CRISE CENTRAFRICAINE
AFRIQUEDUCATION n° 362 - Du 1er au 14 février 2013 - www.afriqueeducation.com
Dans les coulisses librevilloises et banguissoises
J’ai perdu une bataille, pas la guerre », parole du général d’armée François Bozizé ! Il a tenu ces propos, à Bangui, le 8 janvier, avant de s’envoler pour Libreville afin d’y prendre part aux pourparlers de paix inter-centrafricains, conscient que les 400 militaires sud-africains qu’il a fait venir, dans le but de sécuriser son régime, n’ont pas ef fectué le déplacement pour orner la galerie.
Dès lors, la question pouvait être posée : le président centrafricain allait-il signer la paix ou se rendait- il à Libreville pour ruser, comme à son habitude, une énième fois ?
D’autant qu’avant d’aller à Libreville, il avait, la veille, pris le soin de se rendre, seul, à Brazzaville, rencontrer le président du Comité de suivi de l’Accord de Libreville, Denis Sassou Nguesso. Cet entretien que d’aucuns avaient trouvé suspect, ne pouvait-il pas attendre 24 heures, pour avoir lieu, dans le cadre d’un apar té entre François Bozizé et Denis Sassou Nguesso, à Libreville ? C’est pour dire que François Bozizé, selon Seleka et l’opposition démocratique, avant les pourparlers de Libreville, était perçu comme quelqu’un qui, se sentant très diminué politiquement et militairement, cherchait des bouées de sauvetage, par tous les moyens, pour ne pas perdre (tout) son pouvoir.
Le connaissant jusque dans ses derniers ressorts de fonctionnement, le président du Tchad, Idriss Déby Itno, suivait, à Libreville, ses moindres faits, gestes et paroles. C’est ainsi que, quand les chefs d’Etat recevaient les différentes délégations pour des discussions, Déby prenait le soin de faire sor tir préalablement Bozizé de la salle, pour qu’il ne soit pas à la fois juge et partie. Bozizé n’a pas du tout apprécié…
Quand Idriss Déby Itno, Denis Sassou Nguesso et Ali Bongo Ondimba, ont décidé, dans le projet d’accord, d’utiliser l’expression « gouvernement d’union nationale de transition », la délégation officielle de la RCA conduite par Willybiro Sako se mit à hurler de toutes ses forces. Ce dernier partit pleurer auprès des Equato-Guinéens et des Camerounais (car plus compréhensifs à leurs yeux) pour qu’en fin de compte, le ministre camerounais des Affaires étrangères, Pierre Moukoko Mbonjo, qui remplaçait Paul Biya, demande la suppression du mot « transition ». Argument avancé : ne pas faire la part trop belle aux rebelles de Seleka.
Toujours dans sa volonté de torpiller l’Accord de Libreville, François Bozizé insistait pour garder des ministères régaliens : Défense, Finances, Intérieur, Mines, Affaires étrangères. Là aussi, Idriss Déby Itno a insisté auprès de lui et de ses pairs pour qu’il n’ait pas la Défense. Très agacé, le président tchadien aurait lancé à Bozizé : « Qu’est-ce que tu veux faire encore avec le ministère de la Défense que tu n’as pu faire pendant 10 ans » ? L’allusion était ainsi faite aux milliers de militaires formés, à Moussoro, sous la supervision du président tchadien et qui devaient permettre la formation de la nouvelle armée centrafricaine, une armée digne de ce nom. Le président François Bozizé a choisi de les laisser errer dans la nature, en leur refusant les armes pour combattre la rébellion Seleka de peur qu’ils ne lui fassent un coup d’état militaire. A la place, il a préféré demander l’intervention militaire des Américains et de ses « cousins » français, comme en 2007, à Birao, quand Jacques Chirac envoya trois avions au départ de la base française de N’Djamena, bombarder les colonnes de rebelles de l’UFDR qui venaient de se lancer, depuis Birao, vers la capitale Bangui.
Autres temps, autres moeurs. François Hollande, nouveau locataire de l’Elysée, a refusé de répondre à l’appel de son homologue centrafricain.
Ayant reçu sa fin de non-recevoir pour que l’armée française l’aide à mater Seleka, François Bozizé a fini par accuser François Hollande d’être plutôt de mèche avec l’opposition, raison pour laquelle il refusait de voler à son secours.
Le président centrafricain faisait allusion au président du MLPC, Martin Ziguélé, proche du parti socialiste français, qui venait d’accorder une longue interview à AFRIQUEDUCATION (numéro 359 du 1er au 15 décembre 2012) dans laquelle il avait vertement critiqué la mal gouvernance et l’incurie du régime alors que Seleka lançait son attaque exactement le 10 décembre. Pour Bozizé, une telle juxtaposition de faits et de dates ne devait rien au hasard dans la mesure où il soupçonnait l’existence d’une véritable coalition entre Paris et le chef de l’opposition centrafricaine, pour le chasser du pouvoir, par les moyens légaux ou anticonstitutionnels.
Autre geste de mauvaise humeur de François Bozizé : de retour de Libreville où l’opposition démocratique avait porté son choix sur Me Nicolas Tiangaye, il a fait monter la pression auprès des « patriotes » (militants KNK) pour récuser ce choix. A un moment donné, on a craint pour sa vie, les relations entre les deux hommes n’étant pas au beau fixe. Le décret nommant Nicolas Tiangaye ne sortant toujours pas alors que tout avait été ficelé à Libreville, une délégation de l’opposition démocratique et de Seleka à laquelle prenaient part Nicolas Tiangaye, Martin Ziguélé et Michel Am Non Droko Djotodia, décida de se rendre, à Brazzaville, chez le président du Comité de suivi, Denis Sassou Nguesso. Avant d’envoyer son avion les récupérer, ce dernier chercha, sans succès, à téléphoner à François Bozizé, à Bangui.
Curieusement, personne ne répondit à ses appels y compris au standard de la présidence de la République. Lassé de n’avoir pas son homologue au bout de la ligne, le président du Comité de suivi fit décoller son avion pour Bangui. Quand Bozizé apprit que l’avion envoyé par le président du Congo était en train d’atterrir à l’aéroport de Bangui-Mpoko pour transporter les membres de l’opposition démocratique, avant d’aller chercher ceux de Seleka, à Libreville, il piqua une sainte colère digne d’un général cinq étoiles.
Ne pouvant plus freiner la marche de l’histoire, les délégués de l’opposition armée et non armée arrivèrent à Brazzaville dans la soirée de lundi 14 janvier. Reçus le lendemain matin, ils purent confirmer, en choeur, le consensus fait sur la personne de Me Nicolas Tiangaye pour qu’il soit nommé premier ministre, avant de regagner, ensemble, Bangui où les délégués de Seleka, ont été immédiatement placés, sous la protection des éléments de la Fomac basés à Bangui-Mpoko. Malgré le long détour de Brazzaville, la nomination de Tiangaye se faisait toujours attendre, François Bozizé ayant plus d’un tour dans son sac. Mercredi 16 janvier, il suscita la candidature de Me Jean-Jacques Demafouth au poste de premier ministre en brandissant son curriculum vitae comme étant le mieux-disant de tous.
Ici, aussi, sa manoeuvre n’a pas pris devant une opposition démocratique et armée bien soudée.
Voyant qu’il n’y avait plus rien à faire, il se résolut de guerre lasse, à convoquer une cérémonie publique au Palais de la Renaissance avant de signer le décret de nomination du premier ministre.
Mais lors de cette ultime étape, il a donné la parole à certains leaders politiques de la mouvance présidentielle comme Auguste Boukanga et Bengué Bossin, afin qu’ils agressent verbalement Me Nicolas Tiangaye. Satisfait par la sortie des deux militants de son parti, il pouvait, à présent, signer le décret de nomination du premier ministre qu’on lui présentait, non sans ironiser : « Tiangaye a voulu être premier ministre. Bonne chance ».
De notre correspondant à Bangui,
Frank Moussa
BANGUI « LA COQUETTE »
Choses vues et entendues à propos de...
…Martin Ziguélé, François Bozizé l’aurait encouragé à devenir premier ministre, ce à quoi Martin Ziguélé a opposé un refus catégorique. Sachant que l’Accord de Libreville stipule que le premier ministre et son gouvernement ne se porteront pas candidats à l’élection présidentielle de 2016, le président centrafricain qui, lui-même, ne sera pas candidat pour avoir fait deux mandats successifs, a tout fait pour que Martin Ziguélé accepte sa proposition.
Pour contraindre ce dernier à briguer ce poste, il est allé jusqu’à téléphoner à certains dignitaires étrangers (comme les présidents du Niger et de Guinée) pour qu’ils persuadent le président du MLPC à devenir le successeur du « mathématicien de Boy-Rabé » (Faustin-Archange Touadéra). Peine perdue ! Pour déjouer la manoeuvre de François Bozizé qui commençait à semer la division dans le camp de l’opposition, en suscitant d’autres candidatures à la primature comme celles de Me Jean- Jacques Demafouth de « l’opposition non combattante », voire même, celles de Louis-Pierre Gamba du RDC d’André Kolingba et de Me Henri Pouzere de Londo, qui tous, deux, à Libreville, avaient un temps, manifesté une sérieuse volonté de briguer la primature, Martin Ziguélé, sentant le danger arriver à grands pas une fois de retour à Bangui, est allé voir, chacun des 9 leaders membres du FARE pour être sûr qu’ils soutiendraient, tous, la candidature de Nicolas Tiangaye à la primature. C’est ainsi que l’unité a été préservée.…
Nicolas Tiangaye, Le président de la République et lui se connaissent très bien. Ancien président du CNT (Conseil national de transition entre 2003 et 2005), il avait verrouillé la constitution en ses articles 24 et 108. L’article 24 parle d’un mandat renouvelable une seule fois et de la durée du mandat qui est de 5 ans tandis que l’article 108 souligne que la durée du mandat du président (5 ans) et le nombre de mandats (2) au maximum, ne sont ni révisables ni modifiables. Justement, on prêtait l’intention à François Bozizé de vouloir faire sauter ces deux verrous lors de la modification de la constitution qu’il envisage pour, officiellement, mettre en place le sénat. Avec Nicolas Tiangaye à la primature, il lui sera difficile de ne pas respecter la parole donnée au président français François Hollande, au président honoraire de l’Union africaine, Yayi Boni, et aux présidents des pays membres de la CEEAC, et Manuel Pinto da Costa. Idriss Déby Itno, Denis Sassou Nguesso, Ali Bongo Ondimba, Teodoro Obiang Nguema Mbasogo