OUBANGUI PERSPECTIVES
GOUVERNEMENT DE TRANSITION ET PARTIS POLITIQUES
L’OPPOSITION DITE LEGALE : UN SILENCE ETONNANT.
Les Centrafricains commencent de plus en plus à se demander qui gouverne en
Centrafrique.
Depuis la mise en place du gouvernement dit d’union national qui aurait dû
permettre de poser les bases d’une sortie de crise prometteuse d’espoir pour notre pays, on s’aperçoit, chaque jour qui passe, que BOZIZE se réinstalle progressivement à la manœuvre.
Plusieurs signent qui ne trompent pas, montrent très clairement qu’il saisit chaque
occasion pour affirmer son ascendance sur un gouvernement dont la composition, finalement, est d’inspiration fortement bozizéenne et, ce n’est pas le seul camouflet que cet épouvantable tyran se
réjouit d’avoir infligé à tous ceux qui pouvaient encore croire aux promesses salvatrices des accords de Libreville.
D’autres signes devraient alerter les conciliateurs de tout poil qui sont encore
tentés de lui faire confiance/
Mouvements importants dans les forces de défense et de sécurité ;
Nominations à coloration ouvertement ethniques des préfets et
sous-préfets ;
Absence de libération de prisonniers par le régime en dépit des accords
susmentionnés et de promesses scélérates ;
Multiples voyages du fils BOZIZE dont on sait qu’ils ont pour objectif le
réarmement du clan et le recrutement de mercenaires en vue d’imposer une solution militaire de la crise au bénéfice du clan de vautours du repère de Benzambé, etc.
Encore récemment, BOZIZE que je refuse d’appeler chef d’Etat parce qu’il n’en a
aucune caractéristique, après que le Ministre de la communication ait interdit la diffusion d’émissions appelant à la haine entre Centrafricains, a fait interdire à celui-ci l’accès de Radio
Centrafrique progressivement transformée en « radio mille collines ».
Que constate-t-on ?
Plus on s’éloigne du 11 janvier, jour de la signature des accords de Libreville,
plus BOZIZE s’enhardit, ne prenant même plus la peine d’avancer masqué.
Désormais, ayant flanqué le Premier Ministre et certains membres importants du
fameux gouvernement d’hommes et de femmes de son cru en même temps qu’il s’est arrogé d’autres ministères clés, BOZIZE dispose des moyens de paralyser à sa guise toute action gouvernementale
jugée contraire à ses intérêts.
Il n’échappe plus à personne, que le monstre de Benzambè et les siens, tout en
fourbissant leurs armes, se payent le luxe suprême de jouer le pourrissement de la situation, leur carte maîtresse dans le dispositif infernal qu’ils élaborent au vu et au su de tout le
monde.
Ils n’ont plus qu’à braquer les projecteurs, à coup de propagande sur les seuls
dérapages de la Séléka qui n’arrivent plus à contrôler ses troupes et, une fois celle-ci décrédibilisée, attendre d’apparaître peu à peu comme irremplaçables.
BOZIZE et les siens ont tout simplement compris qu’en face d’eux la résistance
n’est pas significative.
Sur tous ces faits dont le caractère préjudiciable pour le pays se passe de
commentaire, ne suscitent ni désapprobation, ni réaction publique d’aucune sorte de la part du Premier Ministre, de membres du gouvernement ou de l’opposition légale.
Les seules réactions remarquées sont celles de la Séléka, insuffisantes à susciter
chez les Centrafricains la conscience aigüe du danger que représentent les agissements d’un régime aux abois qui considère n’avoir désormais rien à perdre et qui joue à fond son
« va-tout » en vue d’une survie furieusement désirée.
Alors que le Premier Ministre et l’opposition dite légale se réfugient dans un
mutisme incompréhensible, BOZIZE et ses hommes s’activent.
Si une telle apathie se poursuit, elle risque de ruiner toutes les chances de se
débarrasser de l’autocrate le plus dangereux que notre pays ait connu et sera forcément interprétée par nos compatriotes, non seulement comme une faiblesse, mais encore comme une complicité
active de la part de ceux qui n’auront pas su exploiter, mais auront gâché une occasion unique de sortir la République Centrafricaine d’une situation catastrophique à tout point de vue.
Que le gouvernement et son chef se taisent, contraints au silence par un contexte
politique aux ressorts complexes et par la nécessité de soustraire l’action gouvernementale aux passions exacerbées des regards intrus qui sont les nôtres, on peut encore, sans l’excuser,
malgré nous, le concéder même si ce n’est que du bout des lèvres, mais il est très étonnant que les partis politiques de l’opposition dite légale se montrent aussi inexistants, à un moment
aussi déterminant pour l’avenir de notre pays.
Dès lors, on peut légitimement se demander si les partis politiques d’opposition se
sentent particulièrement contraints au silence par le fait d’être représentés au gouvernement.
