Centrafrique : La Séléka défie la CEEAC
PAR BOULKINDI COULDIATI, Le Pays 14 MARS 2013
Les choses vont trop vite en République centrafricaine. En effet, comme des fruits murs, des villes tombent, les unes après les autres entre les mains de la Séléka.
En moins d'une semaine, cette redoutable rébellion a mis trois villes sous son contrôle, créant ainsi un Etat dans l'Etat centrafricain. C'est dire donc que les lendemains s'annoncent encore sombres pour ce pays qui n'a jamais soufflé pendant longtemps le vent de la stabilité. L'histoire donne malheureusement raison à tous ceux qui ne croyaient pas aux accords de Libreville, signés des mains des protagonistes dont l'insincérité se révèle aujourd'hui. Le retour à la case départ, longtemps redouté, est aujourd'hui une réalité. Il n'y a point encore de doute à se faire, il n'y avait que l'aile modérée de la rébellion qui avait signé ces accords de Libreville qui volent aujourd'hui en éclat.
Que veulent-t-ils encore ces rebelles récalcitrants qui font crépiter les armes au moment où la Centrafrique a son gouvernement d'union nationale qui, visiblement, fonctionne sans conac majeur. Cherchent-ils seulement la peau de Bozizé comme certains le pensent ? Toujours est-il qu'on se perd en conjectures quand on essaie de s'interroger sur les raisons de leur combat actuel, si ce n'est le départ du n°1 centrafricain. Denis Sassou Nguesso, mandaté par ses homologues de la CEEAC pour jouer le médiateur, a de quoi s'inquiéter. A la vérité, le camp qui se sentirait lésé après les accords de Libreville devait revenir à lui pour se faire rétablir dans ses droits. Cela éviterait de réveiller les vieux démons. Mais de ce sacro-saint principe des médiations, la Séléka n'en a cure. La relance subite de la guerre prouve que l'objectif inavoué de cette rébellion est loin d'être atteint.
Que faire maintenant dans la mesure où cette rébellion se moque même du médiateur Sassou Nguesso et défie la CEEAC (Communauté économique des Etats de l'Afrique centrale) qui l'avait pourtant mise en garde contre toute velléité de reprise des armes ? Les pays membres de la CEEAC n'ont pas intérêt à laisser les rebelles avancer un peu plus. Il ne faut surtout pas attendre qu'ils prennent Bangui pour commencer à s'émouvoir. Cet attentisme est d'autant plus à craindre que les rebelles avancent sans coup férir malgré la présence de forces d'interposition, envoyées en Centrafrique au début du conflit. Ils sont d'ailleurs inspirés par d'autres rebelles qui écument les Grands Lacs et qui sont des « tombeurs » professionnels de régimes. L'armée centrafricaine se s'étant montrée impuissante, il urge d'agir vite pour que l'histoire ne se répète dans ce pays.
Centrafrique: Instabilité en RCA - Retour à la case départ ?
PAR ABDOULAYE BARRO, 12 MARS 2013 Le PAYS
ANALYSE
Depuis les accords de Libreville, signés entre les rebelles de la Séléka et le régime Bozizé, sous l'égide du médiateur Sassou Nguesso, le peuple centrafricain s'était enfin mis à rêver d'un retour à une paix durable.
Son optimisme pacifique était nourri par la solution politique qui avait abouti à un partage du pouvoir entre les parties en conflit. Et tout le monde s'était vite empressé de louer, à Bangui, et en Afrique, les qualités et les vertus de conviction, de loyauté du chef de ce gouvernement de compromis, Me Nicolas Tiangaye, un homme sérieux, de bonne volonté, surtout déterminé.
Malheureusement, en Centrafrique, l'on n'arrive pas à discipliner et à éduquer l'agressivité humaine. L'aile radicale de la Séléka, qui n'a jamais digéré qu'on lui ait barré, à l'époque, la route de Bangui, vient de faire parler de nouveau, le canon. Des localités sont vite tombées sous leur coupe, comme dans un jeu d'enfants. En vérité, à Bangui, on assiste à un jeu de cache-cache entre le régime Bozizé et l'équipe gouvernementale actuelle. Pourquoi ? Et quand est-ce que les Centrafricains décideront enfin, entre eux, de pratiquer un peu la confiance et la sincérité ?
A l'heure actuelle, on ne peut pas dire que les accords de paix conclus à Libreville entre Bozizé et la Sékéka, ou « pax gabonia », sont une réalité sociale pour le peuple centrafricain. Et, tout montre qu'il est fort probable que ce pays entame une nouvelle rechute dans le désordre et l'anarchie. Si la situation militaire continue à se détériorer, le pays repartira à la case départ, c'est-à-dire à la reprise de nouveaux affrontements armés. Au fond, cette instabilité chronique qui menace constamment ce pays est liée, du fait des rébellions répétitives, à l'enracinement d'une culture politique où le recours à la force est considéré comme la seule option possible. La force, et non la paix, devient ici un besoin ontologique. Certes, la force et la légitimité restent les deux seules sources de pouvoir. Mais comme a su bien le rappeler Robert Cooper, « la force sans la légitimité engendre le chaos ; la légitimité sans la force sera inévitablement renversée ».
En Centrafrique, ce pays plongé dans une pénombre belliciste récurrente, le recours à la force signifie un échec total de la politique. Car, ici, l'intérêt national ne détermine pas du tout le jeu politique. D'où ces rébellions sans limites et sans merci, semant le drame et la ruine de la société centrafricaine. L'histoire nous enseigne également que quand l'Etat est trop faible, d'autres acteurs non-étatiques prennent de l'importance. Mais tous les contentieux et problèmes qui furent la cause de la rébellion ont-ils été véritablement abordés à Libreville ? Ce qui est très inquiétant, mais paradoxal, c'est que la Centrafrique n'a jamais connu une guerre civile au sens strict, et que les différentes rébellions n'ont jamais réussi à recueillir un large soutien du peuple. Avec cette nouvelle menace d'un retour à la case départ, on a la curieuse impression que ce pays n'est nullement préoccupé par son développement économique, encore moins par le maintien de son unité nationale. Pourtant, ce petit Etat aux immenses richesses a besoin de tous ses enfants pour se reconstruire. La meilleure guerre reste celle qu'on ne doit jamais commencer. Car, cette nouvelle instabilité risque encore de propager le mal plutôt que de l'éradiquer. Et pour l'éviter, les Centrafricains doivent chercher à s'échapper, individuellement et collectivement, de cet épais brouillard de méfiance et de duperie réciproques.
N'existe-t-il pas en Sango, langue nationale de ce pays, un mot pour désigner la sincérité ? Et s'il n'existe pas, il leur appartient de l'inventer et, très vite, de le mettre en pratique. Sinon, on continuera à dire dès qu'il s'agit de la Centrafrique : quel pays déroutant !