http://www.rue89.com/ 19 jan, 2013
Parmi tous les contingents africains attendus au Mali, les Français comptent surtout sur l’appui des Tchadiens, au point que cette offensive, au lieu d’être franco-malienne, pourrait être décrite comme franco-tchadienne.
Le Tchad, pays d’Afrique centrale et de ce fait non membre de la Confédération des Etats d’Afrique de l’ouest (Cedeao) qui mobilise ses troupes pour porter assistance au Mali, a annoncé l’envoi de quelque 2 000 hommes, le plus gros contingent étranger après celui de la France.
Mais surtout, il s’agit d’une armée expérimentée, aguerrie et habituée au terrain particulièrement difficile du nord du Mali, en tous points similaire au nord du Tchad dont sont généralement originaires les combattants d’élite tchadiens.
Par rapport aux armées inexpérimentées et surtout étrangères aux terrains rudes du désert qu’enverront des pays comme le Togo ou le Ghana, les Tchadiens ont tout pour devenir l’épine dorsale de la Force internationale de soutien au Mali (Misma), placée sous commandement nigérian.
Il y a plusieurs mois déjà, un cadre militaire tchadien nous confiait la disponibilité du Tchad à participer à cette intervention au Mali, et estimait, sans fausse modestie, que son armée était la seule en mesure de « faire le boulot » dans le nord du Mali.
En guerre permanente
Les Tchadiens ont, il est vrai, quelques décennies d’expérience… Le pays vit en état de guerre et de rébellion quasi permanent depuis les années 1970, depuis que les Toubous des montagnes du Tibesti se sont rebellés.
On se souvient de « l’affaire Claustre », cette archéologue française longtemps détenue en otage au Tibesti par Hissène Habré et Goukouni Oueddei. Depuis cette époque, des générations de combattants se sont succédé contre tous les ennemis : le pouvoir central de N’Djaména, les Français, les Libyens, les Soudanais, et surtout entre Tchadiens…
Le principal fait d’armes tchadien, c’est évidemment d’avoir mis en déroute – avec un appui certain des Français – l’armée du colonel Kadhafi, dont on peut encore voir les vestiges, en chars de fabrication soviétique, dans le désert, entre Faya Largeau et Fada.
La mobilité, la capacité de survivre aux fortes chaleurs, à trouver ses repères dans le désert… Ces qualités que l’on prête à juste titre aux groupes islamistes qui ont pris contrôle du nord Mali l’an dernier sont également celles des Tchadiens.
Dans le clivage nord-sud qui traverse tous les pays de la zone sahélienne, de la Mauritanie à l’ouest, quasiment jusqu’à la mer Rouge à l’est, le Tchad est le seul dont le pouvoir politique soit aux mains de dirigeants issus du nord, de la partie aride du pays, et pas des zones plus luxuriantes du sud.
Idriss Déby, l’implacable président du Tchad, est originaire de la région de Fada, une oasis du nord du pays. Il a été le chef d’état-major d’Hissène Habré lors de l’offensive contre les Libyens, avant de prendre à son tour le pouvoir, qu’il occupe depuis plus de deux décennies.
C’est un survivant, car depuis son accession au pouvoir par la force en 1990 il a subi plusieurs tentatives d’éviction armées, notamment en 2008, où il n’avait dû son salut qu’à un coup de pouce de dernière minute de l’armée française, sur ordre de Nicolas Sarkozy, alors que le palais présidentiel était sur le point de tomber.
Mais ce n’est pas une éventuelle « dette » qui pousse Idriss Déby à s’engager massivement dans cette guerre, de manière plus significative que les voisins immédiats du Mali.
Le Tchad n’est même pas directement concerné par ces événements, Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) et la nébuleuse islamiste ayant échoué, jusqu’ici, pour des raisons largement ethniques et religieuses, à étendre leur zone d’influence au Tchad, pourtant un pays en grande partie musulmane – seules les populations du sud sont chrétiennes et animistes.
Idriss Déby se comporte de plus en plus comme le « parrain » de sa sous-région, avec une assurance d’autant plus grande qu’en plus de sa force militaire, qu’il n’hésite pas à employer (un contingent tchadien a été envoyé le mois dernier en Centrafrique à l’appel du président Bozize menacé par ses propres rebelles), il a désormais l’argent du pétrole, exploité par les Chinois. Même si son pays reste l’un des plus pauvres au monde.
Sauveur de l’Afrique ?
Le président tchadien se présente comme un pôle de stabilité dans une région agitée (rébellion en RCA, attentats de la secte islamiste Boko Haram au Nigeria, Aqmi au Niger et au Mali, instabilité au Soudan et en Libye), même si cette « stabilité » n’est guère propice à la démocratie intérieure – et c’est un euphémisme. Un opposant politique légal, Ibni Oumar Mahamat Saleh, a visiblement été liquidé à la faveur des troubles de 2008, en toute impunité.
En se rendant indispensable au Mali, auprès des Français mais aussi des Etats d’Afrique de l’ouest, Idriss Déby bâtit sa propre légende à l’échelle africaine. Et tente de devenir l’incontournable sauveur face à un ennemi islamiste que personne n’a su confronter jusqu’ici.
Pour l’armée française, ce ne seront que des retrouvailles, puisqu’une partie de l’opération Serval est menée à partir de la base aérienne de N’Djaména et que les deux armées se connaissent bien. Quoi qu’on en dise, la Françafrique, ça crée des liens… On pensait les Français « seuls » : avec les Tchadiens, ils le seront assurément moins.