Siyabonga Cwele, actuel ministre de la Sécurité, a quant à lui conservé son poste malgré la condamnation de
son épouse, l’année dernière, à douze ans de prison ferme pour trafic de drogue. Tony Yengeni, du parti, surnommé « le socialiste Gucci »par la presse, a été
condamnée en 2003 à quatre ans de prison pour corruption dans la négociation de contrats d’armement. Il est alors le premier politicien important à être incarcéré. Finalement, il ne passera
qu’un peu moins de cinq mois derrière les barreaux. Loin d’avoir été exclu du parti, il reste membre de son comité exécutif, et sa Maserati est régulièrement aperçue dans les rues de Greenpoint,
le quartier chic du Cap où il réside. Quant à Kgalema Motlanthe, l’ex-vice président archi battu passe pour être un homme intègre. Mais c’est sa campagne qui a récemment été
l’objet d’accusations de corruption.
« Zuma, comme Mbeki avant lui, s’est appuyé sur une série d’alliés
qu’il a remerciés par des postes au sein de l’administration, l’attribution de marchés publics… Ceux-ci savent que, s’ils tournent le dos au président, ils peuvent perdre tous ces avantages,
constate le politologue Daniel Silke. C’est en partie pour ça qu’il bénéficie toujours d’un large soutien au sein de l’ANC. »
Après dix-huit ans au pouvoir, l’ANC, le parti de Nelson Mandela,
rassemble toujours les deux tiers des électeurs, mais, faute d’une réelle opposition, la démocratie sud-africaine est devenue de facto un régime de parti unique, avec les abus de pouvoir
qui en découlent. Si les conditions de vie de la population se sont globalement améliorées depuis la fin de l’apartheid, les défis restent énormes et le fossé ne cesse de se creuser entre l’élite
politique et ceux qu’elle est censée représenter. Quelquefois le parti tente de restaurer péniblement son image. Il qualifie ainsi d’ « antirévolutionnaires » les excès d’un
riche homme d’affaires du Cap et ses invités membres de l’ANC lors d’une soirée où des sushis sont servis sur le corps d’un mannequin. Mais, lorsque, pour fêter la victoire de l’ANC aux élections
locales de 2011, ces mêmes leaders arrosent la foule de Moët et Chandon, personne, ou presque, ne trouve à redire… P.H.
NDLR : Avec des dirigeants aussi embourgeoisés, on n’a plus
affaire avec l’Afrique du Sud post apartheid de Nelson Mandela mais à un autre pays qui ne sait même plus distinguer entre les valeurs idéologiques de démocratie, de libertés individuelles, de
bonne gouvernance et dont les principaux responsables ne sont préoccupés que par leurs intérêts mercantiles égoïstes et un affairisme forcené qui les a même conduits à se livrer sans vergogne à
un très juteux commerce d’armes de guerre moyennant concessions minières et trafic de diamants avec un dictateur sanguinaire comme François Bozizé dont la rébellion exige maintenant qu’il soit
traduit devant la Cour Pénale Internationale et au secours duquel le gouvernement d’Afrique du Sud se permet d’envoyer un corps expéditionnaire de 400 hommes pour la
protection.
C’est une honte pour Jacob Zuma qui vient pourtant d'être élu récemment
vice-président de l'Internationale Socialiste et dont l’épouse vient de prendre la tête de la Commission de l’Union Africaine avec le soutien plus qu’intéressé d’un Bozizé qui savoure à présent
le renvoi d'ascenseur. Jacob Zuma doit sans tarder se défaire du truand et nuisible affairiste Didier Pereira qui ne cesse de jouer les go between entre lui et le dictateur de Bangui dont le
pouvoir est en train de vaciller fortement. Les troupes sud africaines n'ont pas leur palce à Bangui et les livraisons criminelles d'armes de guerre de Pretoria à Bozizé doivent immédiatement
cesser.