Je ne peux souscrire à une telle résignation car je ne peux admettre que des partis
politiques, à un moment où le combat politique, notamment contre un régime négation incarnée de toute valeur humaine, s’enferment dans une position attentiste, laissant le champ libre à un
ennemi mortel dont ont connaît la toxicité et, par conséquent, la capacité de nuisance.
A quoi sert de s’opposer politiquement des années durant, si l’on se dérobe aussi
facilement en renonçant à user de son indépendance de parti politique pour faire connaître son désaccord face à un adversaire politique – ennemi politique en l’espèce, compte tenu de la nature de
la créature monstrueuse dont il s’agit – qui ne s’embarrasse d’aucune règle humaine pour arriver à ses fins ?
Pourtant, la dénonciation légitime par l’opposition des actions et comportements
contre-productifs de BOZIZE et de ses hommes, loin d’être une gêne pour le Premier Ministre et son gouvernement, constituerait au contraire une aide et un soutien de nature à sortir ceux-ci d’un
tête-à-tête mortifère avec ce régime barbare.
Nous ne sommes pas aujourd’hui, dans le cadre d’un jeu normal d’institutions
politiques issues d’élections démocratiques qui conduirait des partis politiques formant une majorité de gouvernement à se ranger, tout d’un bloc, par l’effet d’un discipline majoritaire,
derrière une politique consensuelle. Le pays vit une situation politique d’exception où un régime non représentatif honni de tous s’est vu imposer, par des textes d’exception, une limitation
draconienne de ses pouvoirs sans limites et fondés sur l’usage systématique de la violence.
Il s’agit donc de cantonner à un rôle marginal, jusqu’à son expulsion de la scène
politique, un régime qui a brillé pendant de trop nombreuses années par des actions systématiquement contraires aux intérêts d’un pays réduit au silence et condamné à une paupérisation
galopante.
Cette situation d’exception exige de l’opposition une vigilance constante et une
veille permanente. Une telle posture nécessite que les partis d’opposition se montrent plus qu’en d’autres périodes, sourcilleux quant à l’expression de son indépendance.
Or de plus en plus de Centrafricains s’aperçoivent que l’opposition dite légale est
de moins en moins présente, après la course aux postes ministériels.
BOZIZE, plus que quiconque, a conscience qui si le Premier Ministre et le
gouvernement arrivaient à exercer en tout indépendance la totalité de leurs pouvoirs conformément à l’esprit et à la lettre officiels des accords de Libreville, la transition irait à son terme,
ce qui le contraindrait inévitablement à se démettre. Or il n’y trouve aucun intérêt. Alors il multiplie les initiatives propres à le rendre totalement maître d’un processus qu’il s’applique à
tenir à sa merci.
Eu égard à ce danger réel, le mutisme du Premier Ministre et de l’opposition
devient un grave problème.
Certains leaders de l’opposition auraient-ils fait le choix de fermer les yeux sur
les menées de BOZIZE et sa clique pour laisser aller jusqu’à la fin de la transition, donc jusqu’aux prochaines élections présidentielles, un gouvernement qu’ils savent embarcation précaire
inefficace, mais très utile pour leurs ambitions personnelles ?
En effet, si ce gouvernement reste en place jusqu’aux prochaines échéances
présidentielles, ses membres dont le premier d’entre eux, seraient exclus de la course puisque les accords de Libreville leur interdisent d’être candidats.
Les membres de l’opposition dite légale qui, eux, ne sont pas au gouvernement
verraient automatiquement le nombre d’adversaires potentiels se réduire considérablement.
En revanche si le processus s’arrête prématurément, ce calcul sera réduit à néant.
Alors, que vogue la folle galère et advienne que pourra !
Il ne s’agit pas de porter des accusations. Ces conjectures méritent cependant
d’être faites compte tenu des enjeux qui sont très importants pour notre pays.et qui dépassent les considérations liées à notre « petite personne ».
Il faut espérer que nos interrogations ne sont pas fondées.
Mais comment comprendre que, de toutes les parties ayant pris part aux négociations
de Libreville, seule la Séléka manifeste ses inquiétudes concernant l’application des accords qui ont été conclus ?
Que BOZIZE remette en état précipitamment des hélicoptères, que son fils
s’active pour recruter des mercenaires ou pour se procurer des armes, que le ministre de la communication se fasse interdire l’accès de la radio, que BOZIZE accepte sans débat que les eaux de
l’Oubangui soient détournées au profit d’un lac en perdition dans un pays voisin, avec très certainement des conséquences environnementales graves pour la République Centrafricaine, en termes
d’impacts pour les hommes et pour l’écosystème, SILENCE ABSOLU AUSSI BIEN DE LA PART DU PREMIER MINISTRE QUE DES PARTIS D’OPPOSITION.
On est en droit de se poser des questions sur l’attitude curieuse des chefs d’Etat
parrains desdits accords et surtout de l’opposition centrafricaine qui a pourtant tout à craindre de l’échec du processus initié au GABON, étant aux premières loges pour subir les foudres de la
vengeance inévitable de ce régime aux méthodes barbares et sanguinaires.
Aujourd’hui, les Centrafricains peuvent avoir l’impression que BOZIZE se paie à bon
compte une promenade de santé à l’issue de laquelle il accroîtra nécessairement ses chances, soit de se maintenir au pouvoir, soit de nous coller son fils comme il l‘a déjà laissé
entendre.
Si l’ogre de BEZAMBE et ses partisans sortent renforcés de cette crise, ils auront
sans nul doute l’assurance que, désormais, ils pourront faire ce qu’ils veulent de notre pays et se voir offrir sur un plateau en or massif, grâce à l’incurie et aux calculs sordides de quelques
uns, une rédemption qu’ils ne méritent pas.
On voit déjà certains des serviteurs de BOZIZE emboucher les trompettes de la
fraternité et de la paix entre Centrafricains pour endormir quelque auditoire naïf. Mais ceux qui ont réduit ce pays à un état végétatif permanent, ne méritent pas que s’expriment à leur égard
des sentiments de fraternité, de paternité, de maternité ou simplement de compassion pour le prochain. Ils doivent, pour le salut de notre pays rendre des comptes. C’est le seul moyen de
dissuader pour l’avenir les comportements anti- nationaux.
Croire que la République Centrafricaine s’en sortira un jour en faisant l’économie
d’une clarification des comptes politiques passés, n’est que vision onirique porteuse des risques d’un perpétuel recommencement de pratiques politiques dont nous n’arrivons pas à nous débarrasser
depuis plus de 53 ans. Or, solder réellement les comptes du passé est l’unique voie qui permettra à notre pays de rompre la chaîne du malheur et d’espérer, enfin, prendre un nouveau
départ.
La paternité et/ou la fraternité constituent la soupe commode aux vertus
soporifiques que ce type de régime et ses adeptes servent systématiquement, lorsqu’ils sont pris la main dans le sac et qu’ils sont en difficulté. C’est alors qu’ils découvrent subitement tous
ces sentiments dont à aucun moment ils n’ont fait montre à l’égard de leurs concitoyens pendant qu’ils se gavaient, aux dépens de ceux-ci, des fruits de leurs forfaits.
Les sentiments fraternels entre Centrafricains, totalement étrangers à ces rapaces,
leur apparaissent comme le sauve-conduit privilégié qu’ils brandissent pour espérer se faire pardonner, revenir en grâce et commettre à nouveau, dès que l’occasion leur est donnée, à l’encontre
de leurs concitoyens ainsi bernés, des actes attentatoires encore plus graves aux droits humains les plus élémentaires, notamment le droit à une vie décente.
Face aux risques d’aggravation de la crise centrafricaine du fait des comportements
irresponsables et dangereux de la clique de BOZIZE, nous en appelons donc au Premier Ministre et aux partis de l’opposition dite légale. Ces risques sont réels puisqu’on vient d’apprendre la
reprise des hostilités par une des factions de la Séléka.
Les Centrafricains ont le droit de savoir ce qui se passe.
Ils ont besoin d’être assurés que des actions seront menées pour que BOZIZE
et les siens ne puissent plus nuire aux intérêts de notre pays.
Ils ont besoin de savoir si seront enfin appliqués les accords de Libreville qui
limitent les pouvoirs de BOZIZE et déterminent les obligations (notamment la libération des prisonniers et le départ des troupes étrangères) des protagonistes de la crise militaro-politique
que traverse notre pays.
Les Centrafricains ont besoin de savoir si l’action du gouvernement n’est pas
entravée par les manœuvres inquiétantes de BOZIZE et sa famille et quelles sont les mesures prises pour faire échec à la conspiration de ces criminels qui n’acceptent visiblement pas la
perspective d’être chassés du pouvoir et dont les actes du moment ont de quoi inquiéter des observateurs lucides
Les Centrafricains ne peuvent se satisfaire du silence du Premier Ministre et de
l’opposition dite légale.
Des marchés ont-ils été conclus dans le dos des Centrafricains ? Par
qui ? Quels en sont les termes ?
Y a-t-il dans le processus en cours une répartition de rôles entre les différentes
parties impliquées dont certaines modalités resteraient cachées au peuple centrafricain ?
Existe-t-il une contre lettre aux accords de Libreville ?
Les chefs d’Etat de la sous-région, parrains de ces accords jouent-ils réellement
un jeu sincère ? Qui a intérêt au maintien du statu quo et par conséquent du chaos en Centrafrique ?
Pourquoi les Centrafricains ont-ils le sentiment d’être marginalisés dans leur
propre pays, privilèges et richesses étant entièrement dévolus aux seuls étrangers ? Ceci n’expliquerait-il pas cela ?
Il est légitime que les Centrafricains exigent des clarifications.
Latillé le 1er mars 2013
Maître Ignace OUNDA-MEYBI