C’est un hommage mérité que je me fais le devoir de rendre aujourd’hui non seulement à l’avocat le plus ancien du Barreau Centrafricain, mais aussi et surtout à un praticien du droit qui, depuis 1961 a consacré sa vie au service de la justice, des libertés et des droits de
l’homme.
Un demi- siècle : tout un symbole.
ZOKOEZO est dans la lignée de nos doyens HIRSCH et SOUQUET.
Mais ZOKOEZO n’était pas seulement un diseur de droit. A sa manière il était aussi un faiseur de nation.
Au plan national, tout le monde connait sa contribution pour la création du Barreau Centrafricain, de la Ligue Centrafricaine des Droits de l’homme, de
l’Observatoire Centrafricain des Droits de l’Homme dont il était le fondateur, sa participation aux luttes des Forces démocratiques pour les
changements politiques en RCA au début des années 1990 et récemment au sein du Conseil National de Transition.
J’ai particulièrement le devoir de porter un regard sur la dimension internationale de Maître ZOKOEZO, dimension
ignorée par ses compatriotes.
Pour avoir été à ses côtés dans la plupart des conférences, congrès, symposiums, colloques à l’étranger, j’ai
conscience que c’est sur mes épaules que repose la responsabilité de faire connaître le sens de son combat car, ZOKOEZO était un pèlerin infatigable de la liberté et de l’espérance.
Il était le premier avocat centrafricain à représenter ses confrères dans des instances internationales d’avocats
avant la création de notre jeune Barreau.
Déjà, du 21 au 24 Mai 1980, il avait participé à la création de l’Union Interafricaine des Avocats (UIAA) à
DAKAR.
Du 13 au 16 Janvier 1988, il avait participé au 2e Congrès de l’UIAA à Libreville où après avoir
brillamment contribué à la modification des statuts de cette organisation continentale, il avait été élu Vice-président pour l’Afrique Centrale.
Du 11 au 13 Juillet 1987, plus de 150 Avocats de l’Afrique Centrale
s’étaient retrouvés à Brazzaville pour créer l’Union des Avocats de l’Afrique Centrale (UNAAC). Trois Avocats Centrafricains étaient présents : Lambert ZOKOEZO, ZARAMBAUD ASSINGAMBI et
Nicolas TIANGAYE.
C’est Maître ZOKOEZO qui était le Chef de notre Délégation. Je me souviens encore de mon complexe de jeune avocat
face à cet aéropage d’anciens et talentueux avocats venus de l’Afrique Centrale et de l’Afrique de l’Ouest. Mais c’est ZOKOEZO qui avait réussi à me
convaincre de présider la Commission des Droits de l’Homme dans laquelle siégeaient des sommités du droit comme Maître KAMANDA WA KAMANDA du ZAÏRE, Ancien Ministre des Affaires Etrangères de son
pays et Ancien Secrétaire Général adjoint de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA), ainsi que le Bâtonnier Robert DOSSOU actuel Président de la Cour Constitutionnelle du BENIN.
Je mesure à sa juste valeur le rôle que Maître ZOKOEZO avait joué dans
mon engagement pour le combat pour la justice, les libertés et les droits humains.
Très tôt, il avait pris conscience que l’avocat centrafricain doit être au centre des changements qui se dessinent
partout sur notre continent, des changements qui ne sont pas l’écho naturel des bouleversements intervenus sous d’autres cieux, mais également et surtout l’expression des propres aspirations du
peuple Centrafricain à la liberté et à la démocratie.
De ce strict point de vue, Maître Lambert ZOKOEZO a été un pionnier.
Il a été membre individuel de l’Union Internationale des Avocats dont le siège est à Paris.
Il avait noué des contacts très étroits avec la Commission Internationale des Juristes dont le siège est à Genève et
dont l’ancien Conseiller juridique, notre ami commun le Sénégalais ADAMA DIENG vient d’être nommé Conseiller Spécial du Secrétaire Général de l’ONU pour la prévention du génocide.
J’ai encore en souvenir notre participation à la première Conférence
mondiale des Nations Unies sur les Droits de l’Homme à Vienne en Autriche.
Et puis Lambert ZOKOEEZO affectionnait les réunions de la Conférence Internationale des Barreaux de Tradition
Juridique Commune (CIB) qui se tenaient partout dans les pays Francophones.
C’est au cours de la réunion de la CIB tenue à Abidjan du 13 au 15 Décembre 1989, qu’ayant reçu un coup de fil de
Bangui, j’étais venus dans sa chambre d’hôtel lui annoncer une triste nouvelle : le décès de son ami et frère le Procureur Général près la Cour Suprême Marcel MBAY. Il était très affligé et
très triste pendant tout notre séjour.
Ironie du sort, le Secrétaire Général de la CIB depuis sa création en 1985, le Bâtonnier MARIO STASI, son ami, mon
ami, nous a aussi quitté le 03 Novembre 2012, une semaine jour pour jour avant le décès de Lambert comme s’il allait se préparer à le recevoir à
l’Orient Eternel, lui qui nous répétait inlassablement que « la souffrance n’ayant pas de patrie, la défense ne saurait avoir de frontière ».
Alors, je vais dire un mot avant de finir.
Ce n’est pas seulement une grande figure du Barreau Centrafricain que nous avons perdu. C’est aussi et surtout un
précurseur emblématique qui a beaucoup œuvré pour la démocratie et les Droits de l’homme dans son pays et à l’étranger et dont la dimension dépasse les frontières de la RCA.
Nos amis communs ne cessent de m’appeler de plusieurs pays pour exprimer à sa famille leur compassion.
Lambert, une semaine avant ta disparition, j’e t’avais téléphoné pour avoir des nouvelles de ta santé. Rien ne
présageait que tu allais nous quitter.
D’ailleurs, nous nous étions donnez rendez- vous pour le mois de Décembre 2012 où je t’avais fait la promesse de venir te voir comme j’avais l’habitude de le faire lors de mes passages à Paris. Hélas, la volonté divine a décidé autrement. Que le nom du
Tout-Puissant soit béni.
Maintenant que la porte du destin a fini par se refermer, que retenir de l’illustre disparu ?
J’ai la faiblesse de dire avec Antoine de RIVAROL que « le temps est comme un fleuve. Il ne remonte jamais vers sa source », et de conclure avec
FLAUBERT que « l’homme n’est rien, c’est l’œuvre qui est tout ».
Lambert mon Cher Confrère et mon Cher Grand frère, tu peux partir en paix, car tu as laissé une œuvre
impérissable : tu as semé l’idée selon laquelle il n’y a que la liberté qui soit première et Victor HUGO nous a appris que « rien n’est plus redoutable qu’une idée qui vient en son
temps »
Et enfin, Lambert, tu as été un Maître et un Maître se reconnait à la qualité de ses disciples et à la postérité de
son œuvre.
Là où tu es, tu peux être fier de voir la postérité continuer ton œuvre.
Et les continuateurs sont déjà :
- MOROUBA, MOUTE, PANDA, DOUZIMA, GBIEGBA
et tant d’autres encore.
Alors, et alors seulement Lambert, tu n’auras pas vécu pour rien.
Bangui le 23 Novembre 2012
Maître Nicolas TIANGAYE
Avocat à la Cour
Ancien Bâtonnier de l’Ordre
Ancien Président de la Ligue Centrafricaine des Droits de l’Homme (LCDH)
Ancien Vice-président de l’Union Interafricaine des Droits de l’Homme (UIDH